Sauter la navigation

Insolvabilité au Canada : Principaux développements et tendances émergentes

28 mars 2025

Plusieurs décisions judiciaires notables qui sont pertinentes pour les prêteurs commerciaux, les entreprises et les professionnels de l’insolvabilité ont marqué l’année 2024. Le présent bulletin résume les principaux développements survenus en 2024 dans le domaine de l’insolvabilité au Canada et met en lumière les points saillants à connaître en 2025 dans ce domaine.

1. Ordonnances de dévolution inversée

Le recours aux ordonnances de dévolution inversée (« ODI ») dans le cadre de procédures d’insolvabilité a continué d’être une pratique courante en 2024. Les tribunaux canadiens ont d’ailleurs fourni des lignes directrices additionnelles sur les circonstances dans lesquelles une ODI peut être rendue. Aux termes d’une opération d’ODI, les actions de la société débitrice sont vendues à la suite de la cession des passifs et des actifs « non voulus » de cette dernière à une « entité résiduelle », laquelle est habituellement une entité à vocation spécifique constituée à cette fin particulière. Si certains critères sont satisfaits, les tribunaux reconnaissent alors qu’une ODI peut être rendue, notamment lorsque des atouts précieux, tels que des licences ou permis gouvernementaux, ne peuvent être transférés dans le cadre d’une vente d’actifs.

Dans l’affaire Xplore Inc. (Re), la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJO ») a rendu pour la première fois une ODI dans le contexte d’un arrangement en vertu de l’article 192 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »). Xplore Inc. (« Xplore » ou la « société »), une société de télécommunications exerçant des activités dans un secteur fortement réglementé, avait reçu diverses subventions du gouvernement fédéral canadien pour le développement de services Internet sans fil en milieu rural à l’échelle du pays. Ces subventions étaient par ailleurs assorties d’exigences strictes en matière de changement de contrôle. Au début de 2024, Xplore a connu d’importantes difficultés sur le plan des liquidités. La société s’est alors vue contrainte d’entamer des procédures en vertu de la LCSA afin de proposer un arrangement relatif à son passif.

Dans le cadre de cet arrangement, lequel prévoyait la recapitalisation de la société et une réduction importante des créances garanties de cette dernière, Xplore a demandé au tribunal de rendre une ODI qui permettrait d’opérer le transfert des ententes et des créances liées aux activités de télécommunications par satellite de la société à une entité résiduelle. Selon la CSJO, le paragraphe 192(4) de la LCSA, en vertu duquel un tribunal peut « rendre toute ordonnance provisoire ou finale », confère au tribunal une autorité vaste et flexible de rendre une ODI, à l’instar de l’article 11 de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») dans le contexte d’une procédure entamée en vertu de cette dernière. La CSJO a évalué l’ODI demandée à la lumière des facteurs pertinents maintenant bien reconnus qui ont été établis dans l’affaire Harte Gold Corp. Re (l’« affaire Harte Gold » et les « facteurs Harte Gold ») pour ainsi conclure qu’il s’agissait du contexte approprié pour rendre une ODI. La CSJO a souligné toutefois qu’elle est arrivée à cette conclusion en prenant en considération les faits propres à la situation, notamment le fait que l’opération était sans opposition. Elle a précisé par ailleurs que sa décision n’avait pas pour but de créer un précédent général permettant le recours plus vaste aux ODI dans d’autres circonstances.

Dans l’affaire MCAP Financial Corporation v. QRD (Willoughby) Holdings Inc., la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») a mis en lumière l’importance de fournir une preuve de la valeur marchande des actifs faisant l’objet d’une acquisition aux termes d’une ODI, afin d’aider le tribunal à déterminer le caractère juste et raisonnable de la contrepartie devant être reçue pour les actifs en question, conformément au dernier facteur établi dans le cadre de l’affaire Harte Gold. La CSCB avait accordé initialement un ajournement de la demande d’ODI déposée par le séquestre afin de permettre à ce dernier de produire une preuve de la valeur des actifs pouvant être transférés aux termes de l’ODI (y compris les avantages découlant de pertes fiscales dont le demandeur ne pourrait se prévaloir dans le cadre d’une vente d’actifs). L’ODI a été rendue seulement après que cette preuve eût été produite.

