Le 21 avril 2023, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la « Cour ») a rendu sa décision dans l’affaire Terra Energy Corp (Re). Elle a rejeté la tentative du gouvernement de l’Alberta de recouvrer les arriérés de redevances pétrolières et gazières dus par Terra Energy Corp. (« Terra ») auprès d’Enercapita Energy Ltd. (« Enercapita »). Il faut savoir que Terra est une société pétrolière et gazière qui a fait faillite et qu’Enercapita est une société qui a acheté des concessions de pétrole et de gaz sur des terres de la Couronne auprès de Terra avant la faillite de cette dernière. Selon la décision de la Cour, la responsabilité d’un acheteur à l’égard des arriérés de redevances du vendeur aux termes des concessions minières sur des terres de la Couronne ne s’applique pas nécessairement aux arriérés décelés lors d’un audit réalisé après la clôture de l’acquisition.
Contexte
En Alberta, les redevances sur les concessions de pétrole et de gaz sur des terres de la Couronne sont calculées en fonction du produit net de la vente du pétrole et du gaz produits à partir d’un puits, conformément aux formules établies dans des règlements pris en vertu de la loi albertaine intitulée Mines and Minerals Act (la « Loi MMA »). Pour ce qui est du gaz naturel (sauf le gaz dissous), les titulaires de concessions sont autorisés à déduire certains des coûts qu’ils engagent et doivent fournir des rapports annuels à Alberta Energy détaillant les coûts en question. Alberta Energy peut ensuite auditer l’information fournie.
En septembre 2015, Enercapita a acheté à Terra certaines concessions de pétrole et de gaz sur des terres de la Couronne. En novembre 2016, Terra a fait faillite.
Après la faillite de Terra, Alberta Energy a audité les comptes de redevances de Terra pour la période de 2011 à 2014. Elle a notamment demandé que Terra lui fournisse des documents à l’appui des déductions pour amortissement demandées par celle-ci dans le calcul de ses obligations au titre des redevances sur certains puits de gaz naturel pour cette période. La majorité de ces déductions pour amortissement visaient des puits de gaz dont Enercapita n’a pas par ailleurs fait l’acquisition.
Ni Terra ni son syndic de faillite n’ont fourni les renseignements demandés. Par conséquent, Alberta Energy a ramené à zéro les dépenses autorisées déduites par Terra pour 2011 à 2014, créant ainsi des arriérés de redevances d’environ 3,2 M$ CA.
Alberta Energy a ensuite demandé à Enercapita de lui verser une tranche de ces arriérés à hauteur d’environ 2,8 M$ CA. Alberta Energy s’est fondée sur l’article 91.1 de la Loi MMA, qui prévoit qu’un titulaire de concessions minières sur des terres de la Couronne peut être tenu responsable de certaines des responsabilités du vendeur auprès duquel il a acquis les concessions. À l’époque, Alberta Energy devait à Enercapita environ 1,2 M$ CA en paiements de redevances excédentaires et le ministère cherchait à conserver ce montant en le portant en compensation des arriérés de Terra en vertu du paragraphe 46(4) de la Loi MMA.
Au cours des trois années qui ont suivi, Enercapita a eu d’amples discussions avec Alberta Energy dans le but d’obtenir et de fournir des documents à l’appui des déductions pour amortissement demandées par Terra à l’égard de certaines concessions de gaz, et ce, même si elle n’avait aucun lien avec Terra, outre le fait d’avoir acheté certaines des concessions de cette dernière.
Alberta Energy n’a pas accepté les documents fournis. En décembre 2020, après qu’Alberta Energy eut émis un refus définitif de rembourser à Enercapita le montant des redevances versé en trop, Enercapita s’est adressée à la Cour dans le but d’obtenir réparation.
Décision
La Cour s’est rangée du côté d’Enercapita relativement à l’ensemble des questions soulevées. Elle a conclu qu’Alberta Energy ne pouvait se fonder ni sur l’article 91.1 ni sur le paragraphe 46(4) de la Loi MMA.
La Cour a interprété l’article 91.1 de façon restrictive et a conclu que celui-ci ne s’applique qu’aux obligations existant au moment du transfert d’une concession minière sur une terre de la Couronne. La Cour a souligné qu’au moment du transfert des concessions de Terra à Enercapita, la possibilité que des arriérés de redevances dus par Terra soient décelés dans le cadre d’un processus d’audit constituait un passif éventuel et qu’un tel passif éventuel ne relève pas du champ d’application de l’article 91.1.
La Cour a noté que même si l’article 91.1 avait permis à Alberta Energy de recouvrer les arriérés de redevances de Terra auprès d’Enercapita, Alberta Energy n’a pas établi son droit de compenser ces arriérés par les redevances versées en trop par Enercapita en se fondant sur le paragraphe 46(4). La Cour a également déterminé qu’Alberta Energy ne pouvait pas invoquer l’article 91.1 pour attribuer les arriérés de redevances de Terra à Enercapita alors que la majorité de ces arriérés visaient des puits de gaz dont Enercapita n’avait pas fait l’acquisition. De toute façon, puisqu’Enercapita a fourni des documents à l’appui des déductions pour amortissement demandées par Terra relativement à certains puits de gaz naturel, la Cour n’était pas du tout convaincue que Terra devait quelques arrérages que ce soit. La Cour a donc conclu qu’Alberta Energy n’a pas démontré qu’Enercapita avait une telle dette à payer. Par conséquent, elle a ordonné à Alberta Energy de rembourser le montant des redevances versé en trop par Enercapita.
Alberta Energy n’a pas interjeté appel de la décision de la Cour et le délai pour le faire est expiré, ce qui signifie que la décision est définitive.
Point à retenir
Cette décision rassurera les acheteurs de concessions de pétrole et de gaz sur des terres de la Couronne, à savoir que leur responsabilité éventuelle à l’égard des arriérés de redevances d’un vendeur est limitée. Selon l’interprétation que fait la Cour de l’article 91.1 de la Loi MMA, un acheteur ne serait responsable que des arriérés relevés par Alberta Energy avant la clôture d’une acquisition. Si Alberta Energy effectue un audit du compte de redevances du vendeur après la clôture de l’opération et réclame des montants impayés supplémentaires, elle ne peut vraisemblablement recouvrer ces montants qu’auprès du vendeur, et non auprès de l’acheteur.
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