La crise de la COVID-19 a entraîné l’imposition de restrictions de voyage qui ont contraint de nombreuses personnes à travailler à distance, les obligeant même, parfois, à demeurer dans d’autres territoires que ceux où elles exercent habituellement leurs fonctions. Le 3 avril 2020, le Secrétariat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (l’« OCDE ») a publié une analyse de l’impact de la crise de la COVID-19 sur diverses questions liées à la fiscalité internationale qui sont visées par des conventions de double imposition, et a incité les administrations fiscales à fournir des instructions additionnelles.
Le 20 mai 2020, l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») publiait ses Directives liées aux problèmes en matière de fiscalité internationale soulevés par la crise de la COVID-19 (les « directives ») qui précisent comment l’ARC traitera un certain nombre de problèmes en matière de fiscalité internationale. De tels problèmes résultent du fait que des personnes qui normalement n’exerceraient pas leurs fonctions au Canada sont maintenant tenues de le faire en raison de l’imposition de restrictions de voyage dans la foulée de la crise de la COVID-19. D’autres autorités fiscales, dont celles du Royaume-Uni et de l’Australie, ont publié récemment des directives semblables. Les directives de l’ARC abordent également la question des retards liés à la COVID-19 dans le traitement de certaines demandes de contribuables.
Dans les directives, il est expressément indiqué que celles-ci visent à aider les contribuables pendant la présente crise et ne représentent aucunement un élargissement des politiques administratives de l’ARC ni un changement dans « l’engagement continu [de l’ARC] à lutter contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale à l’échelle internationale ». Les contribuables qui seraient tentés d’utiliser des « stratagèmes » ayant pour but d’exploiter la crise ou les directives sont avertis que l’ARC utilisera tous les outils à sa disposition pour protéger l’intégrité du régime fiscal canadien.
Sous réserve d’exceptions mineures, les directives offrent des allègements appréciés à l’égard des conséquences qui, autrement, résulteraient de l’obligation de respecter rigoureusement les règles et les procédures dans des circonstances totalement imprévues créées par la crise de la COVID-19. Les directives s’appliqueront du 16 mars 2020 au 29 juin 2020, quoique cette période puisse être prolongée.
PROBLÈMES LIÉS À LA RÉSIDENCE
Les résidents canadiens sont généralement assujettis à l’impôt en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi de l’impôt ») à l’égard de leurs revenus gagnés partout dans le monde, tandis que les non-résidents sont uniquement assujettis à l’impôt à l’égard de certains revenus de source canadienne. La résidence est normalement établie en fonction d’un critère qui découle de la common law, sous réserve de règles pouvant faire en sorte qu’une personne soit réputée résider au Canada dans certaines circonstances. Des conventions fiscales bilatérales conclues entre le Canada et d’autres pays renferment souvent des règles de départage qui servent à trancher les cas où une personne est considérée comme une résidente dans les deux pays concernés en vertu des lois internes de ces pays. Les directives se penchent sur les problèmes auxquels peuvent faire face les sociétés et les particuliers en raison de restrictions de voyage imposées pendant la crise de la COVID-19.
Sociétés
La résidence d’une société est établie par l’application du critère du « centre de gestion et de contrôle » issu de la common law, qui se fonde généralement sur l’endroit où le conseil d’administration se réunit et prend des décisions de gestion stratégique concernant l’entreprise de la société.
Dans les directives, il est reconnu que, pendant la crise de la COVID-19, des administrateurs de sociétés normalement résidentes d’un territoire étranger pourraient participer à des réunions du conseil d’administration alors qu’ils se trouvent physiquement au Canada, du fait qu’ils se sont retrouvés dans l’impossibilité de retourner dans le territoire étranger en question. L’ARC indique qu’aux fins de déterminer la résidence en vertu d’une convention fiscale bilatérale qui tient compte, entre autres facteurs, de « l’endroit où la gestion des affaires de la société a effectivement lieu » afin de départager la double résidence, le Canada ne considérera pas qu’une société devient résidente du Canada simplement parce qu’un administrateur doit participer à une réunion du conseil à partir du Canada en raison de l’imposition de restrictions de voyage.
