Sauter la navigation

La PI post-ALENA : le droit canadien de la PI et l’entrée en vigueur de l’ACEUM

Par Melanie Baird et Andrew Skodyn
26 juin 2020

INTRODUCTION

Le 1er juillet 2020, l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (l’« ACEUM ») et la Loi de mise en œuvre de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (la « Loi de mise en œuvre ») entrent en vigueur et remplacent l’Accord de libre-échange nord-américain (l’« ALENA »). Le chapitre de l’ACEUM portant sur la propriété intellectuelle (la « PI ») établit les normes juridiques minimales pour la protection et l’exercice des droits de PI, lesquelles normes sont fondées sur des conventions internationales et des traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (l’« OMPI ») en vigueur.

Bon nombre des obligations relatives à la PI figurant dans l’ACEUM ont déjà été intégrées dans le droit canadien à la suite de récentes modifications apportées à la Loi sur les brevets, la Loi sur les dessins industriels et la Loi sur les marques de commerce. Toutefois, il est prévu que plusieurs changements importants entreront en vigueur en même temps que la Loi de mise en œuvre ou vont nécessiter d’autres modifications législatives. Le présent bulletin résume les changements clés et ce qu’ils vont représenter pour les entreprises canadiennes.

MARQUES DE COMMERCE

Une des quelques dispositions sur les marques de commerce de l’ACEUM qui n’ont pas encore été intégrées au droit canadien concerne l’obligation prévue à l’article 20.18 d’étendre la protection des marques de commerce aux « marques collectives » (c’est-à-dire les marques appartenant à un groupe ou à une organisation et utilisées exclusivement par leurs membres). À l’heure actuelle, la Loi sur les marques de commerce ne permet pas l’enregistrement de marques collectives, et la Loi de mise en œuvre est muette à ce sujet. D’autres modifications législatives seront donc nécessaires pour que cette obligation soit respectée.

Le Canada pourrait également être tenu d’établir des dommages-intérêts prévus par la loi pour les actes de contrefaçon de marques de commerce. L’article 20.82 de l’ACEUM impose un régime de recours judiciaires civils pour les actes de contrefaçon de marques de commerce qui comprend des « dommages-intérêts préétablis » dont le montant est suffisant pour constituer un moyen de dissuasion contre des contrefaçons ultérieures et pour indemniser le détenteur du droit. À l’heure actuelle, le droit canadien ne contient pas de disposition sur les dommages-intérêts applicables à la contrefaçon de marques de commerce, et il n’en est pas question non plus dans la Loi de mise en œuvre. Cependant, il est possible que cette obligation puisse être remplie par le recours à des « dommages-intérêts complémentaires », comme les dommages-intérêts exemplaires ou punitifs, prévus dans la common law du Canada. Il reste à voir si le Parlement a l’intention de se conformer à l’article 20.82 en déterminant des dommages-intérêts préétablis ou en privilégiant l’approche actuelle qui repose sur la common law. Pour en savoir plus sur le sujet, consultez notre Bulletin Blakes de décembre 2018 intitulé Demystified: USMCA’s Intellectual Property Provisions on Damages for Trademark Counterfeiting (en anglais seulement).

BREVETS

Le changement le plus important touchant le droit des brevets au Canada est l’obligation prévue à l’article 20.44 de l’ACEUM de mettre en place un ajustement de la durée des brevets en vue de compenser les demandeurs de brevet en cas de retards déraisonnables dans la délivrance de leur brevet. Aux termes de cette disposition, la durée des brevets dont la demande a été déposée le 1er décembre 2020 ou après cette date peut être prolongée lorsque la délivrance du brevet a lieu plus de cinq ans après la date de la demande, ou plus de trois ans à compter de la présentation d’une requête d’examen de la demande, la date la plus tardive étant retenue. L’ACEUM exclut expressément certains retards de l’application de cette disposition, notamment les retards qui ne sont pas directement attribuables à l’autorité de délivrance.

À l’heure actuelle, le droit canadien des brevets ne prévoit pas d’ajustement de la durée en cas de retards dans la délivrance, et la Loi de mise en œuvre ne renferme aucune disposition à cet égard. En vertu de l’article 20.90 de l’ACEUM, à compter du 1er juillet 2020, le Canada disposera de quatre ans et demi pour y remédier.

