Moins d’un mois après l’entrée en vigueur de ses pouvoirs d’examen et de traitement des plaintes relatives aux processus d’adjudication ou d’attribution des contrats publics, l’Autorité des marchés publics (l’« AMP ») a rendu sa première décision le 21 juin dernier en ordonnant l’annulation d’un appel d’offres publié par le CHU de Québec-Université Laval (le « CHU »).
Par cette décision, l’AMP réaffirme les principes d’égalité de traitement des soumissionnaires, d’accès aux marchés publics par des fournisseurs qualifiés et de saine gestion des fonds publics en concluant qu’un appel d’offres dit « dirigé », c’est-à-dire dont l’objectif est de favoriser un soumissionnaire potentiel au détriment de ses concurrents en imposant des exigences susceptibles de l’avantager, n’est pas conforme au cadre normatif applicable.
L’AMP se fonde notamment sur les principes fondamentaux de la Loi sur les contrats des organismes publics (la « LCOP ») et applique les règles de l’Accord de libre-échange canadien (« ALEC ») et de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union Européenne (l’« AECG ») relatives aux spécifications techniques, notamment l’interdiction que leur rédaction crée des obstacles non nécessaires au commerce.
CONTEXTE
L’appel d’offres (l’« AO ») du CHU visait l’acquisition d’équipements de réseau sans fil afin d’étendre aux nouveaux bâtiments du CHU son réseau existant. Le CHU décide de limiter son AO à l’acquisition d’équipements additionnels du même manufacturier que celui de son réseau sans fil existant en spécifiant la marque désirée dans les spécifications techniques et en incluant dans le bordereau des prix le nom et la description des équipements tirés du catalogue de ce manufacturier. Selon l’analyse de l’AMP, les documents de l’AO ne permettaient pas aux soumissionnaires potentiels de proposer une solution de rechange ou un substitut aux équipements de ce manufacturier, en l’absence d’un addenda ou de dispositions dans la documentation de l’AO à cet effet.
À la suite de la publication de cet AO, l’AMP reçoit des renseignements selon lesquels « les conditions de l’appel d’offres ne favoriseraient pas une saine concurrence » et accepte d’intervenir suivant une analyse préliminaire du dossier. Il est à noter que l’AMP peut recevoir des renseignements du public et exercer ses pouvoirs à cet égard, même si ces renseignements lui sont fournis de manière anonyme.
Dans le cadre de son examen, l’AMP apprend du CHU que son choix de limiter l’AO aux équipements d’un manufacturier en particulier s’explique par des considérations monétaires et de familiarité de son personnel technique avec les équipements de ce manufacturier. Le CHU confirme cependant qu’aucune étude officielle ou autre démarche n’a été effectuée ou entreprise par le CHU afin de vérifier s’il existait des équipements d’un autre manufacturier qui pourraient être « raisonnablement satisfaisants ou compatibles avec les systèmes et infrastructures existantes ». Selon le CHU, de telles études ou démarches ne se justifiaient pas puisqu’elles requéraient la mobilisation de ressources et comportaient des coûts trop importants.
ANALYSE
La question qui se pose est de savoir si le CHU s’est conformé au cadre normatif applicable en limitant son AO, et donc les spécifications techniques des équipements à acquérir, à un seul manufacturier.
Les dispositions pertinentes du cadre normatif incluent les principes fondamentaux de la LCOP que tout organisme public et appel d’offres public doit respecter, et également certains accords de libre-échange, dont les dispositions spécifiques de l’ ALEC et, plus particulièrement, de l’AECG (qui sont plus clairement limitatives) sur les spécifications techniques.
Dans le cadre de son analyse, l’AMP précise que selon le cadre normatif applicable, la règle qui aurait dû prévaloir est la rédaction des spécifications techniques en termes de performance et d’exigences fonctionnelles en se fondant, si elles existent, sur des normes ou standards reconnus, plutôt qu’en termes de conception ou de caractéristiques descriptives, et ce, afin de favoriser l’accès des soumissionnaires aux contrats publics et de ne pas créer des obstacles indus au commerce. Ainsi, tout équipement, produit ou autre qui répondrait à ces exigences sera acceptable. L’utilisation d’un nom commercial, d’une marque ou autre caractéristique descriptive dans la rédaction des exigences techniques d’un bien, produit ou de tout autre élément requis doit demeurer l’exception, et ce, même si l’appel d’offres permet aux soumissionnaires de proposer des biens « équivalents » ou des « substituts ». Le recours à cette exception ne peut se justifier que s’« il n’y a aucun moyen suffisamment précis ou intelligible de décrire autrement les exigences du contrat ».
De plus, le recours à cette exception par un organisme public doit être documenté de manière sérieuse par des études et d’autres démarches afin qu’il puisse en faire la démonstration, et ce, même si cela implique de solliciter des ressources ou a un coût. L’expertise des employés de l’organisme public ou leur familiarité avec un équipement donné ne justifie pas la limitation d’un appel d’offres à un équipement donné.
L’AMP considère que le CHU ne lui a pas fourni de justification adéquate quant à l’approche adoptée et que l’absence d’études sérieuses et documentées est fatale. Compte tenu des non-conformités soulevées et des conséquences de rectifier la documentation de l’AO pour les corriger, notamment sur les soumissionnaires potentiels, l’AMP ordonne l’annulation de l’AO.
CONCLUSION
Cette première décision, attendue par tous, confirme l’importance du rôle de l’AMP ainsi que le sérieux et la rigueur dont elle fait preuve dès le début de l’exercice de son rôle. L’AMP lance un signal fort aux soumissionnaires potentiels et leur démontre qu’elle effectuera un suivi des renseignements fournis et usera de son pouvoir d’intervention, lorsque justifié.
Cette décision confirme également que l’AMP compte exercer son rôle d’autorité neutre et indépendante de supervision et de contrôle des marchés publics au Québec et s’assurer du respect par les organismes publics de l’ensemble des normes applicables aux marchés publics, y compris les accords de libéralisation. Elle indique également que l’AMP n’hésitera pas à annuler un appel d’offres, lorsqu’elle le juge nécessaire.
Quant au fond, cette décision répond aux multiples préoccupations des fournisseurs intéressés à faire affaire avec les organismes publics, notamment dans le domaine de la santé, quant à la manière dont les exigences techniques sont rédigées, limitant souvent la participation de fournisseurs potentiels et empêchant la proposition de produits ou de biens innovants.
Pour plus d’information sur la marche à suivre pour déposer une plainte ou fournir des renseignements et pour connaître les pouvoirs de l’AMP, vous pouvez consulter le site de l’AMP.
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