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La Cour d’appel de l’Ontario invalide la clause d’arbitrage étranger d’un contrat type

13 janvier 2019

La Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour ») a infirmé à l’unanimité la décision rendue en première instance dans l’affaire Heller v. Uber Technologies et al. ordonnant la suspension d’une action collective (un « recours collectif » en Ontario) intentée par un chauffeur contre Uber Technologies Inc. (et des sociétés liées, collectivement « Uber ») en se fondant sur la nature obligatoire d’une clause d’arbitrage étranger dans le contrat de service du chauffeur. Après avoir réalisé une analyse contextuelle, la Cour a conclu que la clause d’arbitrage était invalide et que le tribunal inférieur avait le pouvoir discrétionnaire de refuser de suspendre l’action aux termes d’une exception prévue par la loi en matière d’arbitrage.

CONTEXTE

Le demandeur, David Heller, a intenté un recours collectif fondé sur des allégations selon lesquelles lui et les autres chauffeurs Uber étaient des employés d’Uber et, par conséquent, qu’ils pouvaient bénéficier de certains droits et avantages aux termes de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (la « LNE ») de l’Ontario. Le recours collectif projeté visait à obtenir des déclarations de violation de la LNE par Uber et le paiement de 400 M$ CA en dommages-intérêts.

Le contrat entre le demandeur et Uber, qui est un contrat d’adhésion type, contenait une clause stipulant que celui-ci est régi exclusivement par les lois des Pays-Bas et doit être interprété conformément à ces lois, et que les différends doivent être soumis à la médiation devant la Chambre de commerce international (la « CCI ») et, si la médiation est infructueuse, à l’arbitrage aux Pays-Bas (la « clause d’arbitrage »).

Avant que le recours soit certifié comme recours collectif, Uber a déposé une requête en suspension de l’action afin que l’affaire soit déférée à l’arbitrage. Le juge Perell a accueilli la requête d’Uber et a autorisé la suspension. Ce faisant, il a conclu qu’en l’absence de disposition expresse interdisant l’arbitrage (ce qui n’est pas le cas dans la LNE), il devait appliquer la convention d’arbitrage conclue entre les parties et permettre à l’arbitre de régler les différends portant sur la compétence. Il a également rejeté l’argument du demandeur selon lequel la clause d’arbitrage était inique. Le demandeur a interjeté appel de la décision.

Décision de la Cour d’appel

Pour sa part, la Cour d’appel a conclu que la clause d’arbitrage est invalide pour deux motifs distincts : i) la clause d’arbitrage constitue une renonciation illégale à une norme d’emploi, ce qui contrevient à la LNE; et ii) la clause d’arbitrage est inique en vertu de la common law.

En ce qui concerne le premier motif, l’article 5 de la LNE restreint la capacité des employeurs et des employés de se soustraire ou de renoncer à une norme d’emploi et répute toute telle soustraction ou renonciation comme étant nulle. La Cour a conclu que le droit d’un employé de porter plainte au ministère du Travail en vertu de l’article 96 de la LNE, de même que le processus d’enquête découlant de l’exercice de ce droit, constitue une norme d’emploi.

La Cour a conclu qu’en obligeant les chauffeurs à soumettre à l’arbitrage aux Pays-Bas toute plainte qu’ils peuvent avoir contre Uber, la clause d’arbitrage les empêche de se prévaloir du processus de plainte en vertu de l’article 96 et équivaut à une renonciation interdite à une disposition de la LNE, ce qui rend la clause d’arbitrage nulle et invalide.

Quant au deuxième motif, la Cour a noté que le pouvoir de négociation était nettement inégal entre le demandeur et Uber, et qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait reçu un avis juridique ou tout autre conseil avant de conclure le contrat de service, ni qu’il ait négocié les modalités du contrat type d’Uber.

La Cour a conclu que la clause d’arbitrage constitue un accord essentiellement inéquitable. Lorsqu’elle a rendu sa décision, la Cour a indiqué que les chauffeurs d’Uber :

  • ne disposaient d’aucun recours pour résoudre les différends en Ontario;
  • étaient tenus de soumettre individuellement toute réclamation (même celles de moindre importance) à l’arbitrage aux Pays-Bas (un territoire n’ayant aucun lien avec l’endroit où les chauffeurs résident ou offrent leurs services) conformément aux lois des Pays-Bas et aux termes des règles de la CCI; et
  • devaient débourser des coûts initiaux élevés et disproportionnés.

De plus, la Cour a conclu que l’on peut raisonnablement déduire qu’Uber a sciemment et intentionnellement choisi la clause d’arbitrage pour s’avantager et pour profiter de ses chauffeurs.

DISCUSSION

La décision de la Cour reflète le refus d’un tribunal de l’Ontario d’appliquer une clause d’arbitrage dans le contexte d’un contrat d’adhésion type conclu entre des parties ayant des pouvoirs de négociation inégaux et prévoyant que tout différend sera soumis à l’arbitrage d’un territoire étranger et assujetti à des lois étrangères.

La Cour a reconnu que la relation entre Uber et ses chauffeurs n’était pas purement commerciale, mais s’apparentait davantage à celle d’un consommateur négociant avec une entreprise. Par conséquent, cette décision ne devrait pas avoir une incidence sur le caractère exécutoire des clauses d’arbitrage conclues entre des parties commerciales et averties.

Cependant, les clauses d’arbitrage obligatoires comprises dans les contrats types conclus avec des employés ou des sous-traitants qui prévoient que tout différend devra être soumis à l’arbitrage dans un territoire étranger et être assujetti à des lois étrangères, sans tenir compte de la relation entre les parties, du degré d’expertise de celles‑ci ou de la nature et de la taille du différend, sont peu susceptibles d’être appliquées par les tribunaux.

Les déclarations de la Cour concernant la compétence de l’arbitre et l’applicabilité du principe de compétence-compétence dans cette affaire pourraient également avoir des répercussions importantes sur l’application future de ce principe et permettre de déterminer si l’invalidité d’une clause d’arbitrage est un enjeu relevant de la compétence de l’arbitre. La Cour n’a pas creusé davantage cette question. Les tribunaux devront fournir de plus amples précisions à cet égard pour aider les parties dans la conclusion de conventions d’arbitrage.

Cette décision pourrait être portée en appel devant la Cour suprême du Canada.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Claude Marseille                        514-982-5089
Rahat Godil                                416-863-4009
Skye Sepp                                 416-863-3887
Anna Abbott                               416-863-4277

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