Dans l’affaire Vento Motorcycles, Inc. v. Mexico (l« affaire Vento »), la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a annulé une sentence prononcée par une formation arbitrale (la « sentence »), en raison d’une crainte raisonnable de partialité à l’endroit d’un des membres de la formation. En parvenant à cette conclusion, la CAO a cassé la décision du tribunal inférieur, lequel avait refusé d’annuler la sentence malgré une crainte raisonnable de partialité. Pour une explication plus détaillée de la décision rendue par le tribunal inférieur, consultez ce Bulletin Blakes.
Contexte
L’appel fait suite à une procédure arbitrale entreprise par Vento Motorcycles, Inc. (« Vento ») aux termes du chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (l’« ALÉNA »). Vento, un fabricant américain de motocyclettes, alléguait que les États-Unis du Mexique (le « Mexique ») avaient tenté de le chasser du marché mexicain en refusant le traitement tarifaire préférentiel aux motocyclettes Vento assemblées aux États-Unis. Vento affirmait que ce refus avait anéanti ses activités de vente et de commercialisation de motocyclettes au Mexique.
Vento et le Mexique ont chacun nommé un membre de la formation arbitrale, alors que le troisième a été nommé par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements. La formation arbitrale a éventuellement rejeté la requête présentée par Vento, les arbitres ayant conclu à l’unanimité que le Mexique n’avait pas manqué à ses obligations aux termes de l’ALENA.
Après le prononcé de la sentence, Vento a appris que l’arbitre nommé par le Mexique, Hugo Perezcano (« M. Perezcano ») et l’avocat principal du Mexique avaient été en communication concernant la possibilité que M. Perezcano soit inscrit à certaines listes d’arbitres mexicains compétents pour entendre des différends commerciaux. L’inscription de M. Perezcano aux listes en question a été confirmée après la tenue de l’audience d’arbitrage, mais avant le prononcé de la sentence. Aucune de ces communications n’a cependant été divulguée aux parties à l’arbitrage pendant la procédure.
Décision de première instance
Vento a alors présenté une demande d’annulation de la sentence en vertu du paragraphe 2 de l’article 34 de la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (la « Loi type »). La Loi type a été adoptée par différents ressorts canadiens, dont l’Alberta, la Colombie-Britannique et l’Ontario, par l’intermédiaire de leur loi respective en matière d’arbitrage commercial international.
La juge saisie de la demande a conclu que la conduite de M. Perezcano suscitait une crainte raisonnable de partialité dans la mesure où le gouvernement mexicain avait offert à ce dernier des occasions professionnelles intéressantes. Elle a noté que cette crainte raisonnable de partialité était aggravée par le défaut de M. Perezcano et du Mexique de divulguer, lors de la procédure d’arbitrage, les occasions professionnelles offertes et les différentes communications s’y rattachant. Malgré cela, la juge saisie de la demande a exercé son pouvoir discrétionnaire et a refusé d’annuler la sentence, concluant que les deux autres membres de la formation arbitrale, qui avaient également rendu une décision en faveur du Mexique, n’avaient pas été entachés par la crainte raisonnable de partialité et que la fiabilité globale de la sentence arbitrale n’avait pas été compromise.
Décision de la CAO
En appel, le Mexique n’a pas contesté l’existence de la crainte raisonnable de partialité à l’endroit de M. Perezcano. La seule question à trancher dans le cadre de l’appel était donc de savoir si la conclusion d’une crainte raisonnable de partialité exigeait que la juge saisie de la demande annule la sentence.
Le rôle des tribunaux judiciaires dans la supervision des arbitrages commerciaux internationaux est limité par le paragraphe 2 de l’article 34 de la Loi type aux questions non visées par la sentence arbitrale faisant l’objet d’une demande d’annulation. Les parties de l’affaire Vento et la CAO ont toutes reconnu qu’un tribunal peut annuler une sentence arbitrale s’il existe une crainte raisonnable de partialité aux termes de l’article 34(2)a)(iv), lequel stipule qu’une sentence peut être annulée si « la constitution du tribunal arbitral, ou la procédure arbitrale, n’a pas été conforme à la convention des parties ». La CAO a souligné qu’une procédure arbitrale entachée de partialité ne traite pas les parties de manière équitable et n’est donc pas conforme à la convention de ces dernières.
La CAO a également noté que les erreurs relatives à la tenue d’une audience équitable dans le contexte de l’arbitrage ne soulèvent pas nécessairement les mêmes préoccupations que dans l’exercice de l’autorité publique, de sorte que les tribunaux judiciaires n’interviendront que lorsqu’il peut être démontré qu’une violation de la règle relative à la tenue d'une audience équitable a eu une incidence sur l’équité en matière de fond de l’audience.
La CAO a néanmoins conclu que la sentence en l’espèce devait être annulée, et ce, même si celle-ci avait été rendue à l’unanimité par la formation arbitrale. Selon la CAO, la partialité d’un membre entache l’ensemble de la formation; donc, lorsqu’il existe une crainte raisonnable de partialité, l’arbitre visé est disqualifié et la décision quant au fond est nulle. Pour étayer ses conclusions, la CAO a déclaré qu’il existe un principe clair en droit canadien selon lequel la participation d’un membre partial exige que la sentence soit annulée même dans le cas d’une sentence rendue à l’unanimité.
Principaux points à retenir
- La décision de la CAO dans l’affaire Vento fournit un résumé clair et détaillé du droit à l’équité procédurale. Les avocats spécialisés en litige au Canada pourraient vouloir en prendre connaissance.
- La décision de la CAO explique de façon claire les conséquences de l’existence d’une crainte raisonnable de partialité à l’endroit d’un des membres d’une formation arbitrale. Dans un tel cas, l’arbitre visé est disqualifié et la décision quant au fond est nulle.
- La décision de la CAO souligne l’importance de la divulgation continue des conflits potentiels. Il n’est pas inhabituel que les parties communiquent avec des arbitres en vue d’une nomination éventuelle, même pendant que des procédures d’arbitrage sont en cours. Il est important de divulguer clairement et soigneusement de telles communications afin d’éviter qu’une crainte raisonnable de partialité soit soulevée ultérieurement. Dans certaines circonstances, la divulgation ne suffira toutefois pas à elle seule à écarter toute possibilité qu’un tribunal conclue à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.
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