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Cour d’appel de l’Ontario : Une requête en radiation équivaut à une renonciation au droit à l’arbitrage

21 octobre 2024

Aperçu

Dans l’affaire RH20 North America Inc. v. Bergmann, la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a confirmé qu’une requête en radiation de réclamations susceptibles d’être réglées par voie d’arbitrage équivaut à une renonciation au droit à l’arbitrage et prive la partie requérante du droit de faire suspendre l’action engagée devant un tribunal en faveur de l’arbitrage.

Contexte

RH20 North America Inc. (« RH20 ») a obtenu, auprès de sociétés membres de Bergmann Group, soit un groupe établi en Allemagne, une licence pour la vente de systèmes de traitement des eaux usées au Canada et, auprès de Click+Clean GmbH (« Click »), une licence pour la vente de panneaux de contrôle. Le contrat de licence intervenu entre RH20 et Click (la « licence Click ») prévoyait que tout différend éventuel serait soumis à l’arbitrage au Royaume-Uni, alors qu’un contrat connexe également intervenu entre RH20 et Click relativement à un portail Web de services à la clientèle (le « contrat relatif au portail Web ») comprenait une clause d’élection de for selon laquelle tout différend aux termes de ce deuxième contrat serait soumis à l’arbitrage en Allemagne.

RH20 et son sous-traitant, Unit Precast Breslau Ltd. (« Unit »), ont intenté une action contre Bergmann Group, Click et d’anciens employés de RH20, alléguant, entre autres, la résiliation injustifiée des contrats de licence et l’usage inapproprié de renseignements confidentiels.

Certaines des parties défenderesses, dont Click, ont alors déposé une requête en radiation de certaines des réclamations de RH20 et de toutes les réclamations d’Unit, soutenant qu’elles ne reposaient sur aucune cause d’action raisonnable. Click a cependant demandé une ordonnance pour faire suspendre les réclamations de RH20 contre elle en faveur de l’arbitrage en vertu de l’article 9 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (la « LACI ») et de l’article 8 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (la « Loi type »).

Décision de première instance

Le juge saisi de la requête a rejeté toutes les réclamations d’Unit et certaines des réclamations de RH20 au motif qu’elles ne soulevaient aucune cause d’action raisonnable. Il a cependant refusé de suspendre les réclamations de RH20 contre Click en faveur de l’arbitrage.

Ayant déterminé i que la LACI et la Loi type régissaient le différend opposant les parties, le juge saisi de la requête a refusé la demande de suspension de Click pour les trois raisons suivantes :

  • la convention d’arbitrage prévue dans la licence Click était « non susceptible d’être exécutée » au sens de l’article 8(1) de la Loi type, car elle entrait en conflit avec la clause d’élection de for figurant dans le contrat relatif au portail Web;
  • la multiplicité des ententes entre les parties, lesquelles contenaient des clauses de règlement des différends contradictoires, fournissait des « motifs sérieux » (strong cause) de ne pas appliquer la clause d’élection de for figurant dans le contrat relatif au portail Web;
  • en se joignant aux autres parties défenderesses dans le cadre de la requête en radiation des réclamations, Click a invoqué la compétence du tribunal et a ainsi renoncé à son droit à l’arbitrage, rendant la convention d’arbitrage « inopérante » au sens de l’article 8(1) de la Loi type.

RH20 et Unit ont interjeté appel du rejet de leurs réclamations, et Click a interjeté appel incident du refus de suspendre les réclamations de RH20 contre elle en faveur de l’arbitrage.

Décision de la CAO

La CAO a rejeté les appels et l’appel incident, convenant elle aussi que les réclamations ne reposaient sur aucune cause d’action raisonnable et que Click avait renoncé à son droit à l’arbitrage en se joignant à la requête en radiation des autres parties défenderesses.

La CAO a expliqué qu’une convention d’arbitrage donne naissance à une « obligation négative » de ne pas chercher à résoudre devant les tribunaux nationaux un différend susceptible d’être réglé par voie d’arbitrage (l’« obligation négative »). Cette obligation est reconnue et exécutée en vertu de la Loi type et de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. Il s’agit par ailleurs d’un élément conceptuel commun à la plupart des régimes d’arbitrage canadiens et internationaux. Tout défaut de se conformer à cette obligation équivaut à une renonciation au droit de recourir à l’arbitrage et rend donc une convention d’arbitrage inopérante.

La CAO a déclaré que Click a manqué à l’obligation négative lui incombant lorsqu’elle a tenté d’obtenir une réparation substantive devant un tribunal de première instance plutôt que de se limiter à contester sa compétence. La CAO a souligné que, bien que des procédures permettant de contester la compétence d’un tribunal puissent ne pas contrevenir à son obligation négative susmentionnée, une partie qui demande une conclusion définitive sur le fond de réclamations aura effectivement renoncé à son droit à l’arbitrage relativement à ces réclamations.

En confirmant le refus de la demande de suspension, la CAO a offert des précisions sur la manière dont le cadre d’analyse à deux volets applicable aux suspensions d’instance en faveur de l’arbitrage établi par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp (l’« affaire Peace River ») s’applique dans le contexte d’une convention d’arbitrage internationale lorsque la partie qui demande une suspension de l’instance engage simultanément une autre action devant un tribunal.

Le cadre d’analyse établi dans l’affaire Peace River consiste à déterminer :

  • si les conditions préliminaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire sont remplies; et, le cas échéant;
  • si les exceptions statutaires à la suspension obligatoire d’une instance judiciaire s’appliquent, notamment lorsque la convention d’arbitrage en cause est « nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée ».

L’une des conditions préliminaires décrites dans l’affaire Peace River est que la partie qui demande une suspension de l’instance ne doit pas avoir pris d’autres procédures dans cette instance. Toutefois, la CAO a précisé que, dans le contexte d’une convention d’arbitrage internationale, le défaut de se conformer à l’obligation négative, c’est-à-dire ne pas engager d’action en justice pour régler des différends devant être soumis à l’arbitrage, déclenche à juste titre une exception prévue par la loi qui empêche l’octroi d’une suspension parce que ce manquement rend la convention d’arbitrage « inopérante » au sens de l’article 8(1) de la Loi type.

Principaux points à retenir

  • Avant de prendre une quelconque mesure visant à faire valoir leurs droits aux termes d’une convention d’arbitrage, les parties doivent s’assurer de comprendre toutes les obligations qui leur sont imposées et d’agir conformément aux modalités de la convention d’arbitrage.
  • Le défaut de se conformer à l’obligation négative, c’est-à-dire ne pas engager d’action en justice pour régler des différends devant être soumis à l’arbitrage, constitue une renonciation au droit à l’arbitrage et rend la convention d’arbitrage inopérante.
  • Une requête en radiation visant la totalité ou une partie des réclamations susceptibles d’être réglées par voie d’arbitrage constitue une violation d’une obligation négative et prive la partie requérante du droit de faire suspendre l’action engagée devant un tribunal en faveur de l’arbitrage.
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