Les directives n’abordent pas la question de la détermination de la résidence en général, se bornant à dire que lorsque la détermination comporte une possibilité de double résidence qui implique un pays avec lequel le Canada n’a signé aucune convention, cette détermination sera faite au cas par cas. Cette approche est décevante, car la question de la résidence aux termes du critère de common law se pose non seulement lorsqu’il s’agit de déterminer la résidence d’une société ordinairement résidente d’un pays qui n’a pas signé de convention avec le Canada, mais également lorsqu’il s’agit de calculer les surplus en vertu des règles applicables aux sociétés étrangères affiliées de la Loi de l’impôt.
Particuliers
La détermination de la résidence des particuliers est également, en général, une question tranchée en faisant appel à la common law, en fonction des liens de résidence du particulier avec le Canada. Aux termes d’une règle déterminative de la Loi de l’impôt, un particulier qui est physiquement présent au Canada pour une période de 183 jours ou plus dans une année d’imposition est réputé être résident du Canada toute l’année.
Les directives reconnaissent que les particuliers qui étaient présents au Canada au moment où les restrictions de voyage sont entrées en vigueur n’ont peut-être pas eu l’occasion de quitter le Canada et de retourner dans leur pays de résidence fiscale comme ils le souhaitaient. L’ARC ne considérera pas qu’un particulier est un résident du Canada aux termes des critères de common law uniquement en raison des restrictions de voyage. De plus, en guise de concession administrative temporaire, l’ARC ne tiendra pas compte des jours durant lesquels un particulier était présent au Canada et ne pouvait pas retourner dans son pays de résidence uniquement en raison des restrictions de voyage aux fins de la limite des 183 jours de la présomption de résidence réputée. Cette position est conditionnelle à ce que le particulier retourne dans son pays de résidence dès qu’il peut le faire.
QUESTIONS RELATIVES À L’EXPLOITATION D’UNE ENTREPRISE ET À L’ÉTABLISSEMENT STABLE
Une entité non-résidente considérée, pour l’application de la Loi de l’impôt, comme exploitant une entreprise au Canada doit produire une déclaration de revenus pour l’année d’imposition pertinente et sera assujettie à l’impôt canadien sur son revenu net tiré de l’exploitation d’une entreprise au Canada, sous réserve de tout allègement prévu aux termes d’une convention fiscale applicable.
La détermination qu’un non-résident exploite ou non une entreprise au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt est une question de faits qui repose sur des principes de common law. Pour arriver à leur décision, les tribunaux prennent généralement un certain nombre de facteurs en considération, y compris l’endroit où sont menées les activités qui génèrent les revenus. La Loi de l’impôt considère également qu’un non-résident exploite une entreprise au Canada s’il sollicite des commandes ou offre en vente quoi que ce soit au Canada par l’entremise d’un agent ou d’un employé, que le contrat ou l’opération ait dû être parachevé au Canada ou à l’étranger.
L’obligation de produire une déclaration de revenus
Dans les directives, l’ARC indique qu’une entité non-résidente devra produire une déclaration de revenus au Canada si elle est considérée comme exploitant une entreprise au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt, même si la seule raison en cause est qu’un ou plusieurs particuliers sont présents au Canada en raison des restrictions de voyage imposées dans la foulée de la pandémie de COVID-19. L’obligation de produire une déclaration s’applique peu importe que l’entité non-résidente réside ou non dans un territoire avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale.
L’obligation de payer de l’impôt – résidents non visés par une convention
Lorsque l’entité non-résidente ne réside pas dans un territoire avec lequel le Canada a signé une convention fiscale, cette entité sera assujettie à l’impôt à l’égard du revenu tiré de l’exploitation d’une entreprise au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt. Dans les directives, l’ARC précise que si l’entreprise non-résidente peut démontrer qu’elle remplit les conditions définies pour établir l’exploitation d’une entreprise au Canada uniquement en raison de l’imposition des restrictions de voyage dans la foulée de COVID-19, l’ARC déterminera alors au cas par cas si un assouplissement administratif à l’égard de l’obligation de payer de l’impôt au Canada serait approprié.