Dans deux affaires distinctes en 2024, le gouvernement de la Colombie-Britannique (le « gouvernement ») s’est opposé à l’émission d’ODI par les tribunaux dans le cadre de certaines opérations, en faisant valoir que ces derniers n’avaient pas compétence en la matière. L’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a été demandée pour l’une de ces deux affaires, une décision relative à cette demande étant attendue en 2025. 

Dans l’affaire Aquilini Development Limited Partnership v. Garibaldi at Squamish Limited Partnership (l’« affaire Aquilini Development »), le séquestre d’Aquilini Development a demandé au tribunal de rendre une ODI qui conserverait certains droits d’aménagement détenus par le débiteur aux termes d’un certificat d’évaluation environnementale délivré par le gouvernement. Le débiteur participait à l’aménagement d’un projet en vertu de ces droits d’aménagement au moment de sa mise sous séquestre. Dans le contexte d’une vente d’actifs, il aurait été nécessaire de déposer une demande de transfert (transfer application) auprès du gouvernement pour que l’acheteur puisse se prévaloir des droits d’aménagement, une telle demande n’étant pas requise dans le contexte d’une vente d’actions.

Le gouvernement s’est opposé à l’émission d’une ODI dans le contexte d’une mise sous séquestre en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») en soutenant : 1) que le tribunal n’a pas compétence pour rendre une ODI en vertu du régime de la LFI, qui est davantage axé sur des règles (par rapport au régime de la LACC); et 2) que si le tribunal devait avoir une telle compétence, le recours à une ODI serait inapproprié en l’espèce, car cela aurait pour effet d’abroger les pouvoirs décisionnels du gouvernement, ce qui va à l’encontre de l’article 72 de la LFI (soit une disposition précisant que la LFI n’a pas pour effet d’abroger les dispositions de droit substantif d’une autre loi ou règle de droit concernant la propriété et les droits civils); le recours à une ODI serait alors superflu. 

La CSCB a rejeté l’argument du gouvernement relatif à la compétence du tribunal, au motif que les tribunaux canadiens ont systématiquement confirmé l’interprétation large et la souplesse du régime de la LFI. Pour ce qui est des pouvoirs décisionnels du gouvernement, la CSCB a conclu que l’affaire en cause ne soulevait aucune question de prépondérance, car, contrairement aux allégations du gouvernement, l’ODI ne contournait ni la législation provinciale ni les pouvoirs décisionnels du gouvernement qui sont prévus par la loi. La législation provinciale applicable n’exigeait pas qu’une demande de transfert soit faite dans le contexte d’un changement de contrôle. La CSCB a donc statué qu’aucun droit dont dispose habituellement le gouvernement dans le contexte d’une vente d’actions n’avait été violé.

Malgré son opposition à l’ODI, le gouvernement avait tout de même indiqué qu’il souhaitait que le projet en question soit mené à terme. L’ODI constituait la seule solution qui permettrait la réalisation du projet et qui produirait un avantage économique pour toutes les parties prenantes, y compris le gouvernement. La CSCB a par ailleurs déterminé qu’aucune partie prenante ne serait désavantagée par l’approbation de l’ODI et que tous facteurs Harte Gold avaient été satisfaits.

Dans l’affaire British Columbia v. Peakhill Capital Inc., la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») s’est penchée sur la question de savoir si, dans le cadre d’une mise sous séquestre en vertu de la LFI, un tribunal avait la compétence de rendre une ODI structurée de manière à éviter les droits de mutation immobilière. Il s’agit de la première affaire dans laquelle un tribunal a rendu une ODI dans le cadre d’une procédure contestée où les économies fiscales constituaient le seul avantage envisagé.

Aux termes de l’ODI proposée, l’intérêt bénéficiaire dans certains biens immobiliers de valeur devait être transféré à l’acheteur sans que le titre du bien immobilier sous-jacent le soit également. En évitant le transfert du titre, le débiteur échappait aux droits de mutation immobilière, ce qui augmentait d’environ 3,5 M$ CA le montant devant être distribué aux créanciers. La CSCB a rendu l’ODI et le gouvernement a interjeté appel de la décision selon les mêmes motifs invoqués dans l’affaire Aquilini Development.

