Récemment, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (le « tribunal canadien ») a reconnu pour la première fois une instance anglaise d’arrangement volontaire d’entreprise (Company Voluntary Arrangement) (« CVA ») entamée en vertu de la Insolvency Act 1986 du Royaume-Uni (la « Insolvency Act »).
Le CVA a été reconnu aux termes de la partie IV de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada) (la « LACC »), laquelle intègre la loi type de la CNUDCI sur l’insolvabilité internationale. La procédure de CVA en question (l’« instance anglaise de CVA ») visait AllSaints USA Ltd. (« AS USA »), un détaillant constitué en société au Royaume-Uni et comptant des magasins au Canada et aux États-Unis. Bien que l’ensemble des affaires n’aient été réglées qu’en novembre 2020, l’instance anglaise de CVA avait été entamée avant les vastes réformes en matière d’insolvabilité qui ont été introduites au Royaume-Uni le 26 juin 2020 par le truchement de la Corporate Insolvency and Governance Act (2020).
L’instance anglaise de CVA a bien des points en commun avec son plus proche équivalent canadien, soit la procédure de proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada) (la « LFI »); toutefois, elle s’en distingue quant à certains aspects clés. Contrairement à une proposition en vertu de la LFI, l’instance anglaise de CVA permet non seulement à diverses sous-catégories de créanciers non garantis de recevoir des distributions ou des recouvrements, selon des modalités différentes, mais elle permet aussi de modifier des arrangements contractuels pour l’avenir entre une société en difficulté et ses cocontractants. À cet égard, tel qu’il est décrit plus en détail ci-dessous, le CVA déposé par AS USA au Royaume-Uni et reconnu par le tribunal canadien prévoyait une transition temporaire d’un modèle de loyer de base fixe à un modèle de loyer basé sur le chiffre d’affaires (pourcentage des ventes). Cela a permis à AS USA de restructurer ses obligations pour affronter les défis soulevés par la pandémie de COVID-19 et poursuivre ses activités en tant que société multinationale viable.
CONTEXTE
AllSaints Group, dont font partie AS USA et AllSaints Retail Ltd., est une marque de mode contemporaine et exploite 129 magasins autonomes et concessions en magasin dans 27 pays en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. AS USA a été constituée en société en 2001 sous le régime de la Companies Act 1985 (Royaume-Uni) en vue de faciliter l’expansion d’AllSaints Group aux États-Unis en 2009 et au Canada en 2012.
La pandémie actuelle a eu des conséquences rapides et sans précédent sur le secteur international du commerce de détail et une incidence négative marquée sur la situation de trésorerie immédiate d’AllSaints Group. Pour se conformer aux restrictions liées à la COVID-19 à l’échelle internationale, AllSaints Group a fermé la plupart de ses établissements internationaux avant la mi-mars 2020, y compris ses six magasins canadiens.
INSTANCE ANGLAISE DE CVA
Afin de surmonter ses difficultés financières et effectuer une restructuration de ses obligations liées à des baux, AllSaints Group a entrepris une instance anglaise de CVA au Royaume-Uni en vertu de la Insolvency Act.
Une instance anglaise de CVA est un processus permettant à une société de conclure un arrangement avec ses créanciers non garantis à l’égard de ses passifs et de ses obligations contractuelles pour l’avenir envers de tels créanciers. Pour donner effet à un CVA, 75 % ou plus (en valeur) de tous les créanciers ayant un droit de vote doivent voter en faveur de celui-ci et il ne faut pas que plus de 50 % (en valeur) de tous les créanciers tiers sans lien de dépendance ayant un droit de vote se prononcent contre le CVA. Si l’arrangement est approuvé par les majorités requises de créanciers, il lie tous les créanciers de la société ayant un droit de vote.
Cependant, une fois le CVA approuvé, toute personne qui avait le droit de voter à son égard peut s’adresser à la Haute Cour de l’Angleterre et du Pays de Galles, dans les délais prescrits, pour s’opposer au CVA en se fondant sur certains motifs énumérés (la « procédure de contestation »).
