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Impact transfrontalier de la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Harrington v. Purdue Pharma L.P.

16 juillet 2024

Le 27 juin 2024, la Cour suprême des États-Unis a publié une décision très attendue qu’elle a rendue dans l’affaire William K. Harrington, United States Trustee, Region 2, Petitioner v. Purdue Pharma L.P. et al. (l’« affaire Purdue »). Il s’agissait de déterminer si les tribunaux de la faillite aux États-Unis ont le pouvoir de confirmer un plan prévoyant des libérations en faveur de parties non débitrices, y compris des parties qui fournissent d’importantes contributions monétaires en appui au plan lui-même. Dans une décision très partagée à cinq contre quatre, les juges majoritaires ont statué qu’en vertu du Bankruptcy Code des États-Unis (le « Code »), ce type de libération de tiers ne peut être accordé à l’égard de plans régis par le chapitre 11 du Code sans le consentement des réclamants touchés. 

Les tribunaux canadiens, en revanche, y compris en appel, ont adopté une approche différente. Ils considèrent en effet les libérations de tiers comme un moyen constructif de faciliter les restructurations, de maximiser la valeur pour les parties prenantes et de mettre au point des solutions pour la continuité des activités. 

Dans le présent bulletin, nous résumons les approches différentes quant aux libérations de tiers qui ont cours au Canada et aux États-Unis et nous présentons les moyens offerts par le régime d’insolvabilité du Canada aux débiteurs insolvables ayant une présence des deux côtés de la frontière.  

L’approche établie dans l’affaire Purdue à l’égard des libérations de tiers

Comme nous le mentionnions ci-dessus, dans l’affaire Purdue, les juges majoritaires ont statué que, dans le cadre de plans régis par le chapitre 11 du Code, des libérations de tiers ne peuvent être accordées à des non-débiteurs sans le consentement des réclamants touchés, du fait qu’aucune disposition du Code ne confère le pouvoir d’accorder de telles libérations. Cela dit, les juges majoritaires de la Cour suprême des États-Unis ont signalé la portée étroite de cette décision, laquelle se limite à conclure que le Code n’autorise pas les libérations et les injonctions qui, dans le cadre d’un plan de réorganisation régi par le chapitre 11, ont pour but de libérer un non-débiteur visé par des réclamations sans le consentement des réclamants touchés. Les juges majoritaires ont également souligné que, dans leur décision, rien ne permet de remettre en question les libérations consensuelles de tiers accordées dans le cadre d’un plan de réorganisation à la suite d’une faillite. 

La décision rendue dans l’affaire Purdue laisse toutefois une question sans réponse, soit celle de savoir comment le consentement des réclamants touchés sera défini à l’avenir, les juges majoritaires n’ayant pas voulu se prononcer à cet égard.  

Libérations de tiers au Canada

Au Canada, bien que la loi ne contienne aucune disposition explicite portant sur la libération de tiers (autres que des administrateurs), les libérations de tiers constituent un moyen bien établi et bien reconnu permettant de réussir la restructuration d’une société insolvable. Les premiers exemples de l’utilité des libérations de tiers dans le cadre de procédures d’insolvabilité comprennent les procédures engagées en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada) (la « LACC ») dans les affaires Canadian Airlines (2000) et Muscletech Research and Development (2007) (l’« affaire Muscletech »). Les tribunaux canadiens approuvent habituellement les libérations de tiers lorsque 1) celles-ci ont un lien raisonnable avec le plan et sont nécessaires à l’exécution de celui-ci; 2) les parties libérées contribuent de façon concrète au plan; et 3) les libérations sont nécessaires à la réussite du plan. 

La légitimité et l’utilité des libérations de tiers dans le cadre de procédures en vertu de la LACC ont été confirmées par la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») dans l’arrêt Metcalfe v. Mansfield Alternative Investments II (2008) (l’« arrêt Metcalfe »), lequel s’inscrivait dans la restructuration du marché canadien du papier commercial adossé à des actifs. Dans cette affaire, la CAO a établi le premier volet du critère pour l’approbation des libérations de tiers mentionné ci-dessus en concluant que la LACC permet les libérations de tiers dans un plan lorsque celles-ci sont raisonnablement liées au projet de restructuration. Fait à noter, il n’est pas obligatoire que tous les créanciers touchés consentent à la libération de tiers, pour autant que le plan d’arrangement remplisse par ailleurs les exigences de la LACC, dont le vote favorable des créanciers (à la majorité simple du nombre de voix exprimées par les créanciers et aux deux tiers de la valeur des réclamations des créanciers votant dans chaque catégorie), et l’homologation du plan par le tribunal. 