À l’instar de la CSCB dans l’affaire Aquilini Development, la CACB a déterminé qu’en vertu de l’alinéa 243(1)c) de la LFI, un tribunal chargé de surveiller une mise sous séquestre dispose de la vaste compétence de « prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée » et que, par conséquent, un tel tribunal peut rendre une ODI. 

La CACB a statué également que la CSCB n’avait pas erré en rendant l’ODI qui avait pour seul but d’éviter le paiement des droits de mutation immobilière. La structuration d’une opération aux fins de réduire au minimum les obligations fiscales constitue une pratique commerciale légitime, que ce soit dans un contexte d’insolvabilité ou non. Selon la CACB, le juge de première instance avait tenu compte des droits des tiers relativement à l’octroi de l’ODI et avait soupesé soigneusement les droits de toutes les parties prenantes afin de déterminer si l’ODI répondait le mieux aux buts et aux objets du régime législatif. La CACB a conclu qu’elle ne voyait aucune raison de s’ingérer dans la décision de la CSCB.

Le gouvernement a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la CACB devant la CSC le 1er octobre 2024. La décision relative à cette demande est attendue.

2. Attribution d’un acte à une société

Dans notre bulletin intitulé Insolvabilité au Canada : jurisprudence, tendances et changements en 2023, nous avons décrit les décisions rendues dans les affaires Ernst & Young Inc. v. Aquino et Golden Oaks Enterprises v. Scott par la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO »), qui portent toutes deux sur l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société dans le contexte de l’insolvabilité. La théorie de l’attribution d’actes à une société est un mécanisme par lequel l’intention ou les actes de l’âme dirigeante d’une société peuvent être attribués à la société elle-même.

Le 11 octobre 2024, la CSC a rendu ses décisions tant attendues dans les affaires Aquino c. Bondfield Construction Co. (l’« affaire Aquino ») et Scott c. Golden Oaks Enterprises Inc. (l’« affaire Golden Oaks »). Les appels ont été entendus conjointement le 5 décembre 2023.

Dans l’affaire Aquino, le contrôleur de Bondfield Construction Company (« Bondfield »), nommé par le tribunal, et le syndic de faillite du membre de son groupe ont réclamé le recouvrement des fonds en s’appuyant sur l’article 96 de la LFI et l’article 36.1 de la LACC concernant des opérations sous-évaluées qui découlaient d’un stratagème de facturation frauduleux. Compte tenu de la période pendant laquelle le stratagème frauduleux a été utilisé, les seules opérations pouvant être mises en cause étaient celles où 1) le cessionnaire avait un lien de dépendance avec le débiteur, et 2) le débiteur avait l’intention de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement. À la CSC, les dirigeants de Bondfield, entre autres, ont soutenu que même si M. Aquino avait l’intention de frauder les deux sociétés, celles-ci n’avaient tiré aucun avantage de cette fraude et que la doctrine de l’attribution d’un acte à une société ne devrait donc pas être appliquée. Les dirigeants de Bondfield ont fait valoir que la jurisprudence de la CSC imposait des critères minimaux pour l’attribution d’actes à une société qui doivent être remplis dans tous les cas, quel que soit le contexte, et que les tribunaux inférieurs ont erré en recadrant la théorie de l’attribution d’actes à une société afin de permettre l’attribution même lorsque l’âme dirigeante a agi frauduleusement et que ces critères minimaux ne sont pas remplis.

La CSC a rejeté l’appel des dirigeants de Bondfield. Ce faisant, la CSC a reformulé le critère pour l’attribution d’actes à une société, énonçant quatre principes directeurs :

  1. en règle générale, les actes frauduleux d’une personne peuvent être attribués à une société si deux conditions sont remplies : 1) l’auteur de la faute était l’âme dirigeante de la société aux moments pertinents; et 2) les actes fautifs de l’âme dirigeante ont été accomplis dans le cadre du secteur d’activités de la société qui lui est attribué;
  2. l’attribution sera généralement inappropriée lorsque : 1) l’âme dirigeante a commis un acte complètement frauduleux envers la société; ou lorsque 2) les actes que l’âme dirigeante a commis n’avaient pas en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la société;
  3. outre les exceptions pour cause de fraude et d’absence d’avantage, les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’appliquer la théorie de l’attribution d’actes à une société lorsque cette abstention serait dans l’intérêt public;
  4. dans tous les cas, les tribunaux doivent appliquer la théorie de common law de l’attribution d’actes à une société de manière téléologique, contextuelle et pragmatique.

