Sauter la navigation

Budget fédéral 2023 : Répercussions sur le Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité

6 avril 2023

Le 28 mars 2023, le gouvernement fédéral a publié son budget de 2023 (le « Budget 2023 »), lequel propose d’importants changements au régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « LRPC-FAT »).

Parallèlement, le ministère des Finances a également publié :

  • une mise à jour de l’évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada (l’« évaluation des risques inhérents »);

  • un rapport sur le cadre de mesure du rendement relatif au Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes;

  • la Stratégie du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes 2023-2026 (la « Stratégie du Régime »).

Ces publications simultanées comportent beaucoup de contenu qu’il y a lieu d’examiner aux présentes.

Budget 2023

Dans le Budget 2023, le gouvernement fédéral propose d’apporter des modifications à la LRPC-FAT (et au Code criminel) pour renforcer les outils d’enquête, d’application de la loi et d’échange d’information du régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité (« LRPC ») et le financement des activités terroristes (« FAT »). Ce qui suit résume l’impact de ces modifications auprès des entités réglementées :

  • Structuration. Conformément à la législation sur la LRPC dans d’autres territoires, le Budget 2023 prévoit l’instauration d’une nouvelle infraction relativement à la structuration d’opérations financières visant à éviter la déclaration au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (« CANAFE »). Cela obligera vraisemblablement les entités réglementées à mettre en place des contrôles pour repérer des comportements de structuration, si elles ne procèdent pas encore à de telles recherches. En 2018, il avait été envisagé d’ajouter la structuration d’opérations financières comme infraction à la LRPC-FAT. À l’époque, la recommandation à cet effet comportait deux volets :

    • la structuration par une personne ou une entité d’une opération pour éviter d’avoir à la déclarer pourrait constituer une infraction criminelle;

    • plus important encore pour les entités réglementées, il pourrait être interdit aux entités déclarantes de structurer leurs modèles d’affaires et leur prestation de services de sorte que leurs clients puissent structurer des opérations afin d’éviter les exigences de matière de déclaration.

L’interdiction proposée au deuxième point pourrait obliger les entités réglementées à configurer leurs systèmes de façon à ce qu’il ne soit pas permis aux clients de structurer des opérations, une tâche plutôt fastidieuse pour ces entités. Une fois que les modifications proposées à la LRPC-FAT seront publiées, la portée des dispositions en matière de structuration sera plus claire.

  • Vérification des casiers judiciaires. La LRPC-FAT sera modifiée de sorte que les casiers judiciaires des personnes exerçant des activités au sein d’entreprises de services monétaires (« ESM ») (soit, vraisemblablement, les propriétaires véritables et les membres de la haute direction) feront l’objet d’une vérification avant l’enregistrement. Cette modification faisait partie des recommandations de la Commission Cullen.

  • ESM non enregistrées. Des modifications seront apportées à la législation afin de criminaliser l’exploitation d’ESM non enregistrées. Compte tenu de l’interprétation variable du type d’activité qui est qualifié d’activité d’ESM, la criminalisation ne s’appliquerait vraisemblablement qu’aux ESM qui font fi du régime de manière flagrante.

  • Dénonciation. Le régime sera mis à jour de manière à fournir des protections aux employés lanceurs d’alerte qui communiquent des renseignements à CANAFE. La dénonciation en tant qu’outil de conformité est utilisée plus fréquemment au Canada, plus récemment en vertu de modifications apportées à la Loi sur les banques.

  • Obligation de déclaration relative aux sanctions. Aux termes des modifications proposées dans le Budget 2023, le secteur financier serait désormais tenu de communiquer à CANAFE les renseignements sur les sanctions. À l’heure actuelle, les renseignements sur les sanctions doivent être communiqués à la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») et au Service canadien du renseignement de sécurité (« SCRS »). À notre avis, le fait que CANAFE participe à la conformité aux sanctions constitue un développement important et pourrait modifier l’approche réglementaire actuelle en matière de conformité en ce qui a trait aux sanctions canadiennes qui ne sont appliquées que dans les circonstances les plus flagrantes.