En l’espèce, l’objectif général du CVA entrepris par AS USA était de restaurer la viabilité financière d’AS USA au moyen des mesures suivantes : (i) conclure une transaction à l’égard de la totalité des arriérés de loyer dus par AS USA; (ii) modifier les modalités des paiements pour l’avenir aux termes de la quasi-totalité des baux d’AS USA au Canada et aux États-Unis, en optant temporairement pour un modèle de loyer basé sur un pourcentage des ventes avant de procéder à une réévaluation du loyer selon le marché; (iii) conclure une transaction visant certaines autres obligations d’AS USA liées à des magasins abandonnés, en mauvais état ou vides aux États-Unis. Le changement temporaire pour un loyer basé sur un pourcentage des ventes visait à procurer des flux de trésorerie à AS USA et à rendre ses magasins viables pendant la pandémie de COVID-19 et par la suite.
Aux termes du CVA d’AS USA, tous les locateurs ont obtenu certains droits de résiliation leur permettant de mettre fin à leurs baux restructurés respectifs après la date de prise d’effet du CVA dans l’éventualité où ils n’étaient pas satisfaits des modalités restructurées de leur bail. Fait à noter, le recouvrement d’un locateur en vertu du CVA était réduit si celui-ci exerçait ses droits de résiliation.
RECONNAISSANCE DU CVA
La partie IV de la LACC prévoit qu’un représentant étranger peut demander à un tribunal canadien de reconnaître une « instance étrangère » dans le cadre de laquelle il a qualité. Si le tribunal canadien est convaincu que la procédure en question vise une « instance étrangère », il doit préciser s’il s’agit d’une instance étrangère principale ou secondaire. Une instance étrangère principale est une instance étrangère qui a lieu dans le pays où la société débitrice a ses principales affaires.
Le processus visant à reconnaître et à donner effet au CVA au Canada comportait deux étapes. En premier lieu, le représentant étranger désigné à l’égard du CVA (le « représentant étranger ») a demandé la reconnaissance de l’instance anglaise de CVA en tant qu’instance étrangère principale, puisqu’AS USA exerçait ses principales affaires au Royaume-Uni.
Le représentant étranger d’AS USA était la personne désignée par le séquestre à l’égard du CVA entrepris au Royaume-Uni. Il s’agit d’un professionnel de l’insolvabilité agréé qui est nommé dans le CVA et dont le rôle consiste essentiellement à superviser la mise en œuvre du CVA si ce dernier obtient l’appui des majorités requises des créanciers de la société. Dans le cadre de sa demande de reconnaissance initiale, le représentant étranger a soumis au tribunal canadien une preuve d’expert sous serment concernant les pratiques et procédures prévues dans un CVA, attestant notamment que les CVA sont régulièrement utilisés au Royaume-Uni afin de modifier les modalités des baux pour l’avenir. Le 17 juin 2020, la reconnaissance et le redressement obligatoire découlant de celle-ci (prévus à la partie IV de la LACC), y compris une suspension des procédures, ont été accordés.
À la suite de la reconnaissance de l’instance anglaise de CVA, le représentant étranger, avec le concours de l’agent d’information nommé dans le cadre des procédures de reconnaissance, s’est longuement entretenu avec les locateurs pour répondre à leurs questions et préoccupations concernant le CVA.
Les créanciers d’AS USA ont approuvé le CVA le 3 juillet 2020, et tous les locateurs canadiens ont voté en faveur de celui-ci. Une fois que le CVA d’AS USA a reçu l’appui du nombre requis de créanciers ayant un droit de vote, les seules autres conditions préalables clés à la prise d’effet du CVA étaient la reconnaissance du CVA au Canada et aux États-Unis.
Pour satisfaire le test de reconnaissance, le représentant étranger a notamment dû convaincre le tribunal canadien que le CVA n’allait pas à l’encontre de l’ordre public au Canada. Le représentant étranger n’avait pas à démontrer qu’un redressement identique est prévu dans la loi canadienne en matière d’insolvabilité, mais il devait plutôt démontrer au tribunal canadien que le redressement demandé n’était pas incompatible avec les règles qui sous-tendent cette loi.
