Le 9 mai dernier, l’Assemblée nationale du Québec a sanctionné le projet de loi n° 30 intitulé Loi modifiant diverses dispositions principalement dans le secteur financier (la « Loi 15 »). Ce projet de loi, qui apporte notamment des changements à diverses dispositions de la Loi sur la distribution de produits et services financiers (la « LDPSF ») et la Loi sur les assureurs, est venu colmater deux importantes brèches :
- la problématique au Québec du manque chronique d’experts en sinistre pour régler les dossiers de réclamations, particulièrement suite à la survenance d’événements météorologiques extrêmes causant des dommages touchant de nombreux assurés, tels que des inondations, des tempêtes de verglas et des feux de forêt;
- les problématiques liées aux pratiques adoptées par certains concessionnaires automobiles lors de la vente de produits d’assurance de remplacement.
Ce bulletin traite spécifiquement de ces deux enjeux.
Experts en sinistre
Au Québec, l’expert en sinistre est la seule personne autorisée à exercer dans la discipline de l’expertise en règlement de sinistres. Pour exercer dans cette discipline, la personne doit être titulaire d’un certificat d’expert en sinistre valide délivré par l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») en vertu de la LDPSF. Les activités exclusives à cette discipline sont énoncées dans la LDPSF et dans la Directive d’application de l’Autorité des marchés financiers en regard de la définition d’expert en sinistre et des activités qui lui sont exclusives (la « Directive »). Ces activités exclusives à l’expert en sinistre consistent à enquêter sur un sinistre, en estimer les dommages et en négocier le règlement. Par ailleurs, l’expert en sinistre est de longue date contraint de se consacrer exclusivement aux activités réservées à cette discipline, n’étant pas autorisé à agir dans une autre discipline en vertu de la LDPSF.
Or, à plusieurs reprises au cours des dernières années lorsque des événements météorologiques d’envergure ont causé des dommages importants, l’AMF a dû prendre des mesures exceptionnelles afin d’assouplir temporairement les règles applicables à la discipline d’expertise en règlement de sinistres pour permettre à certaines personnes d’exercer, à certaines conditions, les activités exclusives aux experts en sinistre. Ces mesures exceptionnelles ont été prises, en vertu de la Directive, dans le but d’aider les intervenants de l’industrie à répondre aux besoins immédiats des sinistrés et à traiter efficacement le volume important de réclamations découlant de ces événements.
Par exemple, le 6 avril 2023 à la suite d’une importante tempête de verglas, l’AMF a annoncé qu’elle permettait aux cabinets dûment inscrits à titre d’experts en règlement de sinistres, pendant une période de 60 jours et à certaines conditions, d’avoir recours aux services de personnes surnuméraires non titulaires d’un certificat d’expert en sinistre pour effectuer des activités exclusives aux experts en sinistre. Le 5 juin 2023, cette période d’exemption a été prolongée de 60 jours et le 31 juillet 2023, l’AMF a dû, de nouveau, prolonger cette deuxième période d’exemption jusqu’au 5 novembre 2023 en raison de nombreux événements météorologiques survenus au cours de l’été au Québec, notamment des inondations.
Face à la récurrence de ces « mesures exceptionnelles » prises par l’AMF (l’AMF a dû faire appel au mécanisme prévu à la Directive à cinq reprises au cours des six dernières années), le gouvernement a estimé qu’une solution législative durable s’imposait et a ainsi proposé et adopté dans la Loi 15 des changements visant la discipline d’expertise en règlement de sinistres. Ces changements, qui incorporent entre autres certains éléments de la Directive, ont pour objectif de répondre au manque chronique d’experts en sinistre sans compromettre la protection des assurés.
Les deux principaux changements à retenir qui sont susceptibles d’avoir un impact sur les activités des intervenants du secteur financier sont :
- la possibilité, depuis le 9 mai 2024, pour un expert en sinistre d’agir dans une autre discipline que l’expertise en règlement de sinistres, permettant par exemple à des représentants certifiés en assurance de dommages d’être également certifiés dans la discipline d’expertise en règlement de sinistres et de pratiquer en tant qu’expert en sinistre; et
- le fait qu’à compter du 9 mai 2025, toute personne traitant électroniquement les réclamations à volume élevé et à faible valeur monétaire énumérées dans la LDPSF (soit les réclamations relatives à un sinistre automobile découlant d’un sinistre prévu par la Convention d’indemnisation directe, à un bris de vitre ou à un sinistre dont la valeur est d’au plus 5 000 $) n’aura plus à détenir de certificat dans la discipline d’expertise en règlement de sinistres, à la condition qu’elle soit supervisée par un expert en sinistre dûment certifié.