Propriété effective

Comme le savent la plupart des intervenants au sein de l’écosystème de la LRPC, le manque de transparence en matière de propriété effective des sociétés privées a toujours été considéré comme un facteur de risque élevé du point de vue du recyclage des produits de la criminalité, étant donné que les sociétés peuvent servir à dissimuler la propriété effective de biens, d’entreprises et d’autres actifs de valeur.

Pour parer en partie à ces risques, des modifications ont été apportées à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») en 2022 afin d’exiger que les sociétés tiennent un registre des particuliers ayant un « contrôle important ». Dans le Budget 2023, le gouvernement fédéral propose d’autres modifications à la LCSA et à la LRPC-FAT dans le but de mettre en place un registre sur la propriété effective qui serait accessible au public. Les nouvelles modifications proposées à la LRPC-FAT revêtiront sans doute une grande importance pour les entités réglementées, selon la nature des modifications qui seront apportées.

À cet égard, la modification proposée à la LRPC-FAT à l’égard de la mise en place d’un registre de la propriété effective touche la portée du pouvoir réglementaire. En effet, un nouveau pouvoir de réglementation a été ajouté; celui-ci permet de prendre, par règlement, différentes mesures, notamment : régir la vérification de l’identité des personnes et entités visées à l’article 6.1 « et exiger la déclaration à des organismes ou autres autorités publiques de tout écart dans les renseignements qui sont obtenus dans le cadre de cette vérification et qui portent sur les personnes ou entités ayant la propriété bénéficiaire ou le contrôle de toute entité ».

Le libellé actuel de l’article 6.1 de la LRPC-FAT exige des entités réglementées qu’elles vérifient l’identité d’une personne (ou entité) conformément aux règlements. Compte tenu du nouveau pouvoir de réglementation, les entités réglementées seraint de surcroît tenues de déclarer au gouvernement tout écart entre les renseignements sur la propriété effective fournis par un client et les renseignements sur la propriété effective qui figureraient éventuellement au registre. À la lumière du libellé des dispositions relatives à ce nouveau pouvoir de réglementation, quelques constats peuvent être dégagés :

  • Comme les entités réglementées seront tenues de déclarer toute erreur décelée dans les renseignements figurant au registre sur la propriété effective, il y a lieu d’en conclure que les entités réglementées ne pourront pas se fier uniquement à ce registre pour confirmer la propriété effective d’une société. Elles devront tout de même effectuer des demandes de renseignements sur la propriété effective auprès de leurs clients, comme c’est le cas actuellement.

  • Il semblerait que les entités réglementées auront la responsabilité de s’assurer que le registre reste à jour, puisqu’elles auront l’obligation de signaler aux organismes gouvernementaux toute irrégularité qu’elles pourraient constater. Par conséquent, la mise à jour et l’exactitude du registre incomberont aux entités réglementées.

Évaluation des risques inhérents

Le rapport de l’évaluation des risques inhérents produit par le gouvernement fédéral n’a pas été mis à jour depuis 2015, soit l’année de la publication de la première édition de ce rapport. Cette évaluation porte sur les vulnérabilités inhérentes au recyclage des produits de la criminalité et au financement du terrorisme pour divers secteurs et produits financiers au Canada. Les renseignements contenus dans l’évaluation sont à la fois instructifs et importants. Du point de vue des entités réglementées, l’évaluation des risques inhérents « fournit des informations essentielles sur les risques au public et, en particulier, à plus de 24 000 entités réglementées [...] qui ont des obligations de déclaration en vertu de la [LRPC-FAT], dont la compréhension des risques fondamentaux et inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement du terrorisme s’avère primordiale à l’application des mesures préventives et des contrôles requis pour atténuer efficacement ces risques ».