À cet égard, il a été souligné que l’instance anglaise de CVA a été menée conformément à une procédure bien établie, qui se compare aux procédures prévues par la LFI relativement à l’approbation d’une proposition et qui est compatible avec celles-ci.
À l’instar d’une procédure de proposition en vertu de la LFI au Canada, un CVA est entrepris au moyen du dépôt d’un acte, comprend la nomination d’un professionnel de l’insolvabilité agréé aux fins de la supervision de l’instance, nécessite la remise d’un nombre important d’avis aux créanciers et doit être approuvé par la majorité des créanciers; les seuils de vote requis aux termes du CVA étant comparables à ceux prévus aux termes d’une procédure de proposition.
En outre, le représentant étranger a fait valoir que la reconnaissance du CVA entrepris par AS USA n’était pas contraire à l’ordre public puisqu’AS USA est une société du Royaume-Uni, qui est assujettie à une instance au Royaume-Uni aux termes de laquelle la restructuration des obligations contractuelles d’une société pour l’avenir est non seulement permise, mais aussi monnaie courante. Un volet d’une importance critique était le fait que les locateurs conservaient leurs droits de résiliation leur permettant de mettre fin au bail, à certains intervalles de temps prescrits, si le bail révisé ne leur convenait pas. Par conséquent, les locateurs gardaient le contrôle ultime de leur avenir économique et commercial. Il a donc été avancé que le CVA était au mieux des intérêts des créanciers canadiens et qu’il procurerait le meilleur résultat possible comparativement au résultat d’une liquidation éventuelle pour les créanciers canadiens. Une preuve a également été présentée au tribunal canadien démontrant que la liquidation serait le résultat vraisemblable si le CVA n’était pas mis en œuvre.
Le 6 juillet 2020, le tribunal canadien a reconnu le CVA et lui a donné pleinement effet au Canada. À la même date, la reconnaissance a également été accordée en vertu du chapitre 15 aux États-Unis. Ces reconnaissances ont permis de remplir la dernière condition préalable clé à la prise d’effet du CVA entrepris par AS USA, qui a eu lieu le 6 juillet 2020.
À la suite de la date de prise d’effet du CVA, certaines contestations ont été déposées aux États-Unis et au Royaume-Uni, conformément à la procédure de contestation. Ces demandes ont été finalement réglées de façon consensuelle en novembre 2020 et n’ont pas eu d’incidence sur l’effectivité du CVA d’AS USA.
POINTS À RETENIR
La reconnaissance du CVA d’AS USA au Canada illustre l’utilité de la LACC en tant qu’outil permettant de faciliter des réorganisations complexes et transfrontalières. Le tribunal canadien a confirmé que même si un redressement particulier prévu aux termes d’une instance étrangère peut en principe différer du redressement prévu aux termes du régime canadien d’insolvabilité, une instance étrangère peut être reconnue lorsque, en substance, son effet juridique n’est pas contraire à l’ordre public canadien.
Blakes a agi pour le compte d’AllSaints USA Limited et de son représentant étranger dans le cadre de la procédure de reconnaissance au Canada.
Pour en savoir davantage, communiquez avec :
Sébastien Guy 514-982-4020
Linc Rogers 416-863-4168
Aryo Shalviri 416-863-2962
Caitlin McIntyre 416-863-4174
ou un autre membre de notre groupe Restructuration et insolvabilité.
Ressources connexes
Les communications de Blakes et de Classes affaires de Blakes sont publiées à titre informatif uniquement et ne constituent pas un avis juridique ni une opinion sur un quelconque sujet. Nous serons heureux de vous fournir d’autres renseignements ou des conseils sur des situations particulières si vous le souhaitez.
Pour obtenir l'autorisation de reproduire les articles, veuillez communiquer avec le service Marketing et relations avec les clients de Blakes par courriel à l'adresse [email protected].
© 2024 Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.