Le 4 avril 2019, dans l’affaire TELUS Communications Inc. c. Wellman (l’« arrêt Wellman »), la majorité des juges de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») a statué que, dans le cadre d’une action collective, les réclamations de clients commerciaux doivent être suspendues conformément aux clauses d’arbitrage contenues dans les conditions types des contrats de ces clients. Elle a conclu que la Loi de 1991 sur l’arbitrage (Ontario) (la « Loi sur l’arbitrage ») ne permet pas aux tribunaux de refuser de surseoir aux réclamations des membres d’une action collective qui sont visées par une clause d’arbitrage valide.
DÉCISIONS DES TRIBUNAUX INFÉRIEURS
Le demandeur, qui prétend que TELUS a procédé à de la surfacturation, a déposé une demande d’action collective au nom de quelque deux millions de résidents ontariens ayant conclu un contrat de services de téléphonie cellulaire avec TELUS. Le groupe proposé incluait des consommateurs qui avaient conclu leur contrat pour des fins personnelles ainsi que des clients commerciaux qui l’avaient conclu pour les fins de leur entreprise. Les contrats de tous les membres du groupe contiennent une clause d’arbitrage qui, en vertu de la Loi de 2002 sur la protection du consommateur (Ontario), ne peut être opposée aux consommateurs. Cependant, les clients commerciaux ne sont pas visés par cette loi; TELUS a donc demandé un sursis des réclamations des clients commerciaux sur la base de la clause d’arbitrage.
Le tribunal de première instance a rejeté la demande de TELUS, refusé le sursis et ordonné que les réclamations des consommateurs et des clients commerciaux soient entendues ensemble dans le cadre de l’action collective. Selon la juge de première instance, le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage lui conférait le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner un sursis dans les cas où il ne serait pas raisonnable de dissocier les questions traitées dans la convention d’arbitrage des autres questions en litige.
La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel de TELUS. La juge van Rensburg, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a souscrit à l’interprétation de la juge de première instance du paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage. Le juge Blair s’est rallié à cette décision, mais a exprimé des réserves quant à savoir si cette disposition peut s’appliquer dans le cas de plusieurs conventions d’arbitrage conclues par différentes parties, et si les clients commerciaux peuvent éviter une clause d’arbitrage simplement en ajoutant des réclamations de consommateurs aux leurs et en regroupant toutes les réclamations dans une seule action collective.
ARRÊT DE LA CSC
Sous la plume du juge Moldaver, les cinq juges majoritaires de la CSC accueillent le pourvoi et concluent qu’en vertu de la Loi sur l’arbitrage, un sursis doit être ordonné à l’égard des réclamations des clients commerciaux, qui sont visées par une clause d’arbitrage valide. Quatre juges sont dissidents.
Pour les juges majoritaires, la question à résoudre a trait à l’interprétation à donner au paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage et non à des considérations sous-jacentes de nature politique concernant l’opportunité de donner effet à une clause d’arbitrage contenue dans un contrat type pour faire échec à une action collective.
Selon les juges majoritaires, le paragraphe 7(1) de la Loi sur l’arbitrage est clair : si une partie à une convention d’arbitrage introduit une action à l’égard d’une question qui, en vertu de la convention, doit obligatoirement être soumise à l’arbitrage, le tribunal devant lequel l’instance est introduite doit, à la demande d’une partie, surseoir à l’instance. Qu’en est-il cependant lorsqu’une action soulève plusieurs questions dont certaines seulement sont visées par une convention d’arbitrage? Le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage répond à la question et édicte que, dans un tel cas, le tribunal peut, à sa discrétion, surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage et permettre que l’instance se poursuive en ce qui touche les autres, s’il est raisonnable de dissocier les premières des secondes. Cependant, dans tous les cas, le tribunal est tenu de surseoir à l’instance en ce qui touche les questions traitées dans la convention d’arbitrage.
Or, en l’espèce, la question ne se pose pas puisque l’action collective ne soulève qu’une seule question — la prétendue surfacturation à laquelle TELUS se serait prêtée à l’endroit de ses clients — et que celle-ci est visée par les conventions d’arbitrage de ses clients commerciaux. Par conséquent, la suspension des réclamations des clients commerciaux de TELUS s’impose. Selon les juges majoritaires, c’est à dessein que le législateur a exempté les consommateurs seulement de l’application ordinaire des conventions d’arbitrage — les clients commerciaux de TELUS doivent donc respecter leur entente, incluant la convention d’arbitrage qu’elle contient. Bien que la majorité des juges de la CSC reconnaisse l’importance de promouvoir l’accès à la justice et d’éviter la multiplication des instances, à moins d’une directive expresse du législateur, ces considérations de nature politique ne doivent pas permettre de déroger aux objectifs visés par la Loi sur l’arbitrage, en vertu de laquelle les parties à une convention d’arbitrage valide doivent s’y conformer.
Dissidentes, les juges Abella et Karakatsanis soulignent l’importance des considérations de nature politique dans un tel cas. Elles interprètent le paragraphe 7(5) de la Loi sur l’arbitrage de façon à maintenir le pouvoir discrétionnaire des tribunaux de refuser d’ordonner un sursis à l’égard de réclamations soumises à une convention d’arbitrage s’il n’est pas raisonnable de les dissocier des réclamations qui ne le sont pas.
RÉPERCUSSIONS
Il découle de l’arrêt Wellman que les clauses d’arbitrage contenues dans des contrats commerciaux doivent être appliquées et ce, même dans les cas où cela aurait pour effet d’exclure certaines personnes d’une action collective. Cet arrêt démontre que les tribunaux n’écarteront pas facilement l’objectif législatif visant l’exécution des clauses d’arbitrage valides, en invoquant des motifs d’ordre politique dans le cadre d’actions collectives. Il confirme que les clauses d’arbitrage contenues dans des contrats types, aussi qualifiés de « contrats d’adhésion » puisqu’ils ne font pas l’objet de négociations entre les parties, seront généralement appliquées en l’absence de disposition contraire de la loi.
Dorénavant, les entreprises dont les contrats commerciaux comportent de telles clauses peuvent s’attendre, avec plus de certitude et de prévisibilité, à ce que le caractère exécutoire de ces clauses soit confirmé par les tribunaux. À cet égard, l’arrêt Wellman réitère l’importance de rédiger judicieusement des contrats types et sur mesure qui incluent des clauses d’arbitrage. Les parties doivent déterminer si elles optent pour un libellé à large portée aux termes duquel toute réclamation découlant du contrat ou s’y rapportant doit être soumise à l’arbitrage, ou pour un libellé rédigé de façon à ce que certaines questions soient exclues de l’application de la clause d’arbitrage.
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