L’obligation de payer de l’impôt – résidents visés par une convention
Même s’il est jugé qu’un non-résident exploite une entreprise au Canada pour l’application de la Loi de l’impôt, ce non-résident pourrait quand même bénéficier d’une exemption de l’impôt canadien en vertu d’une convention, à la condition que l’entité n’ait pas un établissement stable au Canada, qu’elle ait le statut de résident de l’autre territoire avec lequel le Canada a conclu la convention applicable et qu’elle ait droit aux avantages découlant de cette convention. Bien que la définition d’un établissement stable puisse varier d’une convention à l’autre, elle comprend habituellement ce qui suit :
- Une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité, y compris le lieu de gestion des affaires, une succursale et un bureau
- Une personne agissant au Canada au nom du non-résident—autre qu’un agent indépendant agissant dans le cours normal de ses activités—qui a, et exerce habituellement au Canada, le pouvoir de conclure des contrats au nom du non-résident
L’ARC indique également dans ses directives que si l’entité non-résidente réside dans un territoire avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale, l’ARC ne considérera pas que le non-résident a un établissement stable au Canada uniquement parce que ses employés exécutent des fonctions d’emploi au Canada en raison des restrictions de voyage imposées dans la foulée de la crise de la Covid-19.
Les directives prévoient également que l’ARC ne considérera pas qu’une entité non-résidente a un établissement stable au Canada du seul fait qu’un agent dépendant, comme un employé, conclut des contrats au Canada au nom de l’entité non-résidente, pourvu que ces activités soient limitées à la période durant laquelle les restrictions de voyage sont en vigueur et que ces activités n’auraient pas eu lieu au Canada en l’absence de celles-ci.
En outre, l’ARC a aussi déclaré qu’elle ne tiendra pas compte des jours où un particulier était présent au Canada en raison de la crise de la COVID-19 pour déterminer si celui-ci satisfait au critère de présence de 183 jours dans le cadre d’une disposition relative aux « établissements stables de services » d’une convention fiscale (comme au paragraphe 9a) de l’article V de la convention avec les États-Unis), pourvu que cette présence au Canada était uniquement due aux restrictions de voyage imposées dans la foulée de la crise de la COVID-19.
EMPLOYÉS OCCUPANT UN EMPLOI TRANSFRONTALIER
Les directives portent également sur des questions relatives aux employés qui travaillent dans un autre pays que leur pays de résidence et dont la mobilité a été touchée par des restrictions de voyage.
Résidents des États-Unis et autres non-résidents exécutant des fonctions au Canada
Aux termes de certaines conventions fiscales bilatérales, comme la convention avec les États-Unis, le Canada peut imposer les salaires et autres formes de rémunération d’employés qui exercent des fonctions au Canada, à la condition, notamment, que les employés soient physiquement présents au Canada pendant plus de 183 jours dans l’année d’imposition. Les directives assurent aux employeurs et aux employés que dans le cas des employés qui exercent actuellement leurs fonctions au Canada pour une certaine période uniquement en raison des restrictions de voyage, les jours en question ne seront pas pris en compte aux fins du calcul des 183 jours prévus par la convention avec les États-Unis et d’autres conventions fiscales ayant une disposition similaire sur les « jours de présence ». À ce titre, ces particuliers continueront de bénéficier de l’allègement prévu par la convention, peu importe la durée de leur présence physique au Canada.
Résidents canadiens
Les employeurs non-résidents de résidents canadiens sont tenus de prélever des retenues à la source sur la rémunération qu’ils versent, même si les fonctions d’emploi sont exercées à l’extérieur du Canada. Dans certaines circonstances, l’ARC émettra une « lettre d’autorisation » à un tel employé, autorisant son employeur non‑résident à réduire les retenues à la source canadienne pour tenir compte du crédit pour impôt étranger auquel l’employé canadien a droit à l’égard de sa charge fiscale étrangère. Les directives confirment que lorsqu’un résident canadien, qui est l’employé d’une entité non-résidente qui s’est vu émettre une lettre d’autorisation pour l’année d’imposition qui inclut la crise, est forcé d’exercer ses fonctions d’emploi au Canada de manière exceptionnelle et pour une période temporaire en raison de restrictions de voyage, la lettre d’autorisation demeurera valide et les obligations de retenues à la source de l’employeur au Canada demeureront inchangées pourvu qu’aucune modification n’ait été apportée aux obligations de retenues de l’entité non-résidente dans l’autre pays.