Le quatrième principe sert davantage d’orientation interprétative pour l’application des trois autres principes, qui souligne que ces principes directeurs ne doivent pas être appliqués de manière isolée. Le contexte n’est pas seulement important, dans bien des cas, il peut être déterminant.

Conformément au quatrième principe, la CSC a conclu que les exceptions pour cause de fraude et pour cause d’absence d’avantage ne s’appliquaient pas dans le contexte de l’établissement de la responsabilité en vertu de l’article 96 de la LFI. La CSC a également statué que l’attribution de l’intention frauduleuse de l’âme dirigeante aux sociétés de Bondfield servirait l’intérêt public dans l’esprit de l’article 96 en permettant aux créanciers de recouvrer des actifs visés par une opération frauduleuse qui a réduit illégalement la valeur de l’actif disponible aux fins de distribution aux créanciers.

Dans l’affaire Golden Oaks, la CSC a examiné la possibilité d’appliquer la doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société dans le contexte d’une tentative d’un syndic de faillite de recouvrer des sommes perdues dans le cadre d’une combine à la Ponzi mise en place par la seule âme dirigeante de la société en question. Le syndic a intenté plusieurs actions au nom de la société en faillite à l’encontre de particuliers et de différentes sociétés (les « défenderesses ») qui avaient reçu des paiements frauduleux de la société dans le cadre de la combine à la Ponzi.

En Ontario, la Loi de 2002 sur la prescription des actions prévoit qu’en général un demandeur doit intenter son recours dans les deux ans suivant la découverte des faits donnant naissance à sa réclamation. Les défenderesses ont fait valoir que la connaissance de la seule âme dirigeante de l’existence de la combine à la Ponzi devrait être attribuée à la société. Comme deux ans s’étaient écoulés entre la conduite contestée et l’action du syndic, les actions du syndic auraient été prescrites.

S’appuyant sur les principes établis dans l’affaire Aquino, la CSC a conclu, dans l’affaire Golden Oaks, qu’il n’existe pas de principe permettant d’appliquer à une société unipersonnelle des principes directeurs différents pour l’attribution d’actes à une société. Elle a noté que les principes directeurs énoncés dans l’affaire Aquino offrent une souplesse suffisante pour traiter la situation des sociétés unipersonnelles et la plupart des autres situations d’attribution d’actes à une société. Elle a également souligné que le fait d’attribuer automatiquement la connaissance d’une seule âme dirigeante à sa société ne tiendrait pas compte de la notion de personnalité morale distincte.

Les décisions rendues par la CSC dans les affaires Aquino et Golden Oaks confirment le statut d’outil souple et téléologique de la théorie de l’attribution d’actes à une société. Les tribunaux doivent tenir compte du contexte et de l’esprit de la loi encadrant l’attribution demandée plutôt que d’appliquer les règles préétablies en toute rigidité.

Un examen approfondi des décisions de la CSC dans les affaires Aquino et Golden Oaks est présenté dans notre bulletin intitulé Vue d’ensemble du contexte : Ce qu’il faut retenir des décisions de la CSC dans les affaires Aquino et Golden Oaks.

3. Procédures en vertu de la LACC intentées par des créanciers et super contrôleurs

Dans la plupart des cas, les procédures en vertu de la LACC sont intentées par une société débitrice qui cherche à se protéger contre ses créanciers. Toutefois, la LACC permet également à un créancier de présenter une demande de redressement en vertu de la LACC à l’égard d’une société débitrice. De même, la LACC permet aux créanciers de proposer un plan d’arrangement pour une société débitrice.

Dans les procédures en vertu de la LACC intentées par des créanciers, la société débitrice conserve la possession de ses actifs et le contrôle de ses activités. Toutefois, des restrictions et des contrôles supplémentaires sont habituellement mis en place, comme la nomination d’un chef de la restructuration ou l’élargissement du rôle de supervision du contrôleur nommé par le tribunal pour inclure des pouvoirs de gestion (communément appelé un « super contrôleur »).

