La Cour d’appel fédérale (la « CAF ») a rétabli, en partie, deux requêtes contestant la politique et la législation du gouvernement fédéral en matière de climat. Le 13 décembre 2023, la CAF a rendu sa décision dans l’affaire La Rose v. Canada, permettant aux demandeurs de deux requêtes différentes de modifier leurs actes de procédure afin que leurs revendications puissent être instruites. Les deux groupes de demandeurs alléguaient notamment que la réponse du gouvernement aux changements climatiques violait le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »).
Bien que la CAF ait autorisé la poursuite des revendications fondées sur l’article 7, elle a confirmé la décision de la Cour fédérale de radier, sans autorisation de modifier, les revendications des demandeurs qui étaient fondées sur l’article 15 (droits à l’égalité) de la Charte, sur la disposition relative à la paix, à l’ordre et au bon gouvernement (la « disposition POBG ») de la Loi constitutionnelle de 1867 (la « Loi constitutionnelle ») et sur la présumée doctrine de la fiducie d’intérêt public.
Le bien-fondé des revendications exprimées par les demandeurs en vertu de l’article 7 demeure encore à déterminer; néanmoins, la CAF précise dans sa décision qu’il n’est pas clair et évident que celles-ci n’ont aucune possibilité raisonnable de succès. Elles devraient donc être autorisées à suivre leur cours.
Contexte
Ce pourvoi en appel portait sur deux décisions distinctes de la Cour fédérale aux termes desquelles des requêtes contestant la réponse du gouvernement fédéral aux changements climatiques, soit La Rose c. Canada (l’« affaire La Rose ») et Misdzi Yikh c. Canada (l’« affaire Misdzi Yikh »), ont été radiées. Dans l’affaire La Rose, les demandeurs sont 15 enfants et jeunes de partout au Canada, alors que dans l’affaire Misdzi Yikh, les demandeurs sont des membres de deux groupes autochtones.
D’après les demandeurs de ces affaires, le Canada échoue à lutter adéquatement contre les changements climatiques. Les demandeurs ont notamment soutenu que les politiques, les lois et les mesures existantes en matière de réduction des gaz à effet de serre au Canada sont insuffisantes et violent ainsi plusieurs droits et doctrines constitutionnels. Cela dit, aucun des appelants n’a identifié de lois ou de règlements précis qu’ils jugent inconstitutionnels; ils ont plutôt contesté la politique du gouvernement dans son ensemble.
Les demandeurs demandaient réparation en vertu de la disposition POBG, de la doctrine de la fiducie d’intérêt public ainsi que des articles 7 et 15 de la Charte.
Radiation des revendications fondées sur la doctrine de la fiducie d’intérêt public, la disposition POBG et l’article 15
La CAF s’est dite d’accord avec le tribunal d’instance inférieure que la doctrine de la fiducie d’intérêt public invoquée par les demandeurs n’est pas reconnue en droit canadien. Les demandeurs soutenaient en fait que le Canada a le devoir de préserver et de protéger les ressources intrinsèquement publiques, comme les plans d’eau, l’air et le pergélisol, au profit des générations futures. Selon eux, ce devoir découle de la doctrine de la fiducie d’intérêt public et l’« inaction » du Canada en matière de changements climatiques contreviendrait à cette doctrine. La CAF a toutefois rejeté cette allégation et a conclu que ces revendications n’offraient aucune chance raisonnable de succès.
Les demandeurs alléguaient par ailleurs que les devoirs du gouvernement fédéral de légiférer en vertu de sa compétence en matière « de paix, d’ordre et de bon gouvernement » conformément à l’article 91 de la Loi constitutionnelle l’empêchent d’adopter des lois qui sont incompatibles avec son obligation constitutionnelle et ses obligations internationales de freiner le réchauffement climatique. La CAF a cependant noté que la disposition POBG confère un pouvoir législatif et ne peut être interprétée comme imposant des limites ou des obligations. Celle-ci ne peut servir à obliger le Canada à adopter des lois sur les changements climatiques.
Enfin, la CAF a déclaré que les revendications des demandeurs fondées sur l’article 15 de la Charte ne sont pas viables. Selon les demandeurs, la législation canadienne sur les changements climatiques aurait une incidence défavorable ou disproportionnée sur les appelants, soit les jeunes et les Autochtones. Or, la CAF a expliqué que l’effet défavorable ou disproportionné des changements climatiques sur les appelants n’est pas le genre d’effet défavorable que l’article 15 de la Charte vise à atténuer. L’article 15 n’impose pas à l’État l’obligation de légiférer de façon à remédier à des inégalités sociales.
Autorisation des revendications fondées sur l’article 7
Les appelants ont fait valoir que l’« inaction » du Canada en matière de changements climatiques les privait de la sécurité de leur personne en vertu de l’article 7 de la Charte. Plus particulièrement, les actes de procédure présentés par les demandeurs autochtones faisaient état d’une privation directe quant à leur sécurité alimentaire, à leur culture et à leur économie, laquelle privation étant attribuable aux effets des changements climatiques. Les actes de procédure soumis par les jeunes demandeurs étaient moins précis à cet égard.
La CAF a déclaré que le tribunal de première instance avait erré en radiant ces revendications sans accorder aux demandeurs l’autorisation de modifier leurs actes de procédure. Selon la Cour fédérale, les demandeurs faisaient valoir des « droits positifs » qui ne sont généralement pas conférés en vertu de l’article 7. La CAF a souligné que la ligne de démarcation entre les droits négatifs et les obligations positives est floue, et a noté qu’il est possible que l’article 7, dans des circonstances spéciales, puisse soutenir des droits positifs. La CAF a radié les revendications fondées sur l’article 7, mais a autorisé les demandeurs à reformuler leurs actes de procédure afin de fournir plus de précisions et de leur donner une orientation suffisante pour permettre une analyse constitutionnelle. Une fois modifiées convenablement, les requêtes pourront suivre leur cours.
Points à retenir
La CAF reconnait à présent qu’il pourrait y avoir des contestations viables de la législation sur les changements climatiques en vertu de l’article 7 de la Charte. À condition que les actes de procédure soient suffisamment précis, de telles requêtes pourraient vraisemblablement survivre à une requête en radiation et être instruites. Bien sûr, cela ne garantit pas un résultat particulier sur le fond. Il sera important de surveiller l’évolution de ces affaires alors qu’elles passeront à l’étape de la détermination du bien-fondé.
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