Introduction
Le 6 novembre 2024, l’Alberta Securities Commission (l’« ASC ») a rendu une ordonnance qui établit un précédent important relativement à l’examen des régimes de droits des actionnaires dans le sillage des modifications apportées en 2016 au régime canadien des offres publiques d’achat. Dans l’affaire Re Greenfire Resources Ltd (l’« affaire Greenfire »), l’ASC a autorisé une demande d’interdiction d’opérations à l’égard du régime de droits des actionnaires (le « régime de droits ») qui avait été adopté par Greenfire Resources Ltd. (« Greenfire ») en l’absence d’une offre publique d’achat officielle et en réponse directe à l’annonce d’une acquisition dispensée visant des actions ordinaires de Greenfire. L’ASC a également rejeté une demande reconventionnelle présentée par Greenfire dans le but d’empêcher l’acquisition.
Contexte
Le 16 septembre 2024, certains fonds gérés par Waterous Energy Fund Management Corp. (« WEF ») ont annoncé qu’ils avaient conclu des conventions d’achat d’actions visant l’acquisition de 43,3 % des actions ordinaires de Greenfire auprès de trois actionnaires de cette dernière (l’« acquisition »). Comme chacun des actionnaires vendeurs était situé à l’extérieur du Canada, l’acquisition ne constituait pas une « offre publique d’achat » au sens du Règlement 62-104 sur les offres publiques d'achat et de rachat (le « Règlement 62-104 »).
Même si le Règlement 62-104 ne s’appliquait pas à l’acquisition, l’opération a été structurée d’une manière conforme à la dispense pour contrat de gré à gré prévue à l’article 4.2 du Règlement 62-104. Entre autres conditions, les parties ont fait en sorte que les actions de Greenfire soient achetées auprès d’au plus cinq personnes et que la valeur de la contrepartie versée à chaque actionnaire vendeur ne dépasse pas 115 % du cours des actions de Greenfire (conformément à ce que prévoit le Règlement 62-104).
Le 18 septembre 2024, Greenfire a adopté le régime de droits. Le régime de droits interdisait le transfert de 20 % ou plus des actions de Greenfire, sauf aux termes d’une « offre permise » (Permitted Bid) (au sens attribué à ce terme dans le régime de droits). Le régime de droits ciblait également l’acquisition en stipulant expressément que WEF n’était pas un propriétaire véritable d’actions de Greenfire au moment de l’adoption du régime de droits. Ainsi, le régime de droits aurait eu pour effet de diluer considérablement la participation de WEF dans Greenfire à la clôture de l’acquisition.
Greenfire n’a pas obtenu l’approbation des actionnaires relativement au régime de droits. Greenfire a fait valoir que le régime de droits était justifié puisque l’acquisition minerait le processus d’examen des solutions de rechange stratégiques qui, selon Greenfire, était en cours afin de maximiser la valeur pour les actionnaires. Greenfire a également fait valoir que WEF s’était indûment livrée à une prise de contrôle « rampante » visant à acquérir un bloc de contrôle négatif d’actions de Greenfire sans verser de prime de contrôle à tous les actionnaires de Greenfire.
WEF a déposé une demande auprès de l’ASC afin de faire interdire les opérations à l’égard du régime de droits. Greenfire a alors présenté une demande reconventionnelle dans le but d’empêcher l’acquisition. Dans sa demande reconventionnelle et sa réponse à la demande d’interdiction d’opérations présentée par WEF, Greenfire s’est largement appuyée sur des allégations d’inconduite qui concernaient certains dirigeants de deux des actionnaires vendeurs, lesquels dirigeants siégeaient au conseil d'administration de Greenfire au moment où l’acquisition a été organisée. Greenfire a également soutenu que, conformément à la règle de l’appréciation commerciale, il y avait lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de son conseil d’administration et de son comité spécial d’adopter le régime de droits.
Décision de l’ASC et réponse de Greenfire
Le 6 novembre 2024, l’ASC a rendu une ordonnance interdisant les opérations à l’égard du régime de droits et rejetant la demande reconventionnelle de Greenfire. Elle publiera les raisons de sa décision ultérieurement. Peu après l’annonce de cette décision, Greenfire a adopté un nouveau régime de droits dans le cadre duquel WEF était traitée comme un propriétaire véritable d’actions de Greenfire de sorte qu’à la clôture de l’acquisition, le régime de droits ne s’appliquerait pas.
Publication des raisons à venir
Les raisons de l’ASC fourniront d’importantes indications sur l’utilisation des régimes de droits des actionnaires en vertu du régime moderne des offres publiques d’achat du Canada, particulièrement lorsqu’un régime de droits est adopté de façon tactique en l’absence d’une offre publique d’achat officielle présentée à tous les actionnaires et sans l’approbation des actionnaires ni preuve de leur appui.
Les modifications apportées au régime des offres publiques d’achat du Canada en 2016 comprenaient un certain nombre de protections à l’endroit des actionnaires; auparavant, ces derniers ne pouvaient se prévaloir de telles protections que si elles étaient prévues dans un régime de droits des actionnaires. Au nombre de ces protections figurent l’imposition d’un délai prescrit pour que le conseil d’administration de la cible ait le temps d’examiner une offre publique d’achat officielle et cherche une opération de rechange supérieure. Ces modifications ont éliminé en grande partie les justifications autrefois données par les sociétés cibles pour adopter des régimes de droits des actionnaires.
Au cours des dernières années, les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont reconnu que les régimes de droits des actionnaires jouent encore un rôle important. Dans l’affaire Greenfire, l’ASC a été appelée à examiner les limites acceptables à l’heure actuelle des régimes de droits des actionnaires, particulièrement lorsqu’un tel régime est adopté en tant que tactique visant à empêcher une offre dispensée, comme c’était le cas de l’acquisition, et sans qu’une offre publique d’achat officielle visant la société dans son ensemble n’ait été annoncée ou lancée.
En outre, dans ses raisons, l’ASC pourrait fournir des indications sur d’autres questions importantes qui ont été soulevées au cours de l’affaire Greenfire. Par exemple, des éclaircissements pourraient être fournis quant au seuil applicable à l’exercice par l’ASC de sa compétence en matière d’intérêt public, à la pertinence des allégations d’inconduite concernant des administrateurs dans le contexte de l’exercice de cette compétence, ainsi qu’au rôle des témoignages d’experts sur des questions relevant de l’expertise d’un tribunal spécialisé. Lorsque l’ASC aura publié ses raisons dans l’affaire Greenfire, nous ferons le point sur la situation dans un autre bulletin.
Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin.
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