Divers facteurs peuvent mener à une procédure en vertu de la LACC intentée par des créanciers. Le plus souvent, un créancier entame une procédure en vertu de la LACC lorsqu’il établit que la LACC représente le véhicule de réalisation optimal et qu’il existe une valeur d’exploitation potentielle pour l’entreprise, mais il ne fait pas confiance à la direction pour mener un processus approprié en vertu de la LACC.

En 2024, un certain nombre de demandes en vertu de la LACC intentées par des créanciers n’ont pas été contestées. Dans chaque cas, le contrôleur s’est vu accorder des pouvoirs accrus ou un chef de la restructuration a été nommé pour gérer les activités du débiteur pendant la restructuration :

Toutefois, dans certaines circonstances, un tribunal devra évaluer le bien-fondé de deux demandes concurrentes en vertu de la LACC, l’une présentée par un créancier et l’autre par le débiteur. En 2024, la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse (la « CSNÉ ») a contesté les demandes concurrentes présentées en vertu de la LACC par un débiteur et ses créanciers garantis de rang supérieur dans l’affaire Fiera Private Debt Fund v. SaltWire Network Inc. et a appliqué les facteurs énoncés dans la décision rendue en 2022 par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Groupe Sélection. Suivant l’affaire Groupe Sélection, la CSNÉ a observé, entre autres choses, 1) que le contrôleur proposé par le créancier était celui qui connaissait le mieux l’entreprise, la situation économique et les questions touchant l’entreprise de SaltWire en raison de son intervention au cours de la période de cinq mois précédant les demandes présentées en vertu de la LACC; 2) que SaltWire avait auparavant consenti à la nomination du contrôleur proposé par le créancier, même si cette entente antérieure n’était pas déterminante, et que le même cabinet de conseils financiers avait commencé à participer à un effort de restructuration informel; et 3) que l’approche du contrôleur proposé par le créancier quant au besoin de financement intérimaire était plus réaliste que celle de la solution de rechange proposée par le débiteur. La CSNÉ a rendu une ordonnance initiale nommant le contrôleur proposé par les créanciers, lui accordant notamment des pouvoirs de supervision et de gestion accrus.

4. Offres-paravents

En 2024, des tribunaux canadiens ont abordé les mécanismes et les motifs relatifs à l’objection d’une offre-paravent, ainsi que le moment opportun de soulever une telle objection.

Dans l’affaire Peakhill Capital Inc. v. 100093910 Ontario Inc., la CAO a conclu que, dans certaines circonstances, le droit d’interjeter appel d‘une ordonnance relative à un processus de sollicitation d’investissement et de vente ou « PSIV » (l’« ordonnance PSIV ») peut être automatique. Dans cette affaire, le séquestre nommé par la CSJO en vertu des dispositions applicables de la LFI a conclu, avec un acheteur potentiel, un accord de vente avec soumissionnaire-paravent. Or, ce même acheteur potentiel était partie à un accord d’achat et de vente conclu avec le débiteur avant l’émission de l’ordonnance de mise sous séquestre, lequel accord prévoyait un prix d’achat qui était d’environ 7 M$ CA de plus que celui prévu à l’offre-paravent. Le 20 décembre 2023, la juge de première instance a rendu l’ordonnance PSIV demandée par le séquestre, approuvant du fait le processus de vente et l’accord de vente avec soumissionnaire-paravent.

En vertu de la LFI, une partie intéressée dispose d’un droit automatique d’interjeter appel d’une décision de première instance dans des circonstances particulières prescrites dont l’interprétation est étroite. Pour interjeter appel, le débiteur s’était fondé sur le paragraphe 193c) de la LFI, lequel prévoit que, sauf disposition expressément contraire, appel est recevable à la Cour d’appel lorsque les biens en question dans l’appel dépassent en valeur la somme de 10 000 $ CA.

