Introduction
Le 17 octobre 2024, la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a rendu une décision notable dans l’affaire Mathur et al. v. His Majesty the King in Right of Ontario (l’« affaire Mathur »), en ordonnant la tenue d’une nouvelle audience sur la contestation constitutionnelle de la cible du gouvernement de l’Ontario visant à réduire les émissions, un recours engagé par de jeunes militantes. Plus précisément, les requérantes allèguent que la cible de réduction des gaz à effet de serre (« GES ») du gouvernement ontarien viole la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). La décision rendue à l’unanimité dans cette affaire par le plus haut tribunal de l’Ontario établit un précédent important relativement aux litiges liés aux changements climatiques au Canada et ravive la possibilité que la cible de réduction des émissions de GES du gouvernement de l’Ontario soit jugée inconstitutionnelle.
Contexte
L’affaire Mathur est née de l’adoption par l’Assemblée législative de l’Ontario de la Loi de 2018 annulant le programme de plafonnement et d’échange (la « Loi »), laquelle 1) a abrogé la Loi de 2016 modifiant la Loi sur l’atténuation du changement climatique et une économie sobre en carbone, qui établissait des objectifs en matière de réduction des émissions de GES; et 2) a exigé que le gouvernement ontarien fixe de nouveaux objectifs en matière de réduction. Les requérantes qui contestaient la Loi (soit un groupe de sept jeunes militantes) ont fait valoir que l’objectif revu à la baisse du gouvernement ontarien, c’est-à-dire une réduction de 30 % des émissions de GES par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030, était inconstitutionnel et ne respectait pas les normes scientifiques internationales. Les requérantes soutenaient que cette cible violait les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne en vertu de l’article 7 de la Charte, ainsi que les droits à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte. Elles sollicitaient une ordonnance qui obligerait le gouvernement ontarien à établir une nouvelle cible de réduction des émissions, laquelle serait fondée sur des données scientifiques, et à réviser son Plan d’action contre les changements climatiques pour que ce dernier tienne compte des normes internationales.
En avril 2020, le gouvernement ontarien a quant à lui sollicité le rejet sommaire de cette requête au motif que les réclamations des requérantes n’étaient pas justiciables, un argument qui a ultérieurement été rejeté par la Cour supérieure de l’Ontario (la « Cour supérieure »). Cela dit, en avril 2023, cette dernière a rejeté la requête sur le fond, en statuant que la cible fixée par le gouvernement ontarien ne violait pas les droits des requérantes garantis par les articles 7 et 15 de la Charte.
La juge de première instance a déterminé que la question de savoir si les droits des requérantes en vertu de la Charte avaient été violés était justiciable, mais a soutenu que la requête donnait lieu à une revendication de droit positif (positive rights case). Elle a conclu que toute atteinte aux droits garantis par la Charte n’était pas contraire aux principes de justice fondamentale et que la Charte n’imposait pas au gouvernement ontarien l’obligation positive de prendre des mesures précises pour lutter contre les changements climatiques.
Décision d’appel
En appel, les requérantes (ci-après, les « appelantes ») ont fait valoir que la juge de première instance avait considéré à tort leur requête comme une tentative d’imposer des obligations positives autonomes au gouvernement ontarien en matière de lutte contre les changements climatiques. La CAO s’est dite d’accord avec les appelantes, déclarant que la juge de première instance avait effectivement erré en considérant cette affaire comme une revendication de droit positif.
La CAO a noté que la requête ne visait pas à imposer de nouvelles obligations positives pour lutter contre les changements climatiques. En fait, les appelantes faisaient valoir que, puisque le gouvernement ontarien avait volontairement créé une obligation légale positive d’établir une cible en matière de réduction des émissions de GES, ce dernier était tenu de fixer une telle cible en conformité avec la Constitution. Par conséquent, la CAO a déterminé que les réclamations des appelantes fondées sur la Charte soulevaient des questions réelles en suspens. Elle a conclu que la juge de première instance avait commis une erreur en rejetant prématurément la requête plutôt que d’examiner si la cible de réduction des émissions de GES du gouvernement ontarien était conforme à la Charte. De l’avis de la CAO, l’approche de la juge de première instance était contraire à la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada et risquait de soustraire les mesures gouvernementales à d’éventuels examens fondés sur la Charte.
La CAO a néanmoins refusé de statuer elle-même sur les réclamations des appelantes fondées sur la Charte et a renvoyé l’affaire devant la Cour supérieure pour une nouvelle audience, au motif que les tribunaux de première instance sont mieux placés pour déterminer si les déclarations et les directives demandées dans la requête devraient être accordées. Plus particulièrement, la CAO a noté qu’en raison de l’importance des allégations, des questions supplémentaires soulevées en appel et de la nécessité éventuelle de produire d’autres éléments de preuve, il ne serait pas dans l’intérêt de la justice que la CAO effectue elle-même la recherche des faits et l’analyse de la Charte. La CAO a également précisé que si les appelantes obtenaient gain de cause au bout du compte, la Cour supérieure serait mieux placée pour déterminer le recours approprié.
Conclusion
L’affaire Mathur ravive la possibilité que la constitutionnalité de la cible de réduction des émissions de GES du gouvernement de l’Ontario soit contestée. À la suite de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire La Rose c. Canada (consulter notre Bulletin Blakes s’y rapportant), laquelle a permis à des revendications fondées sur la Charte contestant des politiques fédérales en matière de réduction des émissions de GES d’être instruites, il ne fait plus de doute que les contestations constitutionnelles de politiques gouvernementales sur le climat sont bel et bien viables au Canada.
Pour en savoir davantage, communiquez avec un membre de notre groupe Environnement.
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