Sauter la navigation

Enjeux civils du nouveau Règlement sur le taux d’intérêt criminel

4 mars 2024

Le nouveau règlement intitulé Règlement sur le taux d’intérêt criminel (le « Règlement ») a été annoncé le 23 décembre 2023. Il introduit plusieurs considérations importantes en matière de droit civil que doivent prendre en compte les prêteurs et les fournisseurs de services financiers à l’échelle du pays, et ce, même si ce règlement n’a pas encore été déclaré en vigueur.

Taux d’intérêt criminel

Nous avons traité précédemment du contexte du Règlement et de certaines questions liées à ce dernier dans notre Bulletin Blakes intitulé Déballage du Règlement sur le taux d’intérêt criminel  publié le 23 décembre 2023.

En termes simples, bien que la date d’entrée en vigueur du Règlement demeure inconnue à l’heure actuelle, le « taux criminel » prévu à l’article 347 du Code criminel a été modifié de manière à passer d’un taux d’intérêt annuel effectif qui dépasse 60 % à un taux en pourcentage annualisé qui dépasse 35 %. 

Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada (la « CSC »), la définition d’« intérêt » prévue à l’article 347 du Code criminel est de très vaste portée. Elle comprend plusieurs types de frais qui ne seraient autrement pas considérés comme de l ’« intérêt » en vertu de la common law ou même aux termes des principes comptables généraux.

Exemptions commerciales proposées

Comme nous l’avons mentionné dans notre Bulletin Blakes mentionné précédemment, le Règlement prévoit d’importantes exemptions aux modifications proposées à l’article 347 du Code criminel. L’une de ces exemptions s’applique aux conventions ou aux ententes conclues à des fins commerciales ou d’affaires dans des circonstances où l’emprunteur n’est pas une personne physique et le montant du capital prêté en vertu de la convention ou de l’entente en question est, selon le cas :

(a) supérieur à 10 000 $ CA, mais égal ou inférieur à 500 000 $ CA, pourvu que le taux d’intérêt annuel en pourcentage appliqué au capital prêté ne dépasse pas 48 %; 

(b) supérieur à 500 000 $ CA.

Le Règlement prévoit également une exemption pour certains prêts sur gages, comme le précise notre Bulletin Blakes susmentionné.

L’« intérêt » payé ou payable est-il même visé par l’article 347 du Code criminel?

Selon la jurisprudence d’appel, y compris celle établie par la CSC, un critère en deux étapes doit être appliqué pour déterminer si des frais constituent de l’« intérêt » en vertu de l’article 347 du Code criminel. La première étape consiste à déterminer si les frais sont payés ou payables en contrepartie d’un capital prêté ou à prêter. Le cas échéant, la deuxième étape consiste à déterminer si le capital en question fait l’objet d’un prêt aux termes d’une convention ou d’une entente.

La jurisprudence d’appel prévoit également qu’un examen au cas par cas de la nature véritable de la convention et des frais résultant de cette dernière doit être effectué pour déterminer si les frais constituent de l’« intérêt » au sens prévu par l’article 347 du Code criminel. Bon nombre de frais pourraient ne pas être considérés comme de l’« intérêt » si, par exemple, ces frais représentent le recouvrement d’un débours ou la véritable estimation préalable des coûts engagés pour recouvrer des comptes en souffrance, et s’il est possible de les qualifier ainsi à juste titre. Dans de tels cas, l’« intérêt » pourrait ne pas constituer des frais payés ou à payer en contrepartie d’un capital prêté ou à prêter et, par conséquent, l’article 347 du Code criminel peut ne pas s’appliquer. La jurisprudence laisse entendre, dans certains cas, que de tels frais sont moins susceptibles d’être liés à un capital prêté ou à prêter dans des circonstances concernant des fournisseurs de services et des clients. Cela dit, chaque convention ou entente et son contexte factuel doivent faire l’objet d’un examen pour déterminer si l’« intérêt » qui y est prévu correspond à la définition d’« intérêt » figurant à l’article 347 du Code criminel.

Qu’arrive-t-il si l’« intérêt » est supérieur au taux d’intérêt criminel?

La CSC a reconnu le consensus généralisé selon lequel, dans les cas d’illégalité législative concernant l’application de l’article 347 du Code criminel, les tribunaux ne devraient pas nécessairement adopter l’approche traditionnelle voulant que les contrats qui contreviennent à des textes de loi soient nuls. Elle a statué plutôt que les tribunaux devraient bénéficier d’un large pouvoir discrétionnaire pour élaborer un redressement selon les circonstances. L’éventail des redressements civils disponibles est vaste. À une extrémité, on trouve les redressements visant les contrats dont la nature répréhensible fait en sorte que l’ensemble du contrat est vicié par l’illégalité de ce dernier, comme c’est le cas des ententes de prêts usuraires et des contrats ayant un objet criminel. À l’autre extrémité, on trouve les redressements visant les contrats qui contreviennent à une loi, mais qui sont par ailleurs incontestables, ce qui entraîne souvent l’application de la doctrine de la divisibilité.

La CSC a fourni des lignes directrices quant à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, qui devrait inclure au moins un examen des quatre facteurs suivants : (i) la question de savoir si l’application de la divisibilité compromettrait l’objectif ou la politique générale visé par l’article 347 du Code criminel; (ii) la question de savoir si les parties ont conclu la convention dans un but illégal ou dans une intention malveillante; (iii) le pouvoir de négociation relatif des parties et leur conduite au cours des négociations; et (iv) la possibilité que le débiteur tire un profit injustifié de la solution choisie.

Dans certaines affaires, les tribunaux ont appliqué la divisibilité fictive, de sorte que, même si une partie n’avait pas le droit de percevoir des intérêts supérieurs au taux d’intérêt criminel, la portée de la disposition en cause a été réduite, ce qui a eu pour effet de remplacer le taux d’intérêt prévu à l’entente par le taux d’intérêt maximum autorisé par la loi.

Bien que les dispositions initiales aient été adoptées il y a plus de 40 ans, la jurisprudence fournit des indications contemporaines utiles quant à l’applicabilité de l’article 347 du Code criminel et aux redressements civils possibles en cas de dépassement du taux d’intérêt criminel.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :


ou un autre membre de notre groupe Litige et règlement des différends.

Plus de ressources