Dans l’affaire Pinnacle Living (Capstan Village) Lands Inc. v. Fairway Recycle Group Inc. (l’« affaire Pinnacle Living »), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») s’est récemment penchée sur la capacité d’un propriétaire d’obtenir la mainlevée d’un privilège en versant au tribunal le montant de la retenue de garantie prévue à l’article 23 de la loi de la Colombie-Britannique intitulée Builders Lien Act lorsque le propriétaire a prétendument convenu directement avec le créancier privilégié de payer les factures impayées.
La CACB a statué que le fait que le propriétaire aurait prétendument convenu de régler les factures qu’un entrepreneur n’a pas payées à un sous-traitant ne modifie aucunement le lien contractuel entre l’entrepreneur et le sous-traitant quant à la fourniture de travaux et de services en vue d’améliorations apportées au terrain du propriétaire, laquelle fourniture étant à l’origine des droits de privilège du sous-traitant. L’accord conclu directement entre le propriétaire et le sous-traitant pour le paiement des factures impayées ne constitue pas un contrat pour la fourniture de travaux ou de matériaux, ne crée pas de droits de privilège et ne modifie pas les obligations relatives à la retenue de garantie ni ne crée de nouvelles obligations de retenue de garantie. Par conséquent, le propriétaire pouvait se prévaloir de l’article 23 de la Builders Lien Act et obtenir la mainlevée du privilège en versant au tribunal le montant de la retenue de garantie en question.
Contexte
Pinnacle Living (Capstan Village) Lands Inc. (« Pinnacle »), le propriétaire et promoteur d’un projet d’aménagement à Richmond, en Colombie-Britannique, avait retenu les services de Mondiale Development Ltd. (« Mondiale ») à titre d’entrepreneur général pour le projet. Mondiale avait de son côté retenu les services de Tarrier Group Inc. (« Tarrier ») à titre de sous-traitant, Tarrier ayant quant à lui confié certains travaux en sous-sous-traitance à Fairway Recycle Group (« Fairway »).
Pendant la réalisation du projet, Tarrier a omis de régler certaines factures soumises par Fairway. En raison des factures en souffrance, Fairway a tenu des discussions avec Mondiale et Pinnacle, à la suite desquelles, selon Fairway, Pinnacle aurait convenu de payer les factures en échange de quoi Fairway aurait convenu de ne pas enregistrer de privilège contre les biens (une « entente d’abstention en échange d’un paiement »). Toutefois, Pinnacle ayant omis de payer les factures en souffrance, Fairway a enregistré un privilège contre les biens.
Pinnacle a demandé au tribunal d’ordonner la mainlevée du privilège (parmi d’autres enregistrés par d’autres sous-traitants) conformément à l’article 23 de la Builders Lien Act. Ce faisant, Pinnacle cherchait à obtenir la mainlevée de tous les privilèges en versant au tribunal le montant de la retenue de garantie prévue dans la loi, plutôt que le montant total de tous les privilèges revendiqués. Fairway a fait valoir que Pinnacle ne pouvait invoquer l’article 23 pour obtenir la mainlevée de son privilège puisque Pinnacle avait contracté avec Fairway en lien direct avec la convention d’abstention en échange d’un paiement. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a accepté l’argumentation de Fairway et a statué que, comme la convention d’abstention en échange d’un paiement constituait un contrat direct entre le propriétaire et le sous-sous-traitant, le propriétaire ne pouvait pas obtenir la mainlevée du privilège en vertu de l’article 23 de la Builders Lien Act.
Décision de la Cour d’appel
En appel, la CACB a dégagé deux arrangements contractuels distincts :
- Le sous-traitant (Tarrier) a retenu les services du sous-sous-traitant (Fairway) pour la fourniture de travaux et de services en lien avec une amélioration visant le terrain du propriétaire.
- Après l’achèvement des travaux de Fairway conformément à l’entente que celle-ci avait conclue avec Tarrier, le propriétaire (Pinnacle) et le sous-sous-traitant (Fairway) ont conclu la convention d’abstention en échange d’un paiement, aux termes de laquelle le propriétaire avait convenu de payer les factures en souffrance en échange de quoi le sous-sous-traitant avait convenu de ne pas enregistrer de privilège.
L’article 23 de la Builders Lien Act énonce qu’un propriétaire peut obtenir la mainlevée de privilèges enregistrés contre ses biens par un sous-traitant en effectuant un paiement au tribunal, pourvu que le propriétaire n’ait pas directement retenu les services du sous-traitant. La CABC a précisé que l’article 23 renvoie uniquement aux contrats relatifs à des travaux ou à des matériaux fournis aux fins d’une amélioration. Cet article ne s’applique pas à tous les contrats entre des propriétaires et des sous-traitants.
La CACB a conclu que la convention d’abstention en échange d’un paiement ne modifiait pas les droits de privilège ni les obligations des parties en vertu de la Builders Lien Act, car elle ne modifiait pas le contrat antérieur entre le sous-traitant et le sous-sous-traitant. Le contrat conclu entre Fairway et Tarrier donne ouverture aux droits de privilège de Fairway et aux obligations de retenue de garantie de Pinnacle, alors que, étant donné que la convention d’abstention en échange d’un paiement subséquente entre Pinnacle et Fairway n’était pas un contrat pour la fourniture de travaux et de matériaux en vue d’une amélioration, cette convention ne créait pas de droits de privilège ni ne modifiait les droits de privilège existants des parties et les obligations de retenue des parties.
Concluant que Pinnacle avait le droit d’obtenir la mainlevée du privilège de Fairway à la suite du versement du montant de la retenue prévue par la loi en vertu de l’article 23 de la Builders Lien Act, la CACB a accueilli l’appel. Toutefois, la CACB a noté que ceci n’aurait pas d’incidence sur les droits distincts de Fairway d’intenter une poursuite en violation alléguée de la convention d’abstention en échange d’un paiement.
Principaux points à retenir
L’affaire Pinnacle Living précise que, pour l’application de la Builders Lien Act, les arrangements contractuels directs subséquents entre un propriétaire et un sous-traitant ne modifieront pas les arrangements contractuels précédents entre des sous-traitants et des entrepreneurs généraux. Cette affaire suggère également que la Builders Lien Act pourrait ne pas s’appliquer dans le cas d’une entente entre un propriétaire et un sous-traitant en vue du paiement de la dette impayée de l’entrepreneur envers le sous-traitant puisqu’il ne s’agit pas d’un contrat pour la fourniture de travaux et de matériaux.
Enfin, alors que la Builders Lien Act pourrait limiter la responsabilité des propriétaires relativement aux réclamations de sous-traitants dont les services n’ont pas été directement retenus par le propriétaire, les faits de l’affaire Pinnacle laissent entendre que la responsabilité potentielle d’un propriétaire pourrait s’étendre si celui-ci conclut par la suite une entente indépendante avec un sous-traitant en vue du règlement de factures impayées.
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