Distribution sans représentant par les concessionnaires automobiles d’assurances de remplacement
Au Québec, la LDPSF prévoit deux régimes de distribution de produits d’assurance :
- le régime général en vertu duquel les produits d’assurance sont distribués par des représentants dûment certifiés; et
- le régime d’exception appelé « distribution sans représentant », qui autorise certains intervenants qui ne sont pas du domaine de l’assurance à offrir de manière accessoire et pour le compte d’un assureur, un produit d’assurance afférent uniquement au bien vendu par cet intervenant.
Les concessionnaires automobiles font partie des intervenants autorisés à offrir de l’assurance par le biais du régime de distribution sans représentant. La LDPSF permet aux concessionnaires d’offrir aux clients qui achètent ou louent un véhicule automobile de l’assurance de remplacement. L’assurance de remplacement prévoit le paiement d’une indemnité à la suite du remplacement du véhicule assuré en cas de perte totale ou du remplacement des pièces endommagées de ce même véhicule en cas de perte partielle.
Au cours des années, l’AMF a constaté dans ses Rapports d’analyse des divulgations des assureurs divers enjeux portant sur l’offre d’assurance de remplacement par l’entremise de concessionnaires automobiles, y compris :
- un taux de rémunération perçu par les concessionnaires par rapport à la prime payée par l’assuré beaucoup plus élevé que celui perçu par les cabinets offrant l’assurance de remplacement et que les distributeurs actifs en matière de crédit à la consommation pour la vente de produits d’assurance par le biais du régime de distribution sans représentant; et
- un écart important entre la prime payée lorsque l’assurance de remplacement est souscrite auprès d’un concessionnaire par rapport à la prime payée pour le même produit lorsque ce dernier est souscrit auprès d’un cabinet.
Face à ces enjeux récurrents, l’AMF a procédé à diverses interventions auprès des parties prenantes impliquées. D’abord, plusieurs activités de sensibilisation et d’information ont été menées auprès des consommateurs. Des travaux de surveillance ont également été effectués par l’AMF auprès des concessionnaires automobiles. L’AMF a aussi procédé à des interventions et intenté des poursuites pénales, notamment à l’encontre de concessionnaires et de directeurs commerciaux en lien avec des pressions indues et manœuvres dolosives lors de l’acquisition de produits d’assurance.
Là aussi, malgré les nombreuses tentatives de l’AMF d’assainir ce marché, certaines pratiques douteuses persistaient toujours. Le gouvernement a donc estimé qu’une solution législative devenait nécessaire pour répondre aux nombreuses préoccupations soulevées. En conséquence, le législateur a, au moyen de la Loi 15, retiré l’assurance de remplacement du régime de distribution sans représentant. Ainsi, à compter du 1er juillet 2026, il ne sera plus permis aux concessionnaires automobiles et marchands de véhicules récréatifs de distribuer de l’assurance de remplacement. Une telle assurance devra donc être offerte et vendue uniquement par l’intermédiaire de représentants certifiés en assurance de dommages.
Conclusion
La Loi 15 apporte des ajustements à plusieurs lois régissant le secteur financier. Les changements discutés dans ce bulletin s’inscrivent clairement dans l’objectif d’accroître la protection du public et de rendre le secteur financier québécois plus efficient. On peut anticiper que le délai de traitement des réclamations des assurés diminuera substantiellement avec le déploiement des mesures adoptées. De plus, les consommateurs qui acquièrent ou louent un véhicule automobile pourront toujours souscrire l’assurance de remplacement s’ils le souhaitent, mais cette souscription devra se faire par l’intermédiaire du régime général de distribution de produits d’assurance qui leur offre une protection bien plus adéquate.
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