Le 20 juin, le gouvernement fédéral a adopté des modifications à la Loi sur la concurrence (la « Loi ») qui ciblent l’« écoblanchiment » (c.-à-d. le fait de faire des déclarations non vérifiées ou non fondées concernant les avantages environnementaux d’un produit ou d’une entreprise). Ces modifications créent beaucoup d’incertitude pour les entreprises, en plus de les exposer à des risques accrus, notamment sur le plan de la responsabilité; celles-ci pourraient donc avoir comme effet de freiner les initiatives environnementales prises par les entreprises canadiennes. Par conséquent, les entreprises devraient passer en revue sans tarder les déclarations publiques qu’elles ont faites par le passé et se doter de programmes de conformité stricts afin de réduire au minimum le risque de faire l’objet de mesures d’application de la loi ou de devenir la cible de litiges privés fondés sur des allégations d’écoblanchiment.
Les modifications relatives à l’écoblanchiment ont été introduites par le projet de loi C-59, une loi omnibus qui a mis en œuvre diverses modifications proposées par le gouvernement fédéral à la suite de l’Énoncé économique de l’automne publié en novembre 2023. Pour en savoir plus sur les vastes modifications apportées à la Loi par le projet de loi C-59, consultez notre bulletin de juin 2024 intitulé Les modifications apportées à la Loi sur la concurrence du Canada sont en vigueur, et pour avoir un aperçu de l’ensemble des modifications apportées à la Loi récemment, consultez nos Perspectives sur le site Web de Blakes à la page Modifications à la Loi sur la concurrence.
Nouvelles dispositions sur l’écoblanchiment
Les modifications relatives à l’écoblanchiment viennent interdire les déclarations publiques visant à promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’usage d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, comme :
(a) des indications, sous la forme d’une déclaration ou d’une garantie visant les avantages d’un produit pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux, sociaux et écologiques des changements climatiques, qui ne se fondent pas sur une épreuve suffisante et appropriée, dont la preuve incombe à la personne qui donne ces indications (la disposition sur les « avantages d’un produit »); ou
(b) des indications sur les avantages d’une entreprise ou de l’activité d’une entreprise pour la protection ou la restauration de l’environnement ou l’atténuation des causes ou des effets environnementaux et écologiques des changements climatiques si les indications ne se fondent pas sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale, dont la preuve incombe à la personne qui donne ces indications (la disposition sur les « avantages de l’activité d’une entreprise »).
Considérations pratiques
Même si ces dispositions peuvent se chevaucher dans certaines circonstances, les modifications relatives à l’écoblanchiment prévoient des interdictions distinctes pour chacune d’elles, et les entreprises devraient s’assurer de bien comprendre ces distinctions importantes.
La disposition sur les avantages d’un produit engloberait les déclarations précises faites à l’égard des ressources utilisées pour fabriquer un produit ou des émissions évitées au moment de la fabrication ou de l’utilisation d’un produit. Jusqu’à ce que des lignes directrices sur cette disposition soient publiées, il serait prudent de suivre les recommandations du Bureau de la concurrence (le « Bureau ») à l’égard de ce qui peut constituer une épreuve « suffisante et appropriée » susceptible d’appuyer les indications de rendement, lesquelles recommandations tiennent compte de la jurisprudence existante. Selon ces recommandations, une telle épreuve devrait notamment :
- être réalisée avant que les indications de rendement ne soient données;
- être effectuée dans des conditions contrôlées afin d’éliminer les variables externes;
- éliminer la subjectivité autant que possible;
- refléter l’utilisation réelle d’un produit (comme l’utilisation à la maison ou à l’extérieur).
Contrairement à l’exigence selon laquelle une épreuve suffisante et appropriée doit avoir été réalisée conformément à la disposition sur les avantages d’un produit, laquelle exigence fait écho à la disposition existante de la Loi visant les indications de rendement, l’exigence selon laquelle les indications doivent s’appuyer sur des « éléments corroboratifs » conformément à la disposition sur les avantages de l’activité d’une entreprise n’a pas d’équivalent dans la Loi. Dans le passé, il incombait au Bureau de prouver que des indications étaient trompeuses. À la suite des modifications relatives à l’écoblanchiment qui sont entrées en vigueur, il incombe désormais aux entreprises de prouver que les déclarations qu’elles ont faites ne sont pas trompeuses, soit en démontrant que ces dernières sont fondées sur une épreuve suffisante et appropriée (aux termes de la disposition sur les avantages d’un produit), soit en démontrant que celles-ci s’appuient dûment sur des éléments corroboratifs (aux termes de la disposition sur les avantages de l’activité d’une entreprise). Par conséquent, ce sont les entreprises qui devront prouver que les déclarations qu’elles feront au sujet de leurs objectifs ou de leurs réalisations en ce qui a trait, par exemple, à la neutralité carbone, aux émissions et à l’intensité des émissions, ne sont pas trompeuses. La nouvelle exigence, qui n’est pas encore définie par ailleurs, obligeant les entreprises à fonder leurs déclarations sur « des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une méthode reconnue à l’échelle internationale » crée une grande incertitude pour les entreprises, puisqu’aucune précision n’est donnée quant à ce qu’on entend par « élément corroboratif » et « méthode ». En l’absence de lignes directrices fournies par le Bureau (et éventuellement par le Tribunal de la concurrence (le « Tribunal »)) concernant la façon dont cette exigence sera appliquée, les entreprises devraient veiller à ce que leurs déclarations sur les avantages de l’activité d’une entreprise prennent appui sur les pratiques exemplaires approuvées par des organismes internationaux réputés, dans la mesure du possible.