Le texte qui précède clarifie les attentes réglementaires selon lesquelles les entités réglementées assujetties à la LRPC-FAT sont non seulement tenues d’examiner ces risques inhérents et d’en prendre connaissance, mais aussi d’élaborer des systèmes et des contrôles pour surveiller ces risques. À cet égard, dans son manuel d’évaluation (concernant les examens réglementaires), CANAFE indique que ses examens ciblent les domaines dans lesquels une entreprise peut être vulnérable aux risques du recyclage des produits de la criminalité et du financement du terrorisme. Par ailleurs, dans son manuel, CANAFE prévoit ce qui suit :

« Lorsque nous déterminons les risques auxquels votre entreprise peut être exposée, nous comptons sur notre expérience, nos connaissances, notre formation et notre jugement professionnel. Nous tenons compte des renseignements pertinents tirés des publications et des directives de CANAFE. Nous pouvons aussi prendre en considération des renseignements pertinents provenant de rapports et de publications accessibles au public sur le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes qui ont été publiés par des sources crédibles et bien connues. »

Par conséquent, il est clair que CANAFE s’attend à ce que les entités réglementées tiennent compte du contenu de l’évaluation des risques inhérents dans le cadre de la mise à jour de leurs programmes de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité.

Examen législatif de la LRPC-FAT

Dans le Budget 2023, le gouvernement fédéral confirme son intention de lancer un examen de la LRPC-FAT en 2023, lequel examen comportera également une consultation publique. Il y note aussi qu’il examinera le besoin possible d’implanter de nouvelles mesures, y compris les dernières recommandations de la Commission Cullen. Certaines recommandations de cette commission sont déjà en cours de mise en œuvre en vertu de la LPRC-FAT, notamment en ce qui concerne la réglementation des courtiers en prêts hypothécaires et les vérifications de casiers judiciaires pour les ESM.

Les autres recommandations comprennent également la déclaration des opérations importantes en espèces dans le secteur des produits de luxe, le recours à des ordonnances relatives à une richesse inexpliquée (lequel recours est actuellement à l’étude en Colombie-Britannique) et la réglementation des prêteurs privés. Selon la Stratégie du Régime (présentée plus en détail ci-après), l’examen prévu offre l’occasion de tenir le régime de la LRPC à jour en réponse aux développements du marché.

Stratégie du Régime

La Stratégie du Régime présente le plan du gouvernement fédéral visant à combler les lacunes du cadre canadien en matière de LRPC pour la période de 2023 à 2026; par ailleurs, l’une des principales considérations à cet égard est le niveau approprié du fardeau réglementaire imposé aux entités réglementées.

L’une des mesures prioritaires du gouvernement fédéral consiste à établir une agence canadienne des crimes financiers pour renforcer la capacité du Canada de réagir rapidement à des cas complexes de crimes financiers. La Stratégie du Régime indique aussi que pour appuyer les poursuites relatives aux accusations de non-conformité en vertu de la LRPC-FAT, CANAFE s’efforcera d’accroître la sensibilisation aux enquêtes sur les cas de non-conformité et collaborera avec le Service des poursuites pénales du Canada pour mieux faire connaître les enquêtes et les poursuites relatives aux accusations de non-conformité en vertu de la LRPC-FAT. Cette mesure renvoie vraisemblablement à la criminalisation des ESM non enregistrées.

La Stratégie du Régime vise également à améliorer le régime LRPC canadien, notamment en abordant les lacunes au chapitre du partage de l’information, ainsi que les écarts ayant trait aux organismes sans but lucratif et aux organismes de bienfaisance enregistrés. De plus, la Stratégie du Régime indique que le ministère des Finances continuera d’évaluer et d’atténuer les risques que présentent les nouvelles technologies associées à des actifs virtuels, comme la finance décentralisée et les cryptomonnaies à encodage évolué. À l’heure actuelle, la LRPC-FAT réglemente les monnaies virtuelles et non les actifs virtuels.

Comme les méthodes utilisées pour le recyclage des produits de la criminalité et le financement du terrorisme continuent d’évoluer, le cadre réglementaire doit garder le pas. Par conséquent, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de s’attendre à ce que d’autres modifications soient apportées à la LRPC-FAT. Demeurez à l’affût.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Annick Demers                     +1-514-982-4017
Jacqueline D. Shinfield          +1-416-863-3290

ou un autre membre de notre groupe Réglementation des services financiers.

Plus de ressources