Dans la décision CNOOC Petroleum North America ULC v. ITP SA (la « décision »), la Cour d’appel de l’Alberta (« CAA ») a passé en revue les principes relatifs au privilège relatif au litige et à la renonciation à ce privilège dans le contexte de la transmission de deux rapports produits lors d’une enquête interne. Cette décision précise d’importants facteurs à prendre en considération lorsqu’un organisme de réglementation demande que des rapports d’enquête lui soient fournis.
Contexte
Un pipeline exploité par CNOOC Petroleum North America ULC (« CNOOC ») a connu une défaillance quelque 10 mois après sa mise en service. Une enquête a été lancée afin d’examiner plusieurs questions afférentes à cet événement, dont des questions d’ordre juridique et réglementaire. La cheffe du contentieux adjointe de CNOOC a conclu que la défaillance du pipeline ouvrait la porte à une réelle possibilité qu’une poursuite civile soit engagée contre l’entreprise et a demandé que les rapports d’enquête lui soient remis confidentiellement en vue d’un litige éventuel et pour lui permettre de fournir des conseils juridiques à CNOOC, le cas échéant.
L’Alberta Energy Regulator (« AER ») et l’Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta (« APEGA ») ont demandé à CNOOC de leur fournir des copies de ces rapports. La demande de l’AER était fondée sur les pouvoirs que lui confère la réglementation provinciale applicable, soit les Pipeline Rules. Quant à l’APEGA, CNOOC lui a remis les rapports conformément aux obligations qui lui incombaient, selon sa compréhension, en vertu de la loi de l’Alberta intitulée Engineering and Geoscience Professions Act (« EGPA »).
Lorsqu’elle a fourni les rapports demandés à l’AER et à l’APEGA, CNOOC a souligné qu’ils étaient privilégiés et confidentiels et qu’ils ne devaient pas être divulgués à des tiers.
Une poursuite civile a été engagée à la suite de la défaillance du pipeline et plusieurs parties au litige ont demandé une ordonnance visant la production des rapports. Une partie, Wood Group Canada Inc. (« Wood »), a aussi cherché à obtenir les rapports en engageant des procédures accessoires contre l’APEGA, après que cette dernière a refusé de les lui remettre au motif qu’ils étaient privilégiés et confidentiels. Invoquant le principe de l’équité procédurale, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a refusé d’ordonner la production des rapports dans le cadre de ces procédures accessoires.
La décision
Bien que l’approche utilisée par le tribunal inférieur pour déterminer si les rapports étaient privilégiés ait été potentiellement erronée, la CAA ne s’est pas penchée sur cette question. Elle a plutôt conclu qu’il y avait eu une renonciation implicite au privilège de confidentialité pour les raisons suivantes :
- Malgré le fait que l’AER a demandé les rapports en vertu de ses pouvoirs réglementaires aux termes des Pipeline Rules, elle ne les a pas exigés impérativement. Le pouvoir d’un organisme de réglementation de demander la communication de documents ne l’emporte pas sur un privilège de confidentialité, à moins que les dispositions législatives en cause le prévoient expressément, ce qui n’est pas le cas des Pipeline Rules.
- Même si CNOOC n’a pas assorti la communication des rapports à l’APEGA de la mention « Communication privilégiée », elle a tout de même mentionné la possibilité de procédures réglementaires et civiles, indiquant ainsi qu’elle invoquait un privilège de confidentialité. Toutefois, puisque l’APEGA a informé CNOOC qu’elle divulguerait les rapports si la loi l’exigeait et qu’elle pourrait les utiliser sans restriction et, au besoin, dans toute la mesure permise en vertu de l’EGPA, la protection du privilège de confidentialité a été perdue.
Ainsi, la remise des rapports à l’AER et à l’APEGA a entraîné une renonciation implicite au privilège de confidentialité y afférent, et ce, même si cette renonciation n’était pas intentionnelle et que la remise a été faite afin de se conformer à leurs demandes dans le contexte de leurs enquêtes sur la défaillance du pipeline.
Répercussions de la décision
La décision fait ressortir le fait que si un organisme de réglementation demande des documents visés par un privilège de confidentialité en invoquant ses pouvoirs réglementaires, la remise de ces documents sera vraisemblablement considérée comme une renonciation au privilège, à moins que les dispositions législatives en cause prévoient que les pouvoirs de contrainte de l’organisme l’emportent sur ce privilège. Il y aura probablement renonciation implicite au privilège même si la partie qui communique un document précise qu’il demeure privilégié et qu’elle le transmet sous cette condition.
La décision apporte aussi un éclairage utile en ce qui a trait aux enquêtes internes, à l’utilisation de documents protégés par un privilège de confidentialité et à la production de ces documents en vue de répondre aux demandes d’organismes de réglementation :
- Le terme « but principal » ne signifie pas « but exclusif ». Pour qu’un document soit protégé en vertu du privilège relatif au litige, il faut que son but principal soit la préparation d’un litige actuel ou anticipé. Le fait qu’un document protégé puisse être utilisé à différentes fins n’entraîne pas nécessairement la perte du privilège.
- Le privilège relatif au litige n’empêche pas l’utilisation des renseignements sous-jacents. Les renseignements eux-mêmes recueillis au cours d’une enquête n’ont pas à être isolés. Ces renseignements, sur lesquels sont fondés des documents protégés par un privilège de confidentialité, peuvent être utilisés à des fins multiples sans que le privilège soit perdu à l’égard de ces documents.
- L’existence d’un privilège de confidentialité est une question de fond et non de forme. Le défaut d’assortir un document d’une mention indiquant que celui-ci est « privilégié et confidentiel » ne le prive pas de la protection d’un privilège de confidentialité, à moins que l’intention de renoncer au privilège soit manifeste. Il est important de noter que le défaut de qualifier un document de « document privilégié et confidentiel » ne démontre généralement pas une intention de renoncer au privilège.
- Les documents peuvent être utilisés de diverses façons. L’utilisation de renseignements conformément aux buts fondamentaux établis pour les documents privilégiés n’équivaut pas à une perte du privilège du fait de l’application de la loi.
- L’utilisation d’un document privilégié après la création de celui-ci ne constitue pas un facteur déterminant pour établir l’existence du privilège. L’utilisation d’un document privilégié après sa création peut être utile pour déterminer si le privilège a fait ou non l’objet d’une renonciation. Toutefois, cette utilisation subséquente n’est pas nécessairement significative quant au but principal pour lequel le document a été initialement créé.
La décision de la CAA met en évidence l’importance de prendre des mesures adéquates en vue d’établir l’existence d’un privilège de confidentialité à l’égard de documents transmis à un organisme de réglementation. Il est prudent de faire appel rapidement à des conseillers juridiques internes et externes lorsqu’une enquête interne est envisagée et qu’il existe une possibilité que des procédures civiles ou réglementaires soient engagées.
Blakes a agi à titre de conseiller juridique de CNOOC dans le cadre des procédures complémentaires.
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