Dans Shell Canada Limited v. Alberta (Energy), la Cour d’appel de l’Alberta (la « Cour ») a confirmé une décision rendue par la Cour du Banc du Roi de l’Alberta dans une affaire de contrôle judiciaire, laquelle décision annulait une autre décision rendue par le ministre de l’Énergie de l’Alberta (le « ministre ») aux termes du régime de redevances sur les sables bitumineux de l’Alberta (le « régime RSB »). La décision de la Cour, qui est la première affaire en appel à porter sur l’interprétation du régime RSB, témoigne du fait que les tribunaux sont disposés à intervenir dans certaines circonstances appropriées pour s’assurer que le gouvernement traite les participants du secteur de l’énergie de façon juste et raisonnable.
Cette décision s’inscrit dans une tendance accrue des tribunaux de l’Alberta à tenir responsables les acteurs administratifs des décisions déraisonnables ou inéquitables sur le plan de la procédure prises dans le contexte du régime RSB. Elle sert par ailleurs de rappel que le processus de contrôle judiciaire peut être un outil de surveillance efficace pour appuyer la mise en œuvre adéquate du régime RSB autant par la province que par les participants du secteur, lesquels investissent des milliards de dollars dans l’économie de l’Alberta.
Contexte
Le régime RSB permet aux producteurs de sables bitumineux de déduire des coûts raisonnables dans le calcul des redevances dues à la Couronne. Certaines charges liées à la main-d’œuvre font partie des coûts qui peuvent être déduits, ce qui comprend les charges liées aux employés « exclusivement affectés » (solely dedicated) à un projet de sables bitumineux.
Dans cette affaire, le ministère de l’Énergie de l’Alberta (le « ministère ») a refusé certaines charges liées à la main-d’œuvre déduites par un exploitant. La décision du ministère était fondée sur le fait que, même si ces charges étaient liées à des employés exclusivement affectés à un projet particulier, ces employés avaient également effectué des travaux visant des actifs dans d’autres projets de l’exploitant au cours de la même année civile, et que pour ces travaux, l’exploitant n’avait pas cherché à déduire de charges liées à la main-d’œuvre. L’exploitant a contesté le refus des déductions demandées et a introduit un recours administratif. Après un délai administratif considérable, le ministre a rendu une brève décision dans laquelle il concluait que le recours de Shell était « sans fondement » (without merit) et annonçait son refus de convoquer une audience sur la question devant un tribunal indépendant et impartial, soit un comité d’examen des différends (Dispute Review Committee).
L’exploitant a présenté avec succès une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. Dans l’affaire Shell Canada Limited v. Alberta (Energy), la Cour du Banc du Roi de l’Alberta a conclu que le recours de l’exploitant était fondé et qu’une audience devant le comité d’examen des différends était requise par la loi. Le ministre a interjeté appel de cette décision.
Décision
La Cour a d’abord examiné l’objet et le contexte du régime RSB, et a formulé la question à trancher comme étant de savoir s’il était raisonnable pour le ministre d’exercer le rôle de gardien prévu par la loi afin d’écarter le recours de l’exploitant en le qualifiant de frivole, vexatoire ou sans fondement. Pour déterminer que la décision du ministre était déraisonnable, la Cour a appliqué le cadre d’analyse de la norme de contrôle établi dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov. Ce cadre prévoit notamment que, lorsqu’un décideur administratif présente des motifs écrits, la cour de révision se reportera à ces derniers pour comprendre le raisonnement ayant mené à la décision administrative afin de déterminer si celle-ci est, dans son ensemble, raisonnable.
Appliquant ce cadre d’analyse à la décision du ministre, la Cour conclut ce qui suit :
[Traduction] Les motifs donnés par le ministre n’expliquent pas l’analyse qu’il a effectuée ou le critère qu’il a appliqué pour déterminer que le recours de Shell était « sans fondement ». Ses motifs ne font que réitérer la position du ministère selon laquelle l’interprétation de Shell est « incompatible avec le règlement tel qu’il est rédigé ». Les motifs n’explicitent pas le raisonnement qui a mené à cette conclusion, ne tiennent pas compte du contexte et de l’objet du règlement et, par conséquent, ne satisfont pas à la norme de justification, de transparence et d’intelligibilité qui sous-tend le critère du caractère raisonnable.
Bien que la Cour ait noté qu’il est souvent approprié de renvoyer une affaire à un décideur administratif afin qu’il réexamine une décision contestée en se fondant sur les motifs du tribunal, la Cour n’a pas procédé ainsi cette fois. Étant donné que le ministre avait mis près de trois ans à répondre à la requête de l’exploitant de former un comité d’examen des différends, la Cour a déterminé qu’il était approprié de déclarer elle-même qu’un tel comité devait être mis sur pied.
Conclusion
Les règlements spécifiques applicables aux différents participants du secteur qui souhaitent déduire des coûts aux fins du calcul des redevances peuvent varier en fonction de chaque cas. Cette décision constitue néanmoins un précédent en ce qui a trait aux affaires portées en appel qui témoigne de la tendance émergente des tribunaux de l’Alberta à intervenir pour contester des décisions déraisonnables ou inéquitables sur le plan de la procédure rendues par des fonctionnaires. Elle rappelle de surcroît aux parties que l’Alberta doit s’acquitter de son mandat de gestion des redevances de façon raisonnable, car les intérêts d’un promoteur de projet à l’égard du recouvrement de certains coûts inhérents à de grands projets d’infrastructure sont tout aussi importants que les intérêts de la Couronne envers la perception des redevances.
Enfin, la décision de la Cour de ne pas renvoyer l’affaire pour réexamen, en partie en raison de la lenteur administrative, constitue un rappel bienvenu que le régime de redevances de l’Alberta est conçu pour assurer un processus rapide et équitable.
Blakes a agi pour les intimés ayant eu gain de cause dans cet appel, soit Shell Canada Limitée et Shell Canada Énergie.
Pour en savoir davantage, veuillez communiquer avec :
Plus de ressources
Les communications de Blakes et de Classes affaires de Blakes sont publiées à titre informatif uniquement et ne constituent pas un avis juridique ni une opinion sur un quelconque sujet. Nous serons heureux de vous fournir d’autres renseignements ou des conseils sur des situations particulières si vous le souhaitez.
Pour obtenir l'autorisation de reproduire les articles, veuillez communiquer avec le service Marketing et relations avec les clients de Blakes par courriel à l'adresse communications@blakes.com.
© 2024 Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.