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Autorité des marchés financiers c. Ordre des comptables professionnels agréés du Québec : Les limites du secret professionnel des CPA dans un contexte de dénonciation financière

Par Simon Seida, Philippe Dubois et Marc-André Otis (stagiaire)
13 décembre 2024

Le 12 novembre 2024, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision importante dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. Ordre des comptables professionnels agréés du QuébecCet arrêt concerne l’article 17.0.1 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier (la « Loi »), qui protège les personnes dénonçant des violations aux lois encadrant l’industrie financière. Cette disposition permet à une personne de dénoncer un client malgré toute obligation de confidentialité la liant à celui-ci, y compris en raison du secret professionnel.

L’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (l’« Ordre ») a attaqué la validité constitutionnelle de cette disposition et soutenu que cette dernière était inapplicable aux comptables professionnels agréés (les « CPA »). L’Ordre plaidait que l’article 17.0.1 de la Loi pouvait entraîner les CPA à violer les droits au respect de la vie privée et du secret professionnel de leurs clients, protégés par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (la « Charte »). Contrairement au jugement rendu en première instance, la Cour d’appel a rejeté les arguments de l’Ordre et conclu que l’article 17.0.1 de la Loi était constitutionnellement valide et applicable aux CPA.

Article 17.0.1 de la Loi et dispositions pertinentes de la Charte

Introduit en 2018, l’article 17.0.1 de la Loi vise à protéger toute personne, autre qu’un notaire ou un avocat, qui fournit à l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») de l’information relative à des violations aux lois encadrant le secteur des produits et des services financiers, dont la Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur la distribution des produits et services financiers. Cette disposition protège un dénonciateur malgré toute obligation de confidentialité pouvant le lier, notamment, à un client.

Selon les articles 5 et 9 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et du secret professionnel. L’article 9 ajoute que toute personne tenue par la loi au secret professionnel – y compris un CPA – ne peut divulguer les renseignements confidentiels qui lui ont été révélés en raison de sa profession, à moins qu’elle n’y soit autorisée par celui qui lui a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi. 

Décision de la Cour supérieure du Québec

En première instance, le juge Marc Saint-Pierre, accueille la demande de l’Ordre et déclare que l’article 17.0.1 de la Loi porte atteinte au droit au respect à la vie privée des clients des CPA, protégé par l’article 5 de la Charte. Selon le premier juge, cette atteinte ne peut pas se justifier en vertu de l’article 9.1 de la Charte, qui permet dans certaines circonstances au tribunal de conclure à la validité d’une disposition législative dérogeant à un droit protégé par la Charte.

Arrêt de la Cour d’appel du Québec

La Cour d’appel, sous la plume du juge Michel Beaupré, infirme le jugement de première instance. Dans un premier temps, elle conclut que l’article 17.0.1 de la Loi constitue une « disposition expresse de la loi » faisant exception au droit au respect du secret professionnel du client d’un CPA, selon les termes mêmes de l’article 9 de la Charte.

Cela dit, la Cour d’appel poursuit son raisonnement et conclut que l’article 17.0.1 de la Loi ne porte pas atteinte au droit au respect du secret professionnel du client d’un CPA, protégé par l’article 9 de la Charte. Selon la Cour d’appel, l’expectative raisonnable d’une personne quant au respect de sa vie privée est moindre à l’égard de documents commerciaux soumis à un CPA que de renseignements fondamentalement personnels, touchant par exemple « le droit à l’autonomie dans l’aménagement de sa vie personnelle et familiale » ou « les éléments relatifs à l’état de santé, la vie amoureuse ou l’orientation sexuelle » d’un individu. Cette expectative est moindre encore, voire « faible » ou « très peu élevée », dans le contexte d’activités commerciales réglementées par l’AMF, notamment dans les secteurs des valeurs mobilières et des services financiers. Toujours selon la Cour d’appel, le droit au respect du secret professionnel n’a pas la même portée pour le client d’un CPA que pour celui d’un avocat ou d’un notaire. Elle conclut que l’article 17.0.1 de la Loi, en permettant aux CPA de divulguer des renseignements de leurs clients pour dénoncer des violations aux lois encadrant l’industrie financière, ne porte pas atteinte à leur droit au respect du secret professionnel.

La Cour d’appel réaffirme toutefois l’application du droit au respect du secret professionnel pour le client d’un avocat ou d’un notaire et du privilège relatif au litige en dépit de l’article 17.0.1 de la Loi. Ainsi, les renseignements couverts par le secret professionnel de l’avocat ou du notaire en la possession d’un CPA demeurent privilégiés, ainsi que les renseignements transmis par un avocat à un CPA en vue de préparer un litige.

Conclusion

Cet arrêt de la Cour d’appel du Québec réitère l’importance de la protection du public dans le secteur financier et la légitimité des mécanismes de dénonciation prévus par la Loi. Il constitue un précédent important pour les professionnels du secteur financier et les autorités réglementaires en clarifiant les limites du secret professionnel des CPA et les conditions dans lesquelles il peut être levé pour des raisons d’intérêt public. 

Nous vous invitons à suivre nos prochaines publications advenant un appel de l’arrêt à la Cour suprême du Canada.

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