DEMANDES DE DÉROGATION – PAIEMENTS FAITS À DES NON-RÉSIDENTS POUR SERVICES RENDUS AU CANADA
Si un paiement est fait à un non-résident pour services rendus au Canada, le payeur aura généralement l’obligation en vertu du Règlement 105 de la Loi de l’impôt (le « règlement 105 ») de retenir une somme correspondant à 15 % du montant de la rémunération versée en contrepartie de ces services.
Une demande de dérogation quant aux obligations de retenues visées au règlement 105 peut être présentée à l’ARC par un non-résident dans certaines circonstances, par exemple si le non-résident a le droit d’être exempté de l’impôt canadien aux termes d’une convention fiscale applicable. En raison de la crise de la COVID-19, le traitement des demandes de dérogation à l’égard du règlement 105 a été temporairement interrompu. Bien que l’ARC ait maintenant repris le traitement des demandes, celui-ci fait l’objet de retards qui devraient se poursuivre.
Les directives indiquent que l’ARC acceptera que les demandes de dérogation à l’égard du règlement 105 urgentes soient temporairement soumises par voie électronique. De plus, lorsqu’une demande de dérogation a été soumise à l’ARC à l’égard du règlement 105, mais que, en raison de la crise de la COVID-19, l’ARC n’a pas pu traiter celle-ci dans les 30 jours, l’ARC n’établira pas de cotisation à une personne n’ayant pas déduit, retenu ou remis un montant tel qu’il est prévu au règlement 105, pourvu que la seule raison pour laquelle le non-résident n’a pas pu obtenir une dérogation à l’égard du règlement 105 est attribuable au retard de l’ARC dans le traitement des demandes en raison de la crise de la COVID-19. Les directives précisent par ailleurs que le payeur doit démontrer qu’il a fait des efforts raisonnables pour garantir que la personne non-résidente avait droit à une réduction ou à l’élimination de la retenue d’impôt canadien aux termes d’une convention fiscale conclue avec le Canada.
LETTRES DE CONFORT POUR LES DISPOSITIONS DE BIENS CANADIENS IMPOSABLES
En vertu de la Loi de l’impôt, un vendeur non-résident qui dispose d’un « bien canadien imposable » doit en aviser l’ARC soit avant sa disposition soit dans les dix jours après celle-ci. Une fois que l’avis a été remis et que le vendeur a payé un montant qui couvre l’impôt sur tout gain réalisé lors de la disposition, ou qu’il a fourni une garantie acceptable pour l’impôt dû, l’ARC délivrera un « certificat selon l’article 116 ». L’acheteur d’un bien canadien imposable auprès d’un vendeur non-résident qui ne reçoit pas un certificat selon l’article 116 doit déduire et remettre une somme précise à l’égard du prix d’acquisition du bien.
Le traitement des demandes de certificat selon l’article 116 a été interrompu en raison de la crise de la COVID 19. Bien que l’ARC ait maintenant repris le traitement des demandes, la délivrance des certificats est retardée. Les directives indiquent que les demandes urgentes de lettres de confort conseillant aux acheteurs, aux vendeurs ou à leurs représentants de conserver les fonds retenus à l’égard du prix d’acquisition des biens canadiens imposables (plutôt que de remettre les fonds) peuvent temporairement être soumises en contactant la ligne des demandes de renseignements sur l’impôt des particuliers de l’ARC au 1-800-959-8281.
Pour en savoir davantage à ce sujet, n’hésitez pas à vous adresser en tout temps à l’avocat de Blakes avec lequel vous communiquez habituellement ou à un membre de notre groupe Fiscalité.
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