Introduction
La Cour suprême du Canada (la « CSC ») a accueilli les requêtes en autorisation d’appel visant les décisions Ernst & Young Inc. v. Aquino (l’« affaire Aquino ») et Golden Oaks Enterprises Inc. v. Scott (l’« affaire Golden Oaks »), lesquelles portent toutes les deux sur l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société dans un contexte d’insolvabilité. En général, selon cette doctrine, il est possible d’imputer les actions, l’intention et/ou la connaissance de l’« âme dirigeante » d’une société à la société elle-même. Les principales différences entre les affaires Aquino et Golden Oaks quant à l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société et aux arguments préliminaires des intervenants sont présentées dans notre Bulletin Blakes précédent sur le sujet, intitulé Attribution d’un acte à une société : principales différences entre les affaires Aquino et Golden Oaks.
Depuis la publication de ce bulletin, l’Institut d’insolvabilité du Canada (l’« IIC »), une association sectorielle sans but lucratif de premier plan qui se consacre à la promotion d’un leadership éclairé au sein du domaine de l’insolvabilité commerciale, et le procureur général de l’Ontario (le « PGO ») ont déposé auprès de la CSC des mémoires présentant leurs opinions au sujet de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société. L’IIC a également déposé une requête en autorisation d’intervention au sujet d’une question distincte en matière de compensation liée au paragraphe 97(3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI »), laquelle requête a récemment été accueillie par la CSC. Le présent bulletin résume les mémoires d’intervention de l’IIC et du PGO sur la doctrine de l’attribution d’un acte à une société, ainsi que les documents connexes à la requête en autorisation d’intervention de l’IIC au sujet de la question distincte de la compensation liée au paragraphe 97(3) de la LFI.
Arguments figurant dans les mémoires de l’IIC et du PGO
Dans son mémoire, l’IIC confirme qu’elle souhaite intervenir dans l’affaire Aquino afin de (1) clarifier qu’il n’était pas prévu que le critère de l’attribution d’un acte à une société établi dans l’arrêt Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine (l’« arrêt Dredge ») devait s’appliquer dans tous les cas, et (2) recommander que la CSC confirme qu’il existe des exceptions à l’égard de l’application de la « doctrine de l’identification ».
L’IIC fait valoir que l’arrêt Dredge est le principal précédent en common law canadienne en ce qui a trait à la doctrine de l’identification. La doctrine de l’identification à la société s’applique lorsqu’un acte commis par l’âme dirigeante d’une société (i) entrait dans le domaine d'attribution des fonctions attribuées à la personne en question; (ii) n'était pas complètement frauduleux envers la société; et (iii) avait pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la société. Lorsque ce critère est satisfait, les actions, l’intention et la connaissance de l’âme dirigeante peuvent être imputées à la société. Toutefois, la doctrine reconnaît l’existence de « moyens de défense » fondés sur l’intérêt public, lesquels s’apparentent à des exceptions. Dans l’arrêt Deloitte & Touche c. Livent Inc. (l’« arrêt Livent »), la CSC s’est appuyée sur le raisonnement développé dans l’arrêt Dredge au sujet des exceptions à l’application de la doctrine pour s’abstenir d’appliquer la doctrine de l’attribution d’un acte à une société.
Dans l’arrêt Livent, la question en litige était de déterminer si le vérificateur avait fait preuve de négligence en ne décelant pas la fraude commise par les dirigeants de Livent Inc. Pour sa défense, le vérificateur a notamment invoqué le fait que la fraude commise par les dirigeants devait être imputée à Livent Inc. afin d’empêcher que cette dernière obtienne des dommages-intérêts auprès du vérificateur. La CSC s’est abstenue d’appliquer la doctrine de l’attribution d’un acte à une société en raison du contexte et du but de la vérification exigée par la loi (soit, essentiellement, de déceler un acte fautif) et a déterminé qu’il n’était pas dans l’intérêt public d’appliquer la doctrine. Les arrêts Dredge et Livent confirment tous les deux que des exceptions existent à l’égard d’une application stricte de la doctrine de l’identification selon le contexte précis dans lequel la doctrine de l’attribution d’un acte à une société est invoquée et le but visé par l’application de celle-ci.
