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Affaire Lavender : la Cour d’appel clarifie l’obligation de diligence de l’auditeur

16 septembre 2018

Le 5 septembre 2018, dans l’affaire Lavender v. Miller Bernstein LLP (l’« affaire Lavender »), la Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour d’appel ») a infirmé une décision de première instance ayant statué qu’un auditeur avait une obligation de diligence envers les clients de son client. Pour ce faire, la Cour d’appel a appliqué les principes énoncés par la Cour suprême du Canada (la « CSC ») dans l’arrêt Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de) (l’« arrêt Livent »), qui a été rendu après la décision initiale dans l’affaire Lavender. Nous avons analysé l’arrêt Livent dans notre Bulletin Blakes de janvier 2018 intitulé Arrêt Livent : la CSC confirme l’obligation de diligence, mais réduit les dommages-intérêts imposés à l’auditeur. La décision de la Cour d’appel dans l’affaire Lavender précise dans quelle mesure un auditeur peut avoir une obligation de diligence envers des parties autres que son propre client, et elle ajoute à la jurisprudence postérieure à l’arrêt Livent, de plus en plus volumineuse, qui reconnaît le critère exigeant requis pour établir une obligation de diligence dans une action pour perte purement économique.

CONTEXTE

La décision portée en appel concernait une requête en jugement sommaire dans le contexte d’une action collective intentée par des clients d’un courtier en valeurs mobilières, ayant fermé ses portes depuis, contre l’ancien auditeur de ce courtier. Le groupe de l’action collective alléguait que l’auditeur avait fait preuve de négligence lorsqu’il a vérifié le formulaire de renouvellement annuel de l’inscription du courtier devant être déposé auprès de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») aux fins de la vérification de la conformité aux exigences réglementaires en valeurs mobilières (le « formulaire 9 »). Selon le groupe, cette négligence a privé la CVMO de renseignements qui auraient amené celle-ci à intervenir auprès du courtier et à prévenir les pertes subies par le groupe.

L’action collective a été autorisée sur consentement. Les questions communes pertinentes étaient notamment de déterminer si l’auditeur avait une obligation envers le groupe et, le cas échéant, s’il a manqué à cette obligation.

Le groupe a présenté une requête en jugement sommaire relativement à ces questions, notamment. Le juge saisi de la requête a accueilli celle‑ci, statuant que l’auditeur avait une obligation de diligence envers les membres du groupe dans le cadre de sa vérification du formulaire 9 et qu’il n’avait pas respecté la norme de diligence requise. L’auditeur a porté cette décision en appel.

DÉCISION

La Cour d’appel accueille le pourvoi de l’auditeur, infirmant ainsi le jugement de première instance et rendant un jugement sommaire en faveur de l’auditeur au motif que ce dernier n’avait aucune obligation de diligence envers le groupe.

Pour parvenir à cette décision, la Cour d’appel applique le cadre d’analyse établi par la CSC dans l’arrêt Livent, qui apporte des précisions sur l’analyse effectuée précédemment dans les arrêts Anns et Cooper. Aux termes de ce cadre à deux volets, un tribunal doit d’abord déterminer si les faits permettent d’établir une obligation de diligence prima facie, ce qui nécessite la détermination de la prévisibilité raisonnable d’un préjudice et du lien de proximité, deux concepts distincts devant être examinés séparément. Au besoin, le tribunal passe ensuite au deuxième volet, où il doit alors déterminer si des considérations de politique résiduelles justifient le refus d’imputer une responsabilité délictuelle.

Dans l’affaire Lavender, la Cour d’appel s’est penchée sur l’analyse du lien de proximité prévue dans le premier volet du cadre établi dans l’arrêt Livent. Elle conclut que le juge de première instance a commis une erreur de droit en amalgamant les questions de proximité et de prévisibilité. Après avoir mené sa propre analyse du lien de proximité, la Cour d’appel conclut que celui-ci ne peut pas être établi.

La Cour d’appel réaffirme que, dans les cas de pertes purement économiques découlant d’une négligence ou d’une déclaration inexacte faite par négligence, la portée de l’engagement pris par le défendeur et le fait pour le demandeur de se fier à cet engagement jouent un rôle déterminant dans l’analyse du lien de proximité. Elle conclut que la preuve présentée au juge saisi de la requête ne démontre pas un lien de proximité et que cette conclusion est fondée sur les motifs suivants :

  • La portée de l’engagement de l’auditeur était limitée. Ce dernier a entrepris la vérification d’un formulaire que le courtier a ensuite remis à la CVMO à titre confidentiel. L’interposition de la CVMO et du courtier entre l’auditeur et le groupe de l’action collective fait en sorte que le lien entre les deux parties est trop éloigné pour justifier une obligation de diligence.
  • Le groupe a admis qu’il ne s’est pas fié au formulaire 9, qui a été déposée de manière confidentielle et qui ne visait pas à informer ou à influencer le groupe.
  • La décision du juge de première instance repose sur des conclusions factuelles qui constituent des erreurs manifestes et déterminantes. Par exemple, le juge s’est fondé en partie sur une conclusion inexacte selon laquelle l’auditeur avait déposé le formulaire 9 directement auprès de la CVMO, alors qu’en réalité, c’est le client qui avait l’obligation de déposer ce formulaire. Le juge a également fait valoir que l’auditeur aurait eu connaissance des noms et des comptes des membres du groupe alors que l’examen des registres a révélé que les identités et les comptes des clients changeaient régulièrement.
  • Le régime législatif applicable, qui procure un cadre pour évaluer la proximité, ne permet pas d’établir un lien de proximité entre l’auditeur et le groupe en ce qui a trait aux décisions en matière de placement des membres du groupe.

La Cour d’appel juge que la réclamation des membres du groupe de l’action collective ne résiste pas à l’analyse juridique approfondie effectuée pour établir l’existence d’une obligation de diligence dans le contexte d’une action pour perte purement économique. Compte tenu de sa décision sur le lien de proximité, la Cour d’appel conclut qu’elle n’a pas besoin de se pencher sur la question de la prévisibilité raisonnable ni sur celle des considérations de politique résiduelles.

RÉPERCUSSIONS

La décision de la Cour d’appel dans l’affaire Lavender est particulièrement importante pour au moins deux raisons. Premièrement, elle fera vraisemblablement baisser le nombre d’actions en négligence intentées contre des auditeurs par des parties autres que les clients de ceux-ci.

Deuxièmement, et de manière plus générale, la décision souligne que les demandeurs qui cherchent à établir une obligation de diligence dans le cadre d’une action pour perte purement économique doivent satisfaire à un critère exigeant qui nécessite un examen approfondi non seulement de la portée de l’engagement pris par l’auditeur, mais aussi de la mesure dans laquelle les demandeurs se sont fiés à cet engagement, de même que des régimes législatifs applicables. Cet aspect de la décision présente un intérêt particulier pour les preneurs fermes, les courtiers en valeurs mobilières et les autres conseillers et fournisseurs de services qui peuvent devenir des cibles secondaires dans une action collective où l’émetteur défendeur est insolvable ou à l’abri d’un jugement.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Claude Marseille            514-982-5089
Andrea Laing                 416-863-4159
Ryan Morris                   416-863-2176

ou un autre membre de notre groupe Litige et règlement des différends.

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