Dans son arrêt récent dans l’affaire Altius Royalty Corporation v. Alberta (l’« affaire Altius »), la Cour d’appel de l’Alberta (la « CAA ») a statué que le plan mis de l’avant par le gouvernement de l’Alberta pour éliminer graduellement, d’ici l’année 2030, les émissions des centrales électriques alimentées au charbon ne constituait pas une expropriation déguisée (ou « par interprétation ») du droit de redevances des appelantes sur une mine de charbon en Alberta. Par conséquent, les appelantes n’avaient pas droit à une indemnité malgré la perte effective de leur droit de redevance.
L’affaire Altius démontre que les justiciables privés s’appuient de plus en plus sur les droits de propriété et la common law pour se défendre devant les tribunaux contre la réglementation gouvernementale visant à lutter contre les changements climatiques. Toutefois, elle démontre également que de telles actions continuent de faire face à d’importants obstacles.
Il y a lieu de noter que le 10 mai 2024, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu sa décision dans l’affaire St. John’s (Ville) c. Lynch, dans laquelle elle aborde la quantification de l’indemnité à laquelle a droit un propriétaire foncier en cas d’expropriation déguisée. Les lecteurs du présent bulletin sont invités à consulter cette décision pour connaître les lignes directrices que donne la CSC sur la question.
Contexte
Les appelantes dans l’affaire Altius sont titulaires d’un droit de redevances sur la mine de charbon Genesee. Cette dernière alimente la centrale électrique Genesee, qui produit de l’électricité pour la ville d’Edmonton. En 2015, le gouvernement du Canada a adopté un règlement prévoyant l’élimination de la production d’électricité alimentée au charbon d’ici l’année 2030. Par conséquent, le gouvernement de l’Alberta a conclu des ententes d’élimination du charbon avec les propriétaires de diverses centrales électriques alimentées au charbon dans la province, y compris la centrale électrique Genesee, afin d’éliminer progressivement les émissions produites par ces centrales d’ici l’année 2030. Aux termes de ces ententes, les propriétaires des centrales visées ont convenu de mettre fin aux émissions de leurs centrales et le gouvernement de l’Alberta a accepté de leur verser des paiements de transition.
Les appelantes alléguaient que les gouvernements fédéral et de l’Alberta ont procédé à l’expropriation déguisée (ou à « l’appropriation de fait ») de leur droit de redevances sur la mine de charbon Genesee et qu’elles avaient droit à une indemnité, car aucune redevance ne leur serait versée après l’année 2030. En vertu de la common law, il y a expropriation déguisée lorsqu’un acte gouvernemental correspond à 1) l’acquisition d’un intérêt bénéficiaire dans le bien-fonds ou d’un droit découlant de ce bien et à 2) la suppression de toutes les utilisations raisonnables du bien.
Un juge en chambre et la juge de première instance ont tous deux rejeté l’action. Les appelantes ont interjeté appel devant la CAA en faisant valoir que, bien qu’aucun intérêt bénéficiaire dans la mine de charbon elle-même n’ait été acquis par la Couronne, cette dernière avait tout de même acquis un avantage sous forme de dépenses évitées en matière de soins de la santé et d’environnement en décidant de mettre fin aux émissions des centrales électriques alimentées au charbon.
Décision de la CAA
En appel, la CAA s’est référée à l’arrêt de la CSC dans l’affaire Annapolis Group Inc. c. Municipalité régionale d’Halifax (l’« affaire Annapolis »), dans laquelle elle aborde la question du critère applicable à une appropriation de fait. En l’espèce, la CSC a déterminé qu’un « intérêt bénéficiaire » peut être compris de manière plus large comme un « avantage » dans une propriété privée acquise par la Couronne. De plus, la CSC a souligné qu’un propriétaire foncier peut obtenir gain de cause pour une demande relative à une appropriation de fait même si la Couronne a acquis quelque chose de moins qu’un droit de propriété traditionnel.
En résumant la décision dans l’affaire Annapolis, la CAA a souligné que, pour qu’une mesure réglementaire corresponde à une expropriation déguisée, l’intérêt acquis par la Couronne doit être suffisamment semblable à un droit de propriété pour qu’il puisse faire l’objet d’une acquisition et doit correspondre d’une manière ou d’une autre à l’intérêt exproprié.
S’appuyant sur ces principes, la CAA a rejeté l’appel. Elle a statué de surcroît que tout avantage en matière de santé et d’environnement qui résulte d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre est un avantage pour le public, et non un avantage revenant à l’État. Les avantages anticipés en matière de santé et d’environnement ne peuvent être considérés comme un avantage découlant d’un droit de propriété lié à l’acquisition par la Couronne d’un droit de redevances sur la production de charbon. Après tout, la réglementation gouvernementale doit toujours être dans l’intérêt public.
La CAA a conclu également que l’application du critère de l’expropriation déguisée proposé par les appelantes élargirait indûment l’application de la common law, empiéterait sur les décisions stratégiques des législateurs et mettrait à risque l’exposition financière des autorités publiques.
Par conséquent, la CAA a déterminé que ni le gouvernement fédéral, ni le gouvernement de l’Alberta n’avait acquis un avantage dans une propriété privée en décidant d’éliminer progressivement la production d’électricité alimentée au charbon.
Conclusion
L’arrêt de la CAA dans l’affaire Altius confirme que les gouvernements disposent d’une grande marge de manœuvre pour adopter des règlements dans l’intérêt public afin d’aborder les effets des changements climatiques. Dans cette affaire, les appelantes ont tenté sans succès, mais non sans créativité, d’invoquer la common law pour contester des décisions prises par des gouvernements au Canada ayant une incidence négative sur des intérêts de la nature de droits de propriété et des intérêts commerciaux liés à la production d’électricité alimentée au charbon. La CAA a refusé d’élargir la portée de l’arrêt de la CSC dans l’affaire Annapolis et d’adopter une interprétation plus vaste de l’expropriation déguisée aux circonstances dans lesquelles un règlement a une incidence sur des droits de redevances dans le secteur de l’énergie. L’affaire Altius confirme que l’arrêt rendu dans l’affaire Annapolis n’a pas modifié le droit canadien de l’expropriation déguisée.
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