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La CAO confirme que les règles choisies par les parties en cas d’arbitrage régissent l’analyse de l’impartialité de l’arbitre

16 décembre 2024

La Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a récemment rendu sa décision dans l’affaire Aroma Franchise Company, Inc. v. Aroma Espresso Bar Canada Inc. (l’« affaire Aroma »). Cette décision vient non seulement clarifier le droit régissant l’obligation d’un arbitre de divulguer tout conflit d’intérêts éventuel, mais aussi les normes permettant d’établir l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Dans sa décision, la CAO confirme que l’analyse de l’obligation de divulguer d’un arbitre et toute évaluation de l’impartialité de ce dernier susceptible de découler de l’information éventuellement divulguée s’appuient sur les règles dont ont convenu les parties pour l’arbitrage. Notamment, en vertu de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (la « Loi type »), les circonstances soulevant des doutes légitimes quant à l’impartialité doivent être évaluées de façon objective.

Décision de première instance

Dans l’affaire Aroma, alors qu’un arbitrage était en cours, le conseiller juridique de l’une des parties à cet arbitrage a retenu les services de l’arbitre nommé dans le cadre de celui-ci afin qu’il agisse dans le cadre d’un autre arbitrage (l’« autre arbitrage »). Les parties à cet autre arbitrage, et les questions à trancher dans ce dernier, n’étaient pas liées à celles de l’affaire Aroma.

Lors des procédures devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, la juge de première instance (la « juge ») a déclaré que le défaut de l’arbitre de divulguer l’autre arbitrage, par ailleurs non lié à l’affaire Aroma, soulevait une crainte raisonnable de partialité. Pour en arriver à cette conclusion, la juge s’appuyait largement sur la correspondance entre les parties avant la nomination de l’arbitre, laquelle correspondance portait sur les relations de chacun des conseillers juridiques, les engagements pris avec d’autres arbitres potentiels et les Lignes directrices de l’International Bar Association sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international (les « Lignes directrices de l’IBA »). La juge a souligné que, compte tenu des Lignes directrices de l’IBA et des préoccupations soulevées par les parties, l’arbitre, une fois nommé, avait l’obligation de divulguer l’existence de l’autre arbitrage. Or, comme l’arbitre n’a pas divulgué ce renseignement, la juge a conclu que les circonstances suscitaient une crainte raisonnable de partialité.

Décision d’appel

La CAO a accueilli la demande d’autorisation d’appel et a rétabli la sentence arbitrale, à l’exception de certaines questions non liées qui ont été renvoyées à la juge. Pour en arriver à sa décision, la CAO a noté que, de façon générale, les circonstances exigeant la divulgation de conflits d’intérêts éventuels sont beaucoup plus vastes que les circonstances donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité. Bien que ces deux concepts soient liés, il s’agit de deux concepts distincts.

Obligation de divulguer

La CAO a souligné que, conformément au paragraphe 1) de l’article 12 de la Loi type, un arbitre doit divulguer les circonstances « de nature à » soulever des doutes légitimes sur l’impartialité ou l’indépendance de celui-ci; cette norme repose donc sur un critère objectif. Le paragraphe 2) de l’article 12 de la Loi type permet quant à lui à une partie de récuser un arbitre, mais seulement s’il existe des circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur l’impartialité ou sur l’indépendance de celui-ci. La CAO a examiné l’objet du paragraphe 1) de l’article 12 de la Loi type : c’est-à-dire que le fait de divulguer toute circonstance de nature à soulever des doutes légitimes sur l’impartialité ou l’indépendance évite toute apparence de partialité de l’arbitre tout en permettant aux parties d’examiner le renseignement divulgué et de prendre des mesures en conséquence.

Concernant les Lignes directrices de l’IBA mentionnées par les parties, la CAO a souligné que, bien que ces lignes directrices fournissent des indications, celles-ci n’ont pas préséance sur les règles d’arbitrage choisies par les parties; les parties n’ayant en effet pas choisi d’adopter les Lignes directrices de l’IBA pour l’arbitrage. Or, le paragraphe 1) de l’article 12 de la Loi type, loi que les parties ont choisi d’adopter, prévoit une norme relative à l’obligation de divulguer qui diffère de celle prévue aux Lignes directrices de l’IBA. En fait, aux termes des Lignes directrices de l’IBA, un arbitre doit divulguer toute circonstance pouvant donner lieu à des doutes quant à l’impartialité de celui-ci « aux yeux des parties ». Autrement dit, la norme prévue aux Lignes directrices de l’IBA repose sur un critère subjectif, tandis que celle établie dans la Loi type se fonde sur un critère objectif.

De l’avis de la CAO, la juge a appliqué le critère subjectif prévu dans les Lignes directrices de l’IBA plutôt que le critère objectif de la Loi type. En appuyant sa décision essentiellement sur la correspondance entre les parties, dont l’arbitre n’avait pas pris connaissance par ailleurs, la juge a erré. La CAO a souligné que l’arbitre n’avait connaissance d’aucune circonstance de nature à soulever des doutes légitimes sur l’impartialité ou l’indépendance de celui-ci et que, par conséquent, aucune obligation de divulguer n’incombait à ce dernier aux termes du paragraphe 1 de l’article 12 de la Loi type. De plus, l’autre arbitrage n’impliquait pas les mêmes parties et ne visait pas à trancher des questions similaires; cet autre arbitrage ne déclenchait donc pas une obligation de divulguer d’après la jurisprudence constante liée à la Loi type.

Crainte raisonnable de partialité

La CAO, réitérant la distinction entre les paragraphes 1 et 2 de l’article 12 mentionnée précédemment, a fait remarquer qu’un manquement à l’obligation de divulguer, bien qu’instructif, n’est pas déterminant pour établir s’il existe une crainte raisonnable de partialité. Dans l’affaire Aroma, le défaut de l’arbitre de respecter son obligation de divulguer alors qu’il n’avait connaissance d’aucune circonstance donnant lieu à l’application de cette obligation ne soulevait pas de doutes légitimes sur son impartialité ou son indépendance. Par conséquent, la juge a erré en concluant à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

La CAO a également réitéré que la crainte raisonnable de partialité est une norme objective en droit canadien. Le critère sur lequel s’appuie cette norme est le même que celui établi dans la Loi type, même s’il est formulé autrement dans cette dernière : « doutes légitimes sur [l’]impartialité ou sur [l’]indépendance » de l’arbitre. Bien que le contexte soit important, il existe donc, aux termes de cette norme objective, une forte présomption d’impartialité dans laquelle les opinions subjectives des parties sont sans pertinence. De l’avis de la CAO, la juge a commis une erreur en tenant compte des opinions subjectives des parties dans l’application de la norme objective qui s’appliquait en l’espèce. Objectivement, les circonstances ne soulevaient aucune crainte raisonnable de partialité.

Conclusion

La décision Aroma démontre la nécessité pour les parties de choisir avec soin les règles qui régiront un arbitrage et de bien comprendre le droit en vigueur dans le territoire où l’arbitrage aura lieu. Indépendamment des règles choisies, si des parties à un arbitrage souhaitent que des circonstances particulières soient prises en considération par les arbitres potentiels au moment d’évaluer les possibles conflits d’intérêts (comme d’autres mandats que pourraient avoir confiés les conseillers juridiques des parties à ces arbitres), elles doivent faire part de ces circonstances particulières aux arbitres potentiels à un stade précoce du processus d’arbitrage.

Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un membre de nos groupes Arbitrage ou Arbitrage aux termes de traités sur l’investissement.

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