Aucune modification n’aura à être apportée à la législation canadienne sur la protection des données pharmaceutiques. Alors que la version initiale de l’ACEUM exigeait d’étendre la période de protection du marché relativement aux nouveaux médicaments biologiques de 8 ans (soit la période de garantie actuelle en vertu du droit canadien) à 10 ans, cette exigence a été abandonnée dans le Protocole de modification de l’Accord signé le 10 décembre 2019. Plusieurs autres modifications proposées à l’égard de la protection des brevets et de la protection réglementaire ont également été supprimées, de sorte que la mise en œuvre de l’ACEUM dans ces domaines n’exige aucun changement d’ordre législatif.

DROIT D'AUTEUR

En vertu de l’article 20.63 de l’ACEUM, le Canada est tenu de prolonger considérablement la durée de sa protection du droit d’auteur. En ce qui concerne la durée normale de la protection du droit d’auteur, qui est calculée en fonction de la vie de l’auteur, cette durée doit être augmentée de 20 ans de manière à correspondre au moins à la vie de l’auteur plus 70 ans. Cette prolongation de la durée n’est pas prévue dans la Loi de mise en œuvre. Aux termes de l’article 20.90, le Canada dispose de 2 ans et demi pour corriger le tir.

Pour ce qui est des durées calculées autrement, la durée de la protection du droit d’auteur doit être d’au moins 75 ans à compter de la fin de l’année civile de la première publication; à défaut d’une publication dans les 25 ans à compter de la création de l’œuvre, cette durée doit être d’au moins 70 ans à compter de la fin de l’année civile de la création. La Loi de mise en œuvre modifie la Loi sur le droit d'auteur afin d’harmoniser la durée de la protection visant les œuvres anonymes, les œuvres cinématographiques, les prestations et les enregistrements sonores avec cette obligation. Ces modifications entreront en vigueur le 1er juillet 2020, mais ne s’appliqueront pas aux œuvres dont la durée de protection est déjà expirée à cette date.

L’ACEUM exige également une protection accrue de l’information sur le régime de droits (l’« IRD »), comme les filigranes numériques. En vertu de l’article 20.68, les parties doivent prévoir des sanctions civiles et pénales pour quiconque supprime ou modifie sciemment toute IRD pour en tirer un avantage commercial ou un gain financier. Le droit canadien prévoit des sanctions civiles en cas d’usage abusif d’une IRD, mais ne prévoit aucune sanction pénale. La Loi de mise en œuvre comble cette lacune en modifiant la Loi sur le droit d’auteur afin d’y ajouter une infraction visant les violations relatives à l’IRD, dont la peine prévue comprend une amende maximale de 1 M$ CA et un emprisonnement maximal de 5 ans sur déclaration de culpabilité par mise en accusation. Conformément à l’article 20.68, seuls les agissements à des fins commerciales sont assimilés à des infractions, et des exceptions sont prévues pour les personnes qui agissent pour le compte d’une bibliothèque, d’un musée, d’un service d’archives ou d’un établissement d’enseignement. Ces modifications à la Loi sur le droit d’auteur entreront en vigueur le 1er juillet 2020.

Bien que l’ACEUM a également établi un régime d’avis et de retrait à l’égard des violations de droit d’auteur en ligne, le Canada est exempté de l’application de ces dispositions aux termes de l’annexe de la section J en raison de son régime actuel d’avis et avis.

SECRETS COMMERCIAUX

La section I de l’ACEUM établit un cadre pour les protections de droit civil et de droit pénal visant les secrets commerciaux, ainsi que pour la mise en application de ces protections. Si, à l’heure actuelle, le Canada protège les secrets commerciaux par la possibilité de recours en common law et criminalise le vol de secrets commerciaux par, ou avec, des entités étrangères, il ne prévoit pas de procédures et sanctions pénales pour « l’appropriation illicite délibérée et non autorisée » de secrets commerciaux comme l’exige l’article 20.72.

Aux fins de conformité à cette section, la Loi de mise en vigueur modifie le Code criminel en établissant une infraction pour quiconque, par un moyen dolosif, obtient, communique ou rend accessible un secret commercial, infraction qui est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans. Dans la version modifiée, un secret commercial (ou industriel) s’entend de renseignements qui : (a) ne sont pas généralement connus dans une industrie ou un commerce qui utilise ou peut utiliser ces renseignements; (b) ont une valeur économique du fait qu’ils ne sont pas généralement connus; et (c) font l’objet de mesures raisonnables dans les circonstances pour en protéger le caractère confidentiel. L’infraction s’applique uniquement aux infractions sciemment commises et non aux secrets commerciaux obtenus à la suite d’une mise au point indépendante ou uniquement en raison de la rétrotechnique. Ces modifications au Code Criminel entreront en vigueur le 1er juillet 2020.

