Dans l’affaire Air Transat, la Cour d’appel du Québec (la « CA »), infirmant le jugement de première instance, a autorisé une action collective intentée contre des compagnies aériennes à la suite de l’annulation de vols et de forfaits voyages en raison de la pandémie de COVID-19. La CA a permis l’action collective malgré l’engagement annoncé par les intimées de mettre sur pied des programmes de remboursement volontaire de leurs clients. Cette décision soulève la question de l’effet de la mise en place d’un tel programme sur une demande d’autorisation d’action collective.
Historique procédural
À la suite de l’annulation de tous les vols en provenance du Canada en raison de la pandémie de COVID-19, les appelants Lachaine et Bonnier se sont fait offrir un crédit de voyage soumis à certaines conditions plutôt qu’un remboursement de leurs billets ou de leurs forfaits voyages. Ils déposent une demande d’action collective au nom de toutes les personnes physiques ayant acheté ou détenant un billet d’avion ou un forfait voyage avec les intimées et qui a été annulé en raison de la pandémie de COVID-19 sans obtenir de remboursement. Ils demandent le remboursement intégral du prix déboursé et une somme de 250 $ pour troubles et inconvénients.
Le premier juge refuse d’autoriser l’action collective en raison (i) de la grande disparité des cadres contractuels applicables aux membres du groupe proposé, faisant en sorte qu’on ne peut pas identifier une question commune et (ii) de la mise en place de programmes de remboursement volontaire par les intimées, éteignant ainsi la cause d’action principale des membres ainsi que leurs causes d’actions accessoires pour intérêts ou dommages. Se fondant sur les jugements rendus dans les affaires Apple, Perreault et Paquette, le premier juge conclut que l’annonce de la mise en place d’un tel programme par les intimées a éteint la cause d’action des appelants et des membres à l’égard du remboursement de leur billet d’avion ou forfait voyage, et qu’ils n’ont plus de cause défendable à faire valoir à leur encontre.
La CA n’est pas d’accord et infirme le jugement de première instance.
Questions communes
La CA rappelle que le critère d’autorisation fondé sur l’existence d’une question commune aux réclamations des membres (article 575(1) du Code de procédure civile) doit être interprété de manière libérale. Le juge n’a qu’à identifier une question permettant de faire progresser de manière non négligeable le règlement des réclamations individuelles des membres. Selon la CA, le juge a erré en fondant son analyse sur la recherche de réponses communes aux questions soulevées par les différents contrats plutôt que sur l’identification d’au moins une question commune. La diversité des réponses à la question commune identifiée ne peut faire échec à l’autorisation de l’action collective.
Mise en place d’un programme de remboursement volontaire
L’appel soulevait la question de savoir si la cause d’action principale des membres relative au remboursement des billets et forfaits voyages était éteinte en raison de l’engagement annoncé par les intimées de mettre sur pied des programmes de remboursement volontaire de leurs clients. Selon la CA, ce dossier se distingue des décisions rendues dans les affaires Apple, Perreault et Paquette citées par le premier juge en ce que, dans celles-ci, les juges semblaient avoir eu le bénéfice d’examiner l’ampleur et les modalités des programmes de remboursement volontaire dans leur intégralité et avaient l’assurance que les réclamations des membres avaient été satisfaites. Or, en l’espèce, les intimées n’ont déposé en preuve aucune politique écrite de remboursement, de sorte que le juge ne disposait d’aucun détail sur les programmes lui permettant de conclure que tous les membres avaient été ou allaient être remboursés et désintéressés du recours.
La CA ajoute que le juge a aussi commis une erreur de droit en affirmant que l’annonce de la mise en place de ces programmes a éteint les causes d’action accessoires des membres. L’extinction du droit au remboursement du prix du billet d’avion ou du forfait voyage, le cas échéant, n’a pas eu pour effet d’éteindre la réclamation relative aux intérêts, qui constitue un chef de réclamation indépendant. Contrairement, encore une fois, aux décisions rendues dans les affaires Apple, Perreault et Paquette citées par le premier juge, le remboursement des clients par les intimées ne s’est pas fait « immédiatement ou promptement », voire avant le dépôt de l’action collective. Dans ces affaires, il avait été décidé que laisser perdurer les recours irait à l’encontre des objectifs propres à l’action collective, qui ne doit pas servir à des causes qui ne mènent nulle part alors que les intimées avaient assumé leurs responsabilités de manière diligente. En l’espèce, il s’est écoulé plusieurs mois, dans un cas plus d’un an, entre le dépôt de l’action collective et l’annonce de la mise en place des programmes. Dès lors, selon la CA, l’extinction de la cause d’action principale ne semble pas avoir éteint le droit des membres aux intérêts résultant du retard des intimées à rembourser les montants dus, ainsi qu’à des dommages.
Dans le même ordre d’idée, la CA a estimé que l’appelant Lachaine n’était pas un représentant adéquat puisque l’émetteur de la carte de crédit avec laquelle il avait acheté son forfait voyage l’avait entièrement et diligemment remboursé. L’appelant Bonnier est donc le seul nommé comme représentant.
Groupe de portée mondiale ou nationale
Notons que la CA a rejeté le groupe de portée mondiale ou nationale proposé par les appelants puisque ceux-ci se bornaient à invoquer « des règles issues de la common law » ou « différentes lois sur la protection du consommateur » pour les justifier. De telles allégations générales et imprécises sont insuffisantes pour établir un syllogisme juridique soutenable à l’appui d’une demande d’action collective de portée mondiale ou nationale. Le groupe est donc restreint aux seuls consommateurs québécois.
Conclusion
Cette décision du plus haut tribunal du Québec contient des enseignements importants pour des entreprises qui, étant visées par une demande d’action collective, songent à mettre en place un programme de remboursement volontaire de leurs clients dans les cas qui s’y prêtent. La CA a confirmé, en effet, que l’engagement d’une entreprise de mettre en place un tel programme peut être suffisant pour faire échec à une demande d’action collective dans la mesure où (i) une preuve des modalités du programme est déposée au stade de l’autorisation (ce qui implique, incidemment, que le Tribunal devrait autoriser une telle preuve au stade de l’autorisation), (ii) cette preuve permet au Tribunal de conclure que tous les membres ont été ou seront effectivement remboursés et désintéressés du recours, et (iii) l’entreprise met ce programme en place « immédiatement » ou « promptement », voire avant le dépôt de l’action collective. Dans le cas contraire, l’action collective pourrait être autorisée, même si les membres sont remboursés, pour leur permettre de réclamer des intérêts et des dommages pour troubles et inconvénients.
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