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CSC : Les groupes autochtones américains peuvent exercer leurs droits ancestraux au Canada

3 mai 2021

Le 23 avril 2021, la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a confirmé qu’un résident des États-Unis peut posséder des droits ancestraux au Canada. Elle a déterminé que les droits autochtones protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (lequel vise les « peuples autochtones du Canada ») peuvent s’appliquer aux « successeurs contemporains des sociétés autochtones qui occupaient le territoire canadien à l’époque du contact avec les Européens ». Cette décision confirme les trois décisions rendues précédemment à ce sujet par des tribunaux inférieurs (pour en savoir davantage, consultez nos Bulletins Blakes intitulés American Citizen Secures Aboriginal Rights in Canada et Beyond Borders: B.C. Court Rules U.S. Resident Has Aboriginal Right to Hunt in Canada).
 
Bien que la décision règle cette affaire particulière, la CSC prévient que son arrêt est de portée limitée et ne tient pas compte des enjeux plus vastes de la revendication de droits ancestraux au Canada par des groupes autochtones non résidents. Malheureusement, en refusant de prendre en compte ces enjeux, la CSC fournit peu d’indications sur la façon dont les revendications transfrontalières de droits ancestraux seront réglées en pratique. Ceci laisse planer de l’incertitude quant à l’effet des revendications des non-résidents sur les consultations futures, les accommodements et d’autres aspects du droit autochtone au Canada.

CONTEXTE

M. Desautel réside dans la réserve indienne de Colville, établie dans l’État de Washington aux États-Unis et il est membre de la Lakes Tribe des Tribus confédérées de la réserve indienne de Colville. En octobre 2010, M. Desautel est entré au Canada et a tué un cerf wapiti près de Castlegar, en Colombie-Britannique. Il a été accusé de deux infractions à la Wildlife Act, soit chasser sans permis et chasser le gros gibier alors qu’il n’est pas résident de la Colombie-Britannique.
 
Cette affaire était une cause type. M. Desautel avait signalé son infraction aux agents de conservation, avait avoué avoir commis l’infraction et s’était défendu en invoquant uniquement son droit ancestral. Les Tribus confédérées de la réserve indienne de Colville contestent la décision du gouvernement du Canada de déclarer la bande des lacs Arrow éteinte en 1956 (la dernière bande canadienne comportant des membres du peuple Sinixt) et ont déjà déposé deux revendications de titre ancestral en Colombie-Britannique. 

DÉCISIONS DES TRIBUNAUX INFÉRIEURS

Lors du procès, M. Desautel a établi que la Lakes Tribe est un groupe successeur du peuple Sinixt, dont le territoire traditionnel comprenait une région entourant les lacs Arrow en Colombie-Britannique, et qu’il exerçait un droit ancestral de chasse à des fins alimentaires, sociales et rituelles au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La juge de première instance a déterminé que l’application de la Wildlife Act à M. Desautel constituait une atteinte non justifiable au droit de chasse de ce dernier. Les accusations portées contre M. Desautel ont été rejetées.
 
Le juge d’appel des poursuites sommaires a donné raison à cette décision. Il a conclu que l’expression « peuples autochtones du Canada » doit être interprétée de manière à désigner les peuples autochtones qui, avant le contact avec les Européens, occupaient ce qui est devenu le Canada. Il a également conclu que le droit revendiqué par M. Desautel n’était pas incompatible avec la souveraineté du Canada, car M. Desautel était entré légalement au Canada.
 
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé cette décision. Elle a rejeté l’idée que le demandeur doit être un membre d’une communauté autochtone contemporaine qui habite présentement dans la région géographique où le droit revendiqué est exercé, car il ne s’agit pas d’une exigence pour le critère relatif aux droits ancestraux. 

