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Interprétation des dispositions relatives au licenciement : Approches distinctes des tribunaux de la Colombie-Britannique et de l’Ontario

9 avril 2025

Aperçu

Il est de plus en plus difficile pour les employeurs de déterminer si les dispositions relatives au licenciement incluses dans leurs contrats d’emploi seraient jugées exécutoires advenant leur contestation devant les tribunaux. Il faut savoir que de telles dispositions font davantage l’objet de contestations judiciaires et que les approches adoptées par les tribunaux à l’égard de l’interprétation de ces dispositions semblent différer d’une province à l’autre.

Au cours de la dernière année, deux décisions, soit celle rendue dans l’affaire Dufault v. The Corporation of the Town of Ignace (l’« affaire Dufault ») (en anglais) et celle dans l’affaire Egan v. Harbour Air Seaplanes LLP (l’« affaire Egan ») (en anglais), ont mis en lumière les approches divergentes prises par les tribunaux canadiens à l’égard de l’interprétation des dispositions relatives au licenciement comprises dans les contrats d’emploi. L’affaire Dufault illustre l’approche préconisée par les tribunaux de l’Ontario, à savoir une approche favorable aux employés et axée sur les détails. Quant à elle, l’affaire Egan vient confirmer l’approche favorable aux employeurs et axée sur l’aspect pratique qui est privilégiée par les tribunaux de la Colombie-Britannique.

Chacune de ces décisions a été portée en appel. La Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a rendu sa décision dans l’affaire Dufault v. Ignace (Township) (en anglais) le 19 décembre 2024. La Cour suprême du Canada (la « CSC ») a rendu son jugement dans l’affaire Egan le 6 mars 2025, rejetant l’autorisation d’interjeter appel de la décision de première instance. Ces décisions (et, pour l’instant, l’absence de directives supplémentaires en la matière de la part du plus haut tribunal du pays) font ressortir la nécessité pour les employeurs canadiens de s’assurer de bien connaître les différentes exigences en vigueur dans chaque province lorsqu’ils rédigent des dispositions exécutoires relatives au licenciement. Les employeurs canadiens doivent également garder à l’esprit qu’une telle disposition figurant à un contrat d’emploi dans une province donnée pourrait faire l’objet de contestations judiciaires dans d’autres provinces.

L’affaire Dufault

Dans l’affaire Dufault, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJO ») s’est penchée sur le caractère exécutoire d’une disposition relative au licenciement sans motif valable. La disposition en cause prévoyait ce qui suit :

4.02 [TRADUCTION] Le Canton peut, à sa seule discrétion et sans motif valable, résilier le présent contrat et mettre fin à l’emploi qui y est prévu à tout moment en fournissant à l’employé un avis écrit comme suit.

Dans sa décision, la CSJO a statué que les dispositions relatives au licenciement comprises dans le contrat d’emploi en cause étaient inexécutoires dans leur ensemble. Elle a déterminé que : 

  1. la disposition relative au licenciement « avec motif valable » (for cause) contrevenait à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi de l’Ontario (la « Loi »), car la définition de « motif » (cause) qui y est prévue était trop générale et permettait à l’employeur de mettre fin à l’emploi d’un employé sans donner à ce dernier un préavis ou lui verser une indemnité de cessation d’emploi dans des circonstances où, en vertu de la Loi, il serait tenu de le faire;
  2. la disposition relative au licenciement « sans motif valable » (without cause) contrevenait à la Loi, car elle indiquait que l’employeur pouvait mettre fin à l’emploi d’un employé « à sa seule discrétion » (at its sole discretion) « à tout moment » (at any time). Dans sa décision, la CSJO a souligné que la Loi interdit explicitement à tout employeur de mettre fin à l’emploi d’un employé dans certaines circonstances (p. ex., lorsque l’employé prend un congé avec protection d’emploi).

Cependant, pour des raisons qui demeurent inconnues, la CSJO n’a fait aucune mention de l’exception prévue à la Loi qui permet expressément la cessation d’un emploi pendant un congé pour des motifs non liés à ce dernier (par. 53 (2)). Bien que la Loi interdise la cessation d’un emploi fondée sur certains motifs, elle ne l’interdit pas expressément en fonction du moment auquel cette cessation d’emploi aurait lieu. Il s’agit d’une distinction importante.

La CAO a confirmé la décision de première instance. Elle a conclu que la disposition relative au licenciement « avec motif valable » prévue au contrat d’emploi contrevenait à la Loi, car la définition de « motif » qui y figurait permettait à l’employeur de mettre fin à l’emploi d’un employé sans donner à ce dernier un préavis ou lui verser une indemnité de cessation d’emploi dans des circonstances où, en vertu de la Loi, il serait tenu de le faire. Par conséquent, la CAO a déterminé que les dispositions relatives au licenciement – y compris la disposition relative au licenciement « sans motif valable » – étaient inexécutoires dans leur ensemble.

Malheureusement, comme la CAO a déterminé que les dispositions étaient inexécutoires dans leur ensemble en raison de la clause « avec motif valable », elle a décliné de se prononcer plus spécifiquement sur le caractère exécutoire de la clause « sans motif valable ». Il s’agit d’une conclusion désolante pour les employeurs souhaitant que les tribunaux clarifient si une condition « à tout moment » figurant dans une disposition relative au licenciement sans motif valable est exécutoire.