Reconnaissant que les ordonnances PSIV sont habituellement considérées comme étant de nature procédurale, la CAO a toutefois déterminé qu’en l’espèce, l’ordonnance PSIV avait pour effet important la possibilité de mettre en péril la valeur du bien du débiteur en établissant un prix plancher qui était inférieur de presque 7 M$ CA au prix établi dans l’accord d’achat et de vente conclu initialement avec le même acheteur. La CAO a conclu que, dans les circonstances, le débiteur n’était pas tenu de demander l’autorisation d’interjeter appel en vertu du paragraphe 193c) de la LFI. Le 9 avril 2024, la CAO a rendu sa décision, laquelle rejetait l’appel du débiteur.

Dans l’affaire Tool Shed Brewing Company Inc. (Re), la Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la « CBRA ») a réitéré l’importance que toute objection fondée sur l’identité d’un soumissionnaire-paravent soit soulevée à l’étape de la demande d’approbation d’une ordonnance PSIV. Dans cette affaire, il existait un lien de dépendance entre l’acheteur proposé aux termes d’un accord de vente avec soumissionnaire-paravent et le chef de la direction de la société débitrice. La CBRA a approuvé l’offre-paravent proposée aux termes du PSIV, sans que le tribunal s’oppose au fait que le soumissionnaire-paravent soit une partie apparentée au chef de la direction de la société débitrice.

Le syndic de la proposition a déterminé qu’aucune offre supérieure à l’offre-paravent n’avait été reçue et a ainsi demandé que soit approuvée l’opération prévue au PSIV. Un soumissionnaire non retenu s’est opposé à cette demande en soulevant diverses préoccupations au sujet de l’opération, notamment le lien de dépendance qui existait entre la société débitrice et le soumissionnaire-paravent; selon le soumissionnaire non retenu, il en résultait ainsi un PSIV injuste.

Malgré cette objection, la CBRA a approuvé l’opération. Elle a souligné que l’audience d’approbation d’une opération constituait le forum indiqué pour soulever des questions au sujet de l’essence d’une soumission retenue. Or, en l’espèce, les préoccupations mises de l’avant par la partie opposée à l’opération visaient le PSIV et, par conséquent, auraient dû être soulevées avant l’approbation de ce dernier. L’identité du soumissionnaire-paravent avait été prise en compte dans le cadre de l’approbation du PSIV; il n’y avait donc pas lieu d’examiner de nouveau ce point dans le contexte de l’approbation de l’opération.

5. Restructurations transfrontalières

Le nombre d’entreprises canadiennes et américaines qui ont entrepris des procédures de restructuration transfrontalière s’est accru considérablement en 2024, qu’il s’agisse de la reconnaissance des procédures en vertu de la partie IV de la LACC entamées par des entreprises établies aux États-Unis ou, à l’inverse, de la reconnaissance des procédures en vertu du chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis entamées par des entreprises établies au Canada. Il y a lieu de s’attendre à ce que cette tendance se poursuive en 2025, d’où l’importance de prendre connaissance de la jurisprudence clarifiant les principes applicables en la matière. 

Dans l’affaire In the Matter of Curo Canada Corp. and Lenddirect Corp. (l’« affaire Curo »), la CSJO s’est penchée sur la définition de « Centre of Main Interest » ou « COMI », soit le lieu où le débiteur a ses principales affaires, ainsi que les circonstances appropriées dans lesquelles il sera déterminé que les principales affaires d’un débiteur ayant son siège social au Canada seront dans un autre ressort. Une procédure sera seulement considérée comme étant une « instance étrangère principale », rendant ainsi obligatoires certains redressements prévus à la partie IV de la LACC (notamment, une suspension des procédures), lorsque l’instance étrangère est introduite dans le ressort du lieu où le débiteur a ses principales affaires. En vertu du paragraphe 45(2) de la LACC, le siège social d’un débiteur est présumé être le lieu où ce dernier a ses principales affaires.

Or, cette présomption est réfutable. Lorsqu’il a été nécessaire d’aller au-delà de la présomption prévue au paragraphe 45(2) de la LACC, les tribunaux ont déterminé que le lieu où le débiteur a ses principales affaires peut être déterminé en tenant compte des questions suivantes, entre autres : 1) le lieu peut-il être vérifié facilement par les créanciers?; 2) le lieu est-il celui où se trouvent les principaux actifs et les principales activités du débiteur?; 3) le lieu est-il celui où le débiteur a son administration centrale et où se trouvent les services clés du débiteur, tels que la gestion des services aux employés, les services bancaires et les services de marketing?; 4) dans quelle mesure les activités internationales du débiteur sont-elles intégrées?; et 5) la gestion des activités du débiteur est-elle regroupée?