APPLICATION DE LA LOI

La section de l’ACEUM sur l’application de la loi établi des mesures accrues aux frontières pour ce qui est de l’application de la loi aux droits de PI, lesquelles mesures diffèrent considérablement de ce qui est prévu dans l’ALENA et dans le droit canadien actuel. En vertu de l’article 20.84, les agents des douanes doivent avoir le pouvoir de prendre d’office des mesures à la frontière à l’égard de produits de marque contrefaits ou des produits pirates portant atteinte au droit d’auteur qui sont en transit. À l’heure actuelle, les agents des douanes ne sont pas autorisés à saisir des biens en transit ou à prendre des mesures à la frontière sans avoir d’abord reçu une plainte du détenteur des droits.

Les agents des douanes doivent également être autorisés à détruire les produits qu’ils soupçonnent d’être contrefaits ou piratés, ou à les écarter des circuits commerciaux si des « autorités compétentes » (pouvant comprendre les agents des douanes et d’autres autorités administratives et chargées de l’application de la loi) déterminent que ces produits portent atteinte à un droit de PI. De tels pouvoirs, qui ne sont pas prévus dans le droit canadien actuel, pourraient permettre aux agents des douanes de déterminer la contrefaçon de marques de commerce et la violation de droits d’auteur. À l’heure actuelle, seuls l’Office de la propriété intellectuelle du Canada et les tribunaux peuvent le faire.

La Loi de mise en vigueur comprend des modifications à la Loi sur les marques de commerce et à la Loi sur le droit d’auteur qui étendent l’interdiction d’importer et d’exporter des marchandises violant des droits de PI à celles qui sont en transit ou transbordées sous la surveillance de la douane (voir l’article 31 et le paragraphe 109(3) de la Loi de mise en œuvre). Toutefois, la Loi de mise en œuvre ne contient pas de modifications qui étendent les pouvoirs des agents des douanes, comme l’exige l’article 20.84. La conformité à cet article exigera donc d’autres changements d’ordre législatif.

Un autre changement important apporté à l’exercice des droits de PI aux termes de l’ACEUM est l’élimination du mécanisme d’arbitrage entre des investisseurs et un État actuellement prévu au chapitre 11 de l’ALENA pour les investisseurs du Canada et au Canada. Pour en savoir davantage à ce sujet, consultez notre Bulletin Blakes d’octobre 2018 intitulé L’AEUMC élimine l’arbitrage entre des investisseurs et un État pour le Canada : répercussions pour les investisseurs.

CONCLUSION

Le 1er juillet 2020 approche rapidement et les entreprises feraient bien d’examiner minutieusement les dispositions relatives à la PI qui entrent en vigueur en vertu de l’ACEUM et de la Loi de mise en œuvre pour s’assurer que leurs pratiques sont conformes aux nouveaux droits et aux nouvelles obligations qui découlent de ces modifications. L’augmentation de la durée de la protection offerte par le droit d’auteur pour certaines œuvres, comme les prestations et les enregistrements sonores, les nouvelles infractions pénales visant l’IRD et les secrets commerciaux, et l’interdiction frappant les marchandises portant atteinte à un droit de PI en transit vers un autre pays sont particulièrement importantes.

Les organisations doivent également se préparer aux changements requis par l’ACEUM qui vont sans doute être apportés plus tard, comme la protection des marques de commerce offerte aux marques collectives, la mise en place d’un ajustement de la durée des brevets en cas de retards déraisonnables du Bureau des brevets du Canada, l’ajout de 20 ans à la durée normale de la protection du droit d’auteur et les pouvoirs accrus des agents des douanes leur permettant de déterminer qu’une marchandise porte atteinte à un droit de PI et, le cas échéant, de détruire ou écarter de telles marchandises.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Sunny Handa              514-982-4008
Melanie Baird             416-863-5262            
       
ou un autre membre de notre groupe Propriété intellectuelle.

Consultez notre portail Comprendre l’ACEUM : Principaux changements pour les entreprises pour en savoir davantage au sujet des répercussions de l’ACEUM sur votre entreprise
 

Plus de ressources