Fait à noter, le raisonnement établi dans l’affaire Dufault a été appliqué de nouveau par la CSJO dans l’affaire Baker v Van Dolder’s Home Team Inc. (en anglais). Dans cette dernière, la CSJO s’est appuyée sur ce raisonnement pour conclure que la disposition relative au licenciement sans motif valable en cause était inexécutoire, car elle comportait la condition « à tout moment ». Tout comme ce fut le cas pour l’affaire Dufault, la CSJO ne fait aucune mention dans cette décision des exceptions prévues à la Loi et de la distinction entre les motifs et le moment d’un licenciement.

L’affaire Egan

Dans l’affaire Egan, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») s’est penchée sur une question similaire, soit le caractère exécutoire d’une disposition relative au licenciement sans motif valable. Or, contrairement à la décision de la CSJO dans l’affaire Dufault, la CACB a déterminé que la disposition en cause était exécutoire. L’affaire Egan concernait une action pour congédiement injustifié, dans le cadre de laquelle le demandeur soutenait que la disposition relative au licenciement figurant dans son contrat d’emploi était ambiguë et donc inexécutoire ou, si elle était exécutoire, elle ne limitait pas suffisamment le droit du demandeur à un préavis raisonnable en vertu de la common law. Cette disposition indiquait ce qui suit :

[TRADUCTION] Le groupe Harbour Air peut mettre fin à votre emploi à tout moment sans motif valable pourvu qu’il vous fournisse un préavis et une indemnité de départ conformément aux exigences prévues par le Code canadien du travail.

À l’opposé du raisonnement de la CSJO dans l’affaire Dufault, la CACB n’a pas focalisé son analyse sur le libellé « à tout moment », mais plutôt sur les intentions générales de la disposition. Cette analyse semblait être, du moins en partie, en réponse à des décisions rendues par des tribunaux en Ontario (comme celle dans l’affaire Dufault), lesquels avaient examiné à la loupe chaque terme d’une disposition relative au licenciement pour déterminer que cette dernière était inexécutoire. En fait, la CACB a statué qu’une interprétation appropriée des dispositions relatives au licenciement ne pouvait pas être réalisée [TRADUCTION] « en décomposant le libellé d’une clause relative au licenciement à la recherche d’ambiguïtés comme motifs pour déterminer que la clause [en question] est inexécutoire ».

La CACB a conclu que la disposition en cause : 

  1. démontrait une intention claire de limiter les droits aux montants minimaux dont bénéficiait l’employé en vertu du Code canadien du travail;
  2. était suffisante pour écarter les principes de la common law à l’égard du préavis raisonnable.

De plus, la CACB a formulé un certain nombre de conclusions qui pourraient être encourageantes pour les employeurs souhaitant faire appliquer des dispositions relatives au licenciement : 

  1. Il n’est pas nécessaire qu’une disposition relative au licenciement convertisse explicitement un seuil minimal prévu par la loi en un plafond prévu par un contrat pour écarter la présomption de préavis raisonnable qui existe en common law. 
  2. Il n’est pas nécessaire d’utiliser des termes ou des phrases spécifiques pour limiter les droits prévus par la common law.
  3. Les tribunaux devraient adopter une approche empreinte de bon sens dans le cadre de l’interprétation des dispositions relatives au licenciement.
  4. Si la disposition relative au licenciement indique de façon claire l’intention d’intégrer à un contrat d’emploi les exigences prévues à la législation applicable en matière de normes d’emploi, une telle intention est suffisante pour écarter la présomption de préavis raisonnable qui existe en common law.

Conclusion

Bien que les affaires Dufault et Egan portent toutes deux sur l’interprétation des dispositions relatives au licenciement, les décisions qui y sont rendues sont des exemples clairs des approches différentes que les tribunaux en Ontario et ceux de la Colombie-Britannique prennent en la matière. Les tribunaux ontariens adoptent une approche favorable aux employés, tandis que les tribunaux britanno-colombiens privilégient une approche favorable aux employeurs. Ces décisions permettent de tirer les conclusions suivantes :

  • Les tribunaux de la Colombie-Britannique continueront d’adopter une « approche pratique et empreinte de bon sens » dans le cadre de l’interprétation des contrats d’emploi. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour les employeurs. 
  • Les employeurs ne devraient pas présumer que l’utilisation de termes ou de phrases spécifiques aura pour résultat automatique de rendre inexécutoire une disposition relative au licenciement.
  • Les employeurs ayant des employés dans diverses provinces devraient s’assurer que leurs contrats d’emploi tiennent compte des exigences législatives propres à chaque ressort; pour ce faire, ils devraient consulter des spécialistes régionaux.
  • Les employeurs devraient adopter une approche prudente lorsqu’ils rédigent des dispositions relatives au licenciement et, à ce titre, utiliser un langage clair et simple. Il y aurait lieu d’éviter d’utiliser des formulations telles que « à tout moment » jusqu’à ce que les tribunaux en aient fait une analyse plus exhaustive.
  • Il reste à voir si les tribunaux dans les autres provinces adopteront l’approche plus technique de l’affaire Dufault ou encore l’approche plus pratique de l’affaire Egan.

Enfin, il y a lieu de noter que le 12 mars 2025, la Corporation du canton d’Ignace, soit la partie défenderesse dans l’affaire Dufault, a déposé une demande d’autorisation d’appel auprès de la CSC. Comme il a été mentionné précédemment, la CSC a déjà rejeté la demande d’autorisation d’appel visant la décision pour ce qui est de l’affaire Egan. Cela pourrait indiquer que le plus haut tribunal du pays n’est pas intéressé actuellement par la question des approches divergentes adoptées par les tribunaux d’instances inférieures à l’égard de l’interprétation des dispositions relatives au licenciement.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Travail et emploi.

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