Le 16 juillet 2021, dans l’arrêt Southwind c. Canada, 2021 CSC 28 (l’« arrêt Southwind »), la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a conclu que le montant de 30 M$ CA accordé à la Lac Seul First Nation (la « LSFN ») par la Cour fédérale constituait une indemnité insuffisante pour l’inondation de certaines parties des terres de la réserve de la LSFN dans les années 1920. La CSC a statué que le juge de première instance a commis une erreur en limitant la valeur de la perte de la LSFN au montant requis en vertu du droit de l’expropriation et en omettant de tenir compte des obligations fiduciaires de la Couronne envers la LSFN.
L’arrêt Southwind permet de dégager des lignes directrices importantes sur la façon dont la Couronne doit aborder l’expropriation de terres autochtones, et il aura des répercussions sur les indemnités qui seront accordées par la Couronne aux groupes autochtones à l’avenir. De façon générale, les principes traités dans cet arrêt pourraient être utilisés dans le cadre de négociations entre des peuples autochtones et des promoteurs de projets sur des réserves.
CONTEXTE
Établie dans le nord de l’Ontario, la LSFN est une première nation qui a adhéré au Traité no 3. En 1929, la construction d’un barrage hydroélectrique pour alimenter Winnipeg a été achevée aux termes d’un accord intervenu entre le Canada, l’Ontario et le Manitoba, entraînant une augmentation de 10 pieds du niveau du lac Seul.
Le projet a été une réussite pour les trois gouvernements, mais il « s’est aussi révélé être une tragédie » pour la LSFN. Près du cinquième des meilleures terres de la LSFN a été inondé, de façon permanente, y compris des maisons, des champs de riz sauvage, des potagers, des prairies de fauche et des lots de cimetière. Les activités de pêche, de chasse et de piégeage des membres de la LSFN ont également été touchées.
Le gouvernement du Canada savait dès le départ que l’élévation du niveau du lac Seul causerait des dommages considérables à la réserve de la LSFN. Malgré cela, il n’a pas tenu la LSFN informée du projet et n’a pas obtenu le consentement de celle-ci avant de lancer le projet. Aucune indemnisation n’a été accordée à la LSFN et les autorisations requises n’ont pas non plus été obtenues. Selon le juge de première instance, la conduite « illégale et inacceptable » du gouvernement du Canada était « inexplicable ».
La LSFN a donc déposé à la Cour fédérale une poursuite contre le Canada en vue d’obtenir une indemnité en raison des conséquences de l’inondation.
DÉCISIONS DES INSTANCES INFÉRIEURES
Lors du procès, la LSFN a eu gain de cause en faisant valoir que le Canada avait manqué à son obligation fiduciaire envers la LSFN. Le juge de première instance a conclu qu’une indemnité en equity constituait la réparation appropriée.
Pour fixer le montant de l’indemnité, le juge de première instance s’est concentré sur ce qui se serait passé à cette époque si le Canada n’avait pas manqué à ses obligations. Il a conclu que le projet constituait un ouvrage public qui aurait été achevé, en dépit de toute opposition de la LSFN, et que le Canada aurait pu légalement s’approprier les terres au moyen de l’expropriation. Il a évalué la valeur des terres inondées comme si celles-ci avaient été expropriées. Ce faisant, il n’a pas tenu compte de la valeur des terres pour le projet d’hydroélectricité.
La LSFN a porté en appel l’évaluation de l’indemnité en equity à la Cour d’appel fédérale, sans succès, pour se tourner ensuite vers la Cour suprême du Canada.
DÉCISION DE LA CSC
Dans une décision à 8 contre 1, la CSC a accueilli le pourvoi. Elle a renvoyé l’affaire à la Cour fédérale en vue d’une nouvelle évaluation de l’indemnité en equity qui comprenne la valeur des terres inondées aux fins du projet d’hydroélectricité.
La CSC a statué que le juge de première instance a commis une erreur en tentant de déterminer ce que le Canada aurait vraisemblablement fait plutôt que de se demander ce qu’il aurait dû faire, compte tenu de ses obligations fiduciaires.
La CSC a rappelé que, dans les affaires touchant aux intérêts autochtones sur les terres, le Canada « ne peut jamais procéder de la même manière que dans le cas d’une expropriation de terres en fief simple ». Les règles du droit de l’expropriation visent à ce que les propriétaires fonciers obtiennent l’indemnité nécessaire à l’achat de terres de remplacement. Cependant, la CSC a souligné que les terres des réserves autochtones « ne sont pas des biens fongibles qui peuvent être facilement remplacés par l’achat d’autres terres en fief simple ».
Dans les affaires d’expropriation de terres autochtones, le Canada doit promouvoir le meilleur intérêt des groupes autochtones et s’« assurer d’obtenir l’indemnité la plus élevée possible » pour eux. Le Canada doit toujours tenir la première nation informée, tenter de négocier une cession avant de procéder à une expropriation et s’assurer que l’indemnité tient compte de la nature de l’intérêt du groupe autochtone et des répercussions sur la communauté. Le Canada a également l’obligation d’évaluer la façon de porter le moins possible atteinte à l’intérêt protégé.
En l’espèce, compte tenu des répercussions sur la LSFN, le Canada « avait plutôt clairement l’obligation d’obtenir la pleine valeur potentielle des terres pour la LSFN ». La CSC a statué qu’il pouvait être présumé que la LSFN aurait accepté une entente négociée au meilleur prix que la Couronne aurait pu obtenir de façon réaliste à l’époque, et que l’utilisation optimale des terres à cette époque était clairement l’« utilisation projetée pour le stockage de l’eau en vue de la production d’hydroélectricité ».
RÉPERCUSSIONS
L’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones en ce qui a trait aux terres de réserve a été établie par la CSC dans l’arrêt Guérin en 1984. L’arrêt Southwind confirme l’obligation fiduciaire de la Couronne et fournit des lignes directrices relatives à l’application de cette obligation au bénéfice des peuples autochtones.
En plus de son incidence sur la façon dont les indemnités seront calculées dans le cadre de demandes d’indemnisation soumises aux tribunaux, le cadre établi dans l’arrêt Southwind aura un rôle important à jouer dans les négociations entre les gouvernements et les peuples autochtones concernant d’éventuels projets d’ouvrages publics.
De façon plus générale, cette décision revêt un grand intérêt pour les promoteurs et les exploitants privés et quasi gouvernementaux de projets qui traversent ou touchent potentiellement des réserves autochtones. Les propos de la CSC au sujet de la valeur intrinsèque des terres autochtones – et de la différence entre la valeur des terres de réserve et celle des terres en fief simple – pourraient être invoqués dans le cadre de négociations et de règlements de différends mettant en cause des parties autres que la Couronne.
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