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La Cour supérieure du Québec libère un locataire de son obligation de payer le loyer dans le contexte de la COVID-19

11 août 2020

Le 16 juillet 2020, la Cour supérieure du Québec (la « Cour ») a rendu un jugement particulièrement intéressant dans l’affaire Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec inc. Dans sa décision, le juge Kalichman a interprété la clause de force majeure d’un bail commercial dans le contexte de la pandémie de COVID-19 et a accordé une réduction de loyer au locataire.

CONTEXTE

9368-7614 Québec inc. (le « locataire ») a conclu un bail avec Hengyun International Investment Commerce Inc. (le « locateur ») le 3 novembre 2017 (le « bail ») afin d’exploiter un centre de conditionnement physique dans des locaux loués dans un immeuble du boulevard Cavendish à Montréal (les « locaux »).

Par la voie d’une demande en justice, le locataire a demandé une réduction importante de son loyer en raison des divers problèmes auxquels il faisait face, dont son incapacité à exercer ses activités en raison de la pandémie de COVID-19. Les arguments avancés par le locataire à l’appui de sa demande sont fondés sur la notion de jouissance paisible, dont il est question à l’article 1854 du Code civil du Québec (le « CCQ ») :

1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué, et de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.

Comme la Cour l’a souligné, l’obligation d’un locateur de procurer la jouissance paisible est une obligation de résultat. Par conséquent, celui-ci ne peut être libéré de cette obligation que dans un cas de force majeure. Si un locateur ne s’acquitte pas d’une de ses obligations aux termes du bail, y compris l’obligation de procurer la jouissance paisible, le locataire peut demander une réduction de loyer.

RÉDUCTION DE LOYER

Du fait de l’application d’un décret du gouvernement provincial, le locataire s’est vu obligé de fermer le centre de conditionnement physique le 24 mars 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 (le « décret »). Les portes du centre sont demeurées fermées pendant le restant du mois de mars, ainsi qu’en avril, en mai et en juin 2020. Le locataire a fait valoir que son incapacité d’exercer ses activités et donc de gagner un revenu a été causée par une force majeure et qu’il devrait donc être libéré de son obligation de payer le loyer pour cette période.

De son côté, le locateur a invoqué le fait que la situation décrite par le locataire était expressément prévue au paragraphe 13.03 du bail, selon lequel le locataire doit payer son loyer même en cas de force majeure [traduction] :

13.03 Retard inévitable

Malgré toute disposition à l’effet contraire dans le présent bail, si le locateur ou le locataire ne peut exécuter toute modalité, toute obligation ou tout acte aux termes du présent bail, ou si cette exécution est retardée ou entravée, en raison d’une force majeure, d’une grève, d’un lock-out, d’un conflit de travail, d’une émeute, d’un accident, d’une incapacité de se procurer du matériel, ou de règles, de règlements ou de décrets gouvernementaux restrictifs, de la faillite de sous-traitants ou de tout autre événement, de même nature que ceux qui précédent ou non, qui échappent au contrôle raisonnable du locateur ou du locataire, selon le cas, l’exécution d’une telle modalité, d’une telle obligation ou d’un tel acte est excusée pour la période du retard, et la partie ainsi retardée a le droit d’exécuter une telle modalité, une telle obligation ou un tel acte dans un délai approprié après la fin du retard, sans être tenue de verser des dommages-intérêts à l’autre partie.

Toutefois, les dispositions du présent paragraphe 13.03 ne peuvent pas servir à libérer le locataire de son obligation de payer promptement le loyer de base, tout loyer additionnel ou tout autre paiement requis par le présent bail.

En outre, le locateur a soulevé le fait que le locataire a demandé et reçu un prêt d’urgence du gouvernement d’un montant de 40 000 $ CA dans le contexte de la pandémie de COVID-19, et qu’il ne pouvait donc pas prétendre qu’une force majeure l’empêchait de payer son loyer.

Après avoir tenu compte de tous les faits décrits ci-dessus, la Cour a conclu qu’aucun loyer ne pouvait être réclamé au locataire pour les mois de mars, d’avril et de mai au complet, ainsi que pour une partie du mois de juin. Toutefois, pour parvenir à cette conclusion, la Cour a suivi un autre raisonnement que celui que lui avait soumis le locataire.

D’abord, la Cour a réitéré le concept de force majeure, tel qu’il est défini à l’article 1470 du CCQ :

1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

Alors que le locataire a fait valoir qu’il était incapable d’exercer ses activités et de générer des revenus en raison d’une force majeure, la Cour a rejeté cet argument et a conclu qu’en réalité c’était plutôt le locateur qu’une force majeure empêchait de remplir son obligation de procurer au locataire une jouissance paisible des locaux.