Dans son mémoire, l’IIC recommande que le contexte et l’objet d’une disposition législative précise en litige servent de guide pour analyser la question de l’attribution d’un acte à une société. Il fait valoir que la fin parlementaire visée par l’adoption d’une disposition précise ne devrait pas être écartée au profit d’objectifs plus larges liés à l’intérêt public. Une exception à la doctrine de l’identification ne serait justifiée que si l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société était contraire à l’objectif fondamental de la disposition en cause, lequel pourrait être, dans certaines circonstances, le recouvrement des créances des créanciers, mais pas nécessairement dans tous les cas. Pour étayer ses propos, l’IIC a différencié l’objectif de l’article 96 (recouvrement de créances) de celui visé par l’article 71 et l’alinéa 30(1)d) de la LFI (ensemble, faire valoir une réclamation à titre de successeur du débiteur) afin de démontrer que l’analyse relative à l’attribution d’un acte à une société requiert une approche au cas par cas. En résumé, l’objectif d'une disposition doit guider l’analyse relative à l’attribution d’un acte à une société, laquelle ne devrait pas simplement conduire le tribunal compétent à répondre à des préoccupations liées à l’intérêt public et à approuver la solution offrant le recouvrement maximal des créances des créanciers.
Le mémoire du PGO renferme des recommandations similaires, quoique d’une portée plus large. Le PGO considère que les appels des décisions rendues dans les affaires Aquino et Golden Oaks offrent à la CSC l’occasion de clarifier l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société à de nouveaux contextes législatifs plus étendus plutôt que de limiter sa décision au contexte de l’insolvabilité. Lorsque la législation en cause ne contient pas de dispositions prévoyant la possibilité d’attribuer un acte à une société, le PGO propose une approche similaire à celle mise de l’avant par l’IIC, soit que la doctrine de l’attribution d’un acte à une société devrait être appliquée en tenant compte du libellé, du contexte et de l’objet de la disposition législative pertinente. Le PGO et l’IIC précisent tous les deux que leurs soumissions à la CSC vont dans le même sens que la jurisprudence établie au Royaume-Uni en matière d’attribution d’un acte à une société.
Arguments de l’IIC au sujet de la compensation
Le 16 août 2023, l’IIC a obtenu l’autorisation d’intervenir dans l’affaire Golden Oaks relativement à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») laissant entendre que la compensation possible en vertu du paragraphe 97(3) de la LFI devrait être circonscrite à des cas limités afin d’éviter qu’un créancier ne prenne rang avant l’ensemble des créanciers (pour autant que le montant de compensation permettrait à ce créancier de recouvrer intégralement le montant de sa créance). Sur cette question, le mémoire de l’IIC avance que la décision de la CAO fait fausse route en favorisant une considération légitime en equity (éviter qu’un créancier ne soit privilégié par rapport à d’autres créanciers) plutôt qu’une autre (empêcher un créancier ayant à la fois une créance due à un failli et une réclamation à l’encontre de celui-ci à la date de la faillite en cause de régler sa dette alors qu’il ne recouvre qu’une petite fraction de sa réclamation contre le failli). Qui plus est, le mémoire de l’IIC fait valoir que la décision de la CAO n’est pas conforme au libellé explicite du paragraphe 97(3) selon lequel la compensation s’applique « de la même manière et dans la même mesure que si » la compensation était traitée en dehors du régime de l’insolvabilité. Par conséquent, l’IIC fait valoir que la CSC devrait simplement se conformer à l’orientation législative prévue au paragraphe 97(3) de la LFI et fournie dans le précédent que celle-ci a établi dans la décision Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, soit que « le législateur fédéral autorise la partie qui invoque la compensation à « modifier » l'ordre de priorité qu'il a établi en matière de faillite, en raison de l'application des règles de la compensation ».
Conclusion
Les mémoires de l’IIC et du PGO fournissent plus de précisions sur les arguments que chaque intervenant invoquera devant la CSC au sujet de l’attribution d’un acte à une société et de la compensation, selon le cas. La décision que rendra la CSC sur chaque question aura sans nul doute une incidence considérable sur le régime de l’insolvabilité.
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Ressources connexes
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