DÉCISION

Dans une décision partagée (7-2), une majorité des juges de la CSC a confirmé toutes les conclusions des trois tribunaux inférieurs avec une seule modification, à savoir que la question de déterminer si un groupe fait partie des « peuples autochtones du Canada » est une question préliminaire qui doit être tranchée avant tout. S’il existe un doute quant au fait que le demandeur revendiquant un droit ancestral appartient à un peuple autochtone du Canada, ce dernier doit démontrer qu’il appartient à un successeur contemporain d’une société autochtone qui occupait le territoire canadien à l’époque du contact avec les Européens. Outre le critère existant relatif aux droits ancestraux, il s’agit du seul élément supplémentaire qui doit être prouvé par les peuples autochtones qui sont des résidents des États-Unis pour revendiquer des droits ancestraux au Canada.

RÉPERCUSSIONS

Cette décision est de portée étroite et ne sert qu’à interpréter l’expression « peuples autochtones du Canada » pour y inclure les Tribus confédérées de la réserve indienne de Colville. La CSC indique clairement que sa décision n’aborde pas d’autres revendications éventuelles de droits ancestraux par des non-résidents.
 
La CSC laisse sans réponse un nombre important de questions concernant la portée, la mesure et les enjeux de telles revendications transfrontalières, y compris les suivantes :

  • L’obligation de consulter les groupes autochtones des États-Unis : la CSC a accepté que les peuples autochtones à l’extérieur du Canada peuvent revendiquer et posséder des droits visés par l’article 35, mais « il ne s’ensuit pas que leurs droits sont les mêmes que ceux des communautés se trouvant au Canada » et que « les situations particulières des communautés se trouvant à l’extérieur du Canada peuvent mener à des résultats différents ». Cependant, la CSC n’a pas précisé comment l’obligation de consultation pourrait s’appliquer différemment aux communautés se trouvant à l’extérieur du Canada. Elle a statué uniquement que l’obligation de consultation ne serait pas déclenchée si la Couronne n’avait pas connaissance des droits revendiqués par de telles communautés.

    • Une fois que la Couronne a connaissance des droits ancestraux revendiqués par des peuples autochtones américains, ces derniers peuvent-ils alors faire valoir les mêmes droits, notamment les droits réglementaires et de nature procédurale, que ceux des peuples autochtones canadiens? Si ce n’est pas le cas, quelles sont les différences légitimes?

    • La « tarte » de l’accommodement sera-t-elle divisée encore plus finement entre les peuples autochtones canadiens et américains, ou sera-t-il attendu que la Couronne et les parties concernées l’élargissent de façon proportionnelle?

  • La justification de l’atteinte aux droits ancestraux : De façon similaire, la CSC ne s’est pas prononcée sur la question de savoir dans quelle mesure le fait qu’un titulaire de droits ancestraux se trouve à l’extérieur du Canada peut être pertinent pour déterminer si une mesure du gouvernement qui porte atteinte à ces droits est justifiée. Elle a seulement indiqué qu’il agit d’une « caractéristique du contexte qui peut être prise en compte », sans toutefois préciser comment.

    • Si un projet porte atteinte aux droits ancestraux de peuples autochtones américains, peut-il être justifié par le fait qu’il a reçu l’appui de peuples autochtones canadiens?

  • L’incompatibilité avec la souveraineté : La Couronne a soutenu que le droit ancestral revendiqué par M. Desautel était incompatible avec la souveraineté canadienne, parce qu’il englobe d’autres droits nécessaires à son exercice effectif, notamment le droit de traverser la frontière canado-américaine. La CSC n’a pas abordé cette question car M. Desautel n’avait pas invoqué un droit de circulation et ne s’était pas vu refuser l’entrée au Canada.

Selon nous, la position de la CSC selon laquelle ces questions doivent être réglées au fur et à mesure qu’elles se présentent laisse planer une grande incertitude dans les années à venir. Il est presque certain que d’autres non-résidents revendiqueront des droits ancestraux au Canada. Bien que les enjeux de cette décision soient probablement limités par le nombre de groupes pouvant présenter des revendications crédibles, ils devront être traités par les organismes de réglementation à tous les paliers gouvernementaux au Canada, ainsi que par les communautés autochtones, les entreprises, les législateurs et, en fin de compte, les tribunaux.
 
Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Charles Kazaz              514-982-4002
Roy Millen                    604-631-4220
Sam Adkins                  604-631-3393
 
ou un autre membre de notre groupe Droit des Autochtones.

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