Qui plus est, même si la Cour a reconnu que le locataire avait réussi à établir le caractère imprévisible de la situation, elle a conclu que celui-ci n’avait pas satisfait au deuxième volet du critère, soit le caractère irrésistible. En effet, pour satisfaire au critère juridique relatif à la force majeure établi dans le CCQ, la force majeure invoquée doit empêcher n’importe quel locataire de payer son loyer et non pas seulement le locataire dont il est question ou ceux qui ne disposent pas de suffisamment de fonds.

La Cour a ajouté que même si le locataire continuait d’avoir accès aux locaux, d’y entreposer son équipement et, dans une certaine mesure, de bénéficier de services, le bail prévoyait que les locaux devaient être utilisés uniquement en tant que centre de conditionnement physique. Or, le décret interdisait ce type d’activité. La Cour a donc statué que le locataire n’avait pas eu la jouissance paisible des locaux pendant cette période.

La Cour a ensuite invoqué l’article 1694 du CCQ, qui se lit comme suit :

1694. Le débiteur ainsi libéré ne peut exiger l’exécution de l’obligation corrélative du créancier; si elle a été exécutée, il y a lieu à restitution.

Lorsque le débiteur a exécuté son obligation en partie, le créancier demeure tenu d’exécuter la sienne jusqu’à concurrence de son enrichissement.

Par conséquent, même si une force majeure avait empêché le locateur de procurer la jouissance paisible au locataire, il ne pouvait pas insister pour que le locataire lui verse son loyer.

Cela étant dit, la Cour a donné raison au locateur sur le fait que, dans le cas des baux commerciaux, les dispositions du CCQ, y compris en ce qui concerne l’obligation de procurer la jouissance paisible, ne sont pas d’ordre public et que les parties sont donc libres de limiter les effets de ces dispositions. Toutefois, en l’espèce, la Cour a conclu que là n’est pas l’objet du paragraphe 13.03 du bail. Selon la Cour, cette clause vise uniquement les obligations dont l’exécution est retardée par une force majeure et non les obligations qui ne peuvent aucunement être remplies. Ainsi, suivant le libellé du paragraphe 13.03, la partie incapable de remplir une obligation est uniquement excusée pour la durée du retard et doit donc remplir cette obligation ultérieurement.

De l’avis de la Cour, l’exécution, par le locateur, de son obligation de procurer la jouissance paisible des locaux de mars à juin 2020 n’a pas été retardée. Le locateur ne pouvait tout simplement pas remplir son obligation. Par conséquent, le locateur ne peut pas insister pour obtenir le paiement du loyer pour cette période, et le paragraphe 13.03 du bail ne s’applique pas.

Enfin, après être parvenue à cette conclusion, la Cour a déclaré que même si l’interprétation du paragraphe 13.03 par le locateur était correcte, cette clause ne peut servir à libérer entièrement le locateur de son obligation principale aux termes du bail : procurer la jouissance paisible des locaux. Les parties à un bail peuvent convenir de limiter les conséquences d’un défaut du locateur de procurer la jouissance paisible, mais ne peuvent convenir d’exclure complètement cette obligation. Cette opinion se retrouve dans la doctrine et est partagée par la Cour d’appel dans la décision qu’elle a rendue dans l’affaire CNH Canada Ltd. c. Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d'assurances générales.

CONCLUSION

Dès le début de la pandémie de COVID-19, des locateurs et des locataires ont cherché à établir les conséquences de la pandémie et des décrets gouvernementaux connexes sur leurs obligations respectives. Avec l’aide de conseillers juridiques, les parties ont voulu se positionner de manière à obtenir les meilleurs résultats possibles en se fondant sur les clauses de leurs baux commerciaux. Jusqu’à maintenant, toutefois, il existait peu d’indications sur la façon dont les tribunaux québécois allaient traiter cette situation.

Cette décision, qui ne fait pas l’objet d’un appel pour le moment, fournit une première interprétation à ce sujet. Il nous faut toutefois attendre de voir comment les diverses parties concernées par un immeuble commercial l’appliqueront. Il est probable que les locataires cherchant à obtenir une réduction de loyer invoqueront cette décision, tandis que les locateurs s’efforceront de démontrer que leurs baux (et les faits sur lesquels la Cour s’est fondée) sont différents de celui que la Cour a analysé dans sa décision.

Les locateurs voudront sans doute maintenant modifier le libellé de leurs baux commerciaux en conséquence afin d’éviter ce genre de problème, ou d’en réduire les effets. On peut donc croire que l’analyse des dispositions juridiques et contractuelles effectuée par la Cour dans la décision servira à établir les paramètres de la négociation des baux pour les mois et les années à venir.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Matthew Liben                        514-982-5091
Pierre-Denis Leroux               514-982-4121
Géraldine Côté-Hébert          514-982-5042

ou un autre membre du groupe Immobilier commercial.

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