Dans l’affaire Curo, malgré le fait que le bureau principal des débiteurs était au Canada, toutes les décisions relevant de la haute direction et de la direction de ces derniers étaient prises aux États-Unis, et toute la gestion administrative des débiteurs y avait lieu également. Déterminant en l’espèce que les débiteurs avaient leurs principales affaires aux États-Unis, la CSJO a rendu une ordonnance de reconnaissance précisant que la procédure entamée par les débiteurs en vertu du chapitre 11 du Bankruptcy Code des États-Unis constituait une « instance étrangère principale » conformément à la partie IV de la LACC. 

L’affaire Elevation Gold Mining Corporation (Re) portait également sur des questions concernant une entreprise qui exerçait d’importantes activités tant au Canada qu’aux États-Unis. Dans cette affaire, la CSCB s’est penchée sur la question de savoir si, dans le cadre d’une procédure plénière en vertu de la LACC, elle avait un devoir de déférence à l’égard de la Bankruptcy Court des États-Unis (le « tribunal américain ») relativement à l’approbation d’une opération de vente d’actifs appartenant au débiteur dans le ressort du tribunal américain; ce dernier ayant par ailleurs reconnu la procédure entamée en vertu de la LACC comme étant une instance étrangère principale en vertu du chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis. 

Elevation Gold est une société constituée en Colombie-Britannique qui est l’unique propriétaire d’une société d’exploitation minière établie aux États-Unis, Golden Vertex Corp. (« GVC »). GVC était, quant à elle, le propriétaire et l’exploitant d’une mine dans l’État de l’Arizona, laquelle mine constituait l’actif principal visé par les procédures entamées en vertu de la LACC par Elevation Gold. Cette dernière avait demandé aussi qu’une ordonnance reconnaissant les procédures entamées en vertu de la LACC soit rendue en vertu du chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis par le tribunal américain; l’ordonnance en question a été rendue.

Dans le cadre de ses procédures entamées en vertu de la LACC, Elevation Gold a mené également un processus de vente approuvé par le tribunal, lequel processus a donné lieu à une offre visant l’acquisition des actions de GVC par le biais d’une ordonnance de dévolution inversée. Deux parties se sont opposées à l’offre en faisant valoir que, compte tenu de l’emplacement de la mine de GVC, le tribunal canadien avait un devoir de déférence à l’égard du tribunal américain relativement à l’approbation de l’opération. Ces deux parties fondaient leur argument sur l’exigence prévue au chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis : selon elles, le tribunal américain devait appliquer les exigences en matière de vente prévues à l’article 363 du Bankruptcy Code aux ventes visées par une ordonnance de reconnaissance en vertu du chapitre 15 lorsque le bien concerné est situé dans le ressort du tribunal américain.

La CSCB a rejeté cet argument, en indiquant que l’actif visé par l’opération, c’est-à-dire des actions, appartenait à une société canadienne et se trouvait en sol canadien. La CSCB ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si le tribunal américain devait entreprendre une analyse de l’opération en vertu de l’article 363 du Bankruptcy Code, en précisant que cette décision incombait au tribunal américain. Elle a souligné, néanmoins, que la possibilité qu’une telle analyse puisse être entreprise n’imposait pas à la CSCB une obligation de déférence à l’égard du tribunal américain pour ce qui est de l’approbation de la vente. Selon la CSCB, l’opération avait fait l’objet d’un examen approprié dans le cadre de la procédure plénière en vertu de la LACC, laquelle avait eu lieu en premier. La CSCB a rendu l’ordonnance de dévolution inversée. Le 30 décembre 2024, le tribunal américain a reconnu l’ordonnance de dévolution inversée malgré les objections soulevées par les mêmes deux parties s’étant opposées à l’approbation de l’opération par la CSCB. 

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Restructuration et insolvabilité

Plus de ressources