Depuis l’arrêt Metcalfe, les libérations de tiers non consensuelles continuent de constituer des éléments importants de nombreux plans d’arrangement dans lesquels le critère d’approbation des libérations de tiers a été satisfait, y compris les restructurations en vertu de la LACC de Nortel (2010), de Sino-Forest (2013), de Target Canada (2016), de Payless ShoeSource Canada (2019), de Lydian International (2020) et de Boreal Capital Partners (2022).

L’applicabilité des libérations de tiers au Canada ne se limite pas aux plans d’arrangement. De telles libérations ont en effet été accordées dans le cadre de procédures en vertu de la LACC comprenant des ordonnances approuvant des opérations de vente (par exemple, dans les affaires Nelson Education Limited (2015) et Mobilicity (2015)) et, plus récemment, dans le cadre de l’approbation d’« ordonnances de dévolution inversée » (« ODI ») (dans les affaires Cirque du Soleil (2020), Quest University Canada (2020) et Bellatrix Exploration (2022)). Comme dans le cas des libérations de tiers accordées aux termes de plans d’arrangement, les tiers bénéficiaires de libérations dans ces contextes doivent avoir clairement contribué de façon utile et nécessaire à la restructuration de la société débitrice. Toutefois, dans le cas d’une opération de vente, aucun vote des créanciers n’est tenu afin de démontrer l’appui des créanciers à de telles libérations, mais l’approbation du tribunal continue d’être exigée. 

Des libérations de tiers ont également été accordées en dehors du régime de la LACC, quoique les mêmes critères que ceux prévus par la LACC s’y sont également appliqués, dans le cadre de procédures d’arrangement visant des sociétés en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions et de lois provinciales équivalentes (par exemple, dans l’affaire Concordia International Corp.)

Approbation de libérations de tiers non consensuelles en vertu du chapitre 15 du Code

Même avant la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Purdue, la possibilité d’accorder des libérations de tiers dans des procédures en vertu du chapitre 11 du Code était sujette à controverse et donnait lieu à de nombreux débats. Néanmoins, dans le cadre de la reconnaissance de procédures en vertu du chapitre 15 (par exemple, les affaires Muscletech, Metcalfe et Sino-Forest), les tribunaux de la faillite aux États-Unis ont couramment reconnu des ordonnances rendues par des tribunaux canadiens pour l’homologation de plans d’arrangement canadiens comprenant des libérations de tiers non consensuelles.

Contrairement à l’approche plus stricte adoptée lorsqu’il s’agit d’approuver des libérations de tiers non consensuelles en vertu du chapitre 11 du Code, une ordonnance étrangère rendue dans le cadre de procédures d’insolvabilité menées à l’étranger sera habituellement reconnue en vertu du chapitre 15 si l’ordonnance n’est pas manifestement contraire à l’ordre public. Dans un tel contexte, la déférence et la courtoisie sont des principes utilisés à l’égard des tribunaux exerçant la compétence plénière sur les procédures de restructuration, et un redressement particulier n’a pas à être prévu dans une procédure plénière en vertu du chapitre 11. Par exemple, des ordonnances de dévolution inversée ont récemment été reconnues dans les procédures en vertu du chapitre 15 de Goli Nutrition (2024), de Just Energy (2022) et de Nextpoint Financial (2023) malgré le fait que les ordonnances de dévolution inversée ne font pas partie des redressements habituellement accordés dans des procédures d’insolvabilité plénières aux États-Unis. 

Points à retenir

Dans l’affaire Purdue, la Cour suprême des États-Unis a précisé que sa décision ne tient pas compte du mérite de tout argument relatif à l’ordre public en particulier quant à la possibilité d’accorder une libération de tiers non consensuelle. Elle a plutôt fondé sa décision sur des principes d’interprétation stricts. Elle n’est pas allée jusqu’à dire que les libérations de tiers sont abusives ou contraires à la règle de droit; de fait, elle a reconnu les mérites des arguments relatifs à l’ordre public invoqués par les deux côtés. 

Par conséquent, cette décision semble laisser la porte ouverte à la reconnaissance, aux États-Unis, des libérations de tiers accordées dans d’autres territoires, comme le Canada. Les sociétés débitrices ayant une présence transfrontalière qui sont en mesure d’engager des procédures plénières au Canada pourraient donc toujours se prévaloir de cet important outil de restructuration afin de maximiser le recouvrement des créances des parties prenantes et d’aider à trouver une solution pour la poursuite des activités de la société. 

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