Bien que les déclarations générales qui laissent entendre, par exemple, qu’un produit ou qu’une entreprise « est écologique » ou « respecte l’environnement », ne soient pas visés par les dispositions sur les avantages d’un produit ou de l’activité d’une entreprise, la façon dont le Bureau (et le Tribunal) appliqueront ces dispositions n’est pas claire. Par conséquent, toutes les déclarations relatives à l’environnement devraient être examinées attentivement, en tenant compte à la fois des modifications relatives à l’écoblanchiment et des interdictions générales visant les pratiques commerciales trompeuses prévues dans la Loi et dans d’autres lois (comme les lois provinciales sur la protection du consommateur) qui pourraient s’appliquer.
Risques accrus liés aux mesures d’application de la loi et aux litiges privés
Les pénalités pour avoir fait des déclarations considérées comme de l’écoblanchiment en vertu de la Loi, dans sa version modifiée, peuvent être sévères. Il pourrait s’agir d’une sanction administrative pécuniaire correspondant au plus élevé des montants suivants :
(a) 10 M$ (15 M$ pour chaque violation subséquente);
(b) trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur (ou, si ce montant ne peut pas être calculé raisonnablement, 3 % des recettes globales brutes annuelles de la société.
Il convient de noter qu’à l’heure actuelle seul le Bureau peut engager des poursuites relativement à ces nouvelles dispositions législatives, mais qu’à compter de juin 2025, les parties privées pourront demander une autorisation au Tribunal visant à entamer une procédure; la seule exigence nécessaire au dépôt d’une telle requête étant que la procédure en question devra servir l’« intérêt public ». En plus des sanctions administratives pécuniaires susmentionnées, le paiement d’une restitution à des clients pourrait être ordonné si le comportement d’une entreprise contrevient également aux dispositions générales actuelles de la Loi qui concernent les pratiques commerciales trompeuses. Étant donné le nombre considérable de plaintes d’écoblanchiment qui ont été déposées auprès du Bureau au cours des dernières années, les sociétés faisant des déclarations environnementales devraient s’attendre à ce que les parties privées, y compris les groupes de défense de l’intérêt public se prévalent de ce nouveau droit privé d’accès pour présenter des requêtes fondées sur des allégations d’écoblanchiment.
Conséquence inattendue : l’écosilence
Le fait que les entreprises canadiennes doivent composer avec la large portée et les exigences ambiguës de la législation sur l’écoblanchiment, tout en répondant aux pressions qu’exercent sur elles les parties prenantes et les organismes de réglementation afin qu’elles fassent des déclarations environnementales, les expose à des risques accrus en matière de conformité. Les entreprises qui exercent leurs activités dans des secteurs traditionnellement ciblés par des groupes environnementaux font face à des risques encore plus élevés de mesures d’application de la loi, sans parler des litiges qui pourront être engagés par des parties privées à compter de juin 2025. Ces risques accrus pourraient nuire non seulement à la capacité des entreprises de divulguer des renseignements au sujet de leurs initiatives et de leurs engagements en matière d’environnement, mais aussi à la mise en œuvre de ces initiatives et de ces engagements.
Principaux points à retenir
En résumé, les nouvelles modifications relatives à l’écoblanchiment toucheront les entreprises au moins des façons suivantes :
- elles devront s’assurer que les indications données à l’égard des avantages environnementaux d’un produit soient étayées par une épreuve suffisante et appropriée;
- elles devront s’assurer que les indications données à l’égard des avantages environnementaux d’une entreprise ou d’une activité d’entreprise soient fondées sur des éléments corroboratifs suffisants et appropriés obtenus au moyen d’une « méthode reconnue à l’échelle internationale », terme non défini pour lequel le Bureau n’a pas encore fourni de précision;
- elles s’exposent à des pénalités importantes si elles contreviennent aux nouvelles dispositions en matière d’écoblanchiment et, à compter de juin 2025, à des procédures éventuellement engagées par des parties privées avec l’autorisation du Tribunal.
Nous joindre
Nous discuterons des nouvelles dispositions en matière d’écoblanchiment et d’autres modifications importantes apportées à la Loi lors de notre webinaire qui mettra en vedette le Conseil canadien des affaires prévu le 25 juin 2024 et intitulé : Le nouveau monde du droit de la concurrence : Bien comprendre les plus récentes modifications apportées à la Loi sur la concurrence du Canada.
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