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Litige délictuel de masse c. action collective : l’histoire de deux stratégies

25 janvier 2024
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Pour ces types d’actions, il est absolument essentiel de disposer d’une équipe qui est en mesure d’intervenir à l’échelle nationale, et de pouvoir s’assurer que les instances sont gérées de la même façon dans chacune des provinces.

Robin Linley

Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous.

Les litiges délictuels de masse sont en hausse en Ontario, en raison des contestations de demandes d’autorisation d’actions collectives, des désaccords relatifs à la conduite d’instances qui se chevauchent et de l’influence des avocats des demandeurs. Ce n’est toutefois pas le cas dans toutes les provinces. Dans cet épisode de notre balado, les avocats de Blakes Robin Linley, Ariane Bisaillon et Robin Reinertson expliquent les différences entre un litige délictuel de masse et une action collective ainsi que les raisons pour lesquelles on préférera l’un par rapport à l’autre.

Retranscription

Jordan : Bonjour, je m’appelle Jordan Virtue.

Nathan : Et je m’appelle Nathan Kanter; bienvenue à cet épisode du balado Volume d’affaires de Blakes.

Jordan : Nathan, nous entendons de plus en plus parler de litiges délictuels de masse et du fait qu’ils sont en hausse en Ontario, mais pas autant dans les autres provinces. Sais-tu pourquoi certains cabinets d’avocats qui représentent des demandeurs préfèrent ce type de litige aux actions collectives traditionnelles?

Nathan : Hum, je crois que cela pourrait avoir quelque chose à voir avec le fait que les actions collectives sont considérées comme étant plus difficiles à certifier en Ontario, mais ce n’est sans doute pas la seule raison.

Jordan : Ça me semble juste. Mais tournons-nous vers nos experts pour en savoir davantage. Nous avons avec nous aujourd’hui Robin Linley, Ariane Bisaillon et Robin Reinertson, tous trois des avocats membres du groupe Litige et règlement des différends de Blakes. Nos invités nous en diront plus sur les litiges délictuels de masse et leur popularité accrue en Ontario. Ils nous expliqueront également pourquoi les actions collectives demeurent l’option de prédilection dans d’autres provinces.

[musique]

Jordan : Robin Linley, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un litige délictuel de masse et nous dire quels sont les facteurs influençant la tendance vers ce type de litige?

Robin L. : Jordan, en bref, un litige délictuel de masse consiste en une série d’actions individuelles intentées par les conseillers juridiques des demandeurs. Donc, au lieu d’intenter une seule action, ils en intentent cinq, ou même cent, chacune d’elles concernant les mêmes produits ou des produits similaires, souvent contre un même fabricant dans le contexte d’une réclamation en matière de responsabilité du fabricant.

Les conseillers juridiques des demandeurs, du moins en Ontario, semblent inciter leurs clients à prendre en compte les changements apportés au régime des actions collectives dans cette province, et plus particulièrement les modifications législatives récentes. Ces changements sont perçus comme faisant en sorte qu’il est désormais plus difficile de faire certifier des actions collectives en Ontario. Bon nombre d’entre eux, « eux » étant les conseillers juridiques de demandeurs qui travaillaient habituellement dans le domaine des actions collectives, choisissent plutôt de faire valoir les réclamations de leurs clients de cette façon.

Parmi les autres facteurs, il y a aussi la possibilité que des actions collectives portant sur une même question se chevauchent. Cela exige souvent beaucoup de temps et d’argent, et les actions peuvent être retardées considérablement. Un autre facteur serait que bon nombre de conseillers juridiques de demandeurs supposent que s’ils intentent des actions individuelles, ils s’assurent en quelque sorte de pouvoir participer au règlement. Ils supposent en fait que dans le cas d’une série d’actions intentées, la société visée souhaitera au bout du compte régler les actions; et les conseillers juridiques de demandeurs veulent s’assurer ainsi d’avoir un siège à cette table pour participer à la discussion sur le règlement.

Habituellement, les actions collectives n’accordent pas beaucoup d’importance aux membres individuels du groupe lorsqu’il s’agit d’évaluer la valeur des réclamations. Le règlement est déterminé plutôt à l’échelle du groupe, alors que pour des actions individuelles, les réclamations de chaque demandeur sont examinées une à une.

Nathan : Arianne, est-ce que le Québec connaît une tendance similaire?

Arianne : En bref, non. Les réclamations en matière de responsabilité du fabricant et d’autres types de réclamations qui seraient autrement entendues sous forme de litiges délictuels de masse ou de litiges multiterritoriaux dans d’autres territoires continuent d’être entendues sous forme d’actions collectives au Québec, du moins aux fins du processus d’autorisation, qui est l’équivalent québécois du processus de certification.

Nous pourrions peut-être voir une hausse du nombre de litiges délictuels de masse au Québec pour ce qui est des réclamations relatives aux agressions sexuelles, car il y a eu des cas au Québec où les tribunaux ont refusé d’autoriser des actions collectives en matière d’agression sexuelle en raison de l’absence de questions communes. Il s’agit donc peut-être de réclamations qui pourraient être faites sous forme de litiges délictuels de masse.

Nathan : Selon vous, qu’est-ce qui explique ce manque d’intérêt envers les litiges délictuels de masse au Québec?

Arianne : Je dirais qu’il y a trois facteurs qui expliquent ce manque d’intérêt.

Le premier facteur est à l’opposé de ce que Robin a décrit tantôt à l’égard de ce qui se produit en Ontario. Les tribunaux au Québec ont adopté une approche très ouverte pour ce qui est de l’examen des questions communes à l’étape de l’autorisation; une seule question commune suffit pour autoriser une action collective, tant que cette question n’est pas négligeable. Il n’est même pas nécessaire d’obtenir une réponse commune, ce qui veut dire que le critère de la communauté des questions pourrait ne pas être satisfait dans d’autres territoires mais, au Québec, l’action collective pourrait tout de même être autorisée.

Le deuxième facteur est aussi à l’opposé de ce que Robin a décrit tantôt. Au Québec, le phénomène d’actions collectives qui se chevauchent n’existe pas. Nous avons une « règle du premier déposant », laquelle permet aux conseillers juridiques qui sont les premiers à déposer une demande d’autorisation de procéder avec l’action collective à moins de circonstances exceptionnelles.

Le dernier facteur, c’est que nos règles procédurales ne se prêtent pas bien à la gestion de litiges délictuels de masse, tandis que les règles régissant les actions collectives et l’existence d’un groupe de dix juges qui se consacrent à la gestion des actions collectives font en sorte qu’il s’agit d’une procédure nettement plus attrayante pour les conseillers juridiques des demandeurs.

Jordan : Robin Reinertson, que constate-t-on en Colombie-Britannique?

Robin R. : C’est compliqué, mais, à mon avis, il y a un certain nombre de facteurs. D’abord, comme c’est le cas au Québec, le seuil de la certification est moins élevé en Colombie-Britannique. De plus, les types d’actions intentées ne se prêtent pas bien à une stratégie de litiges délictuels de masse. Souvent, les conseillers juridiques des demandeurs intentent des actions fondées sur un risque de préjudice plutôt qu’un préjudice important, et donc, le fait d’intenter de telles actions de façon individuelle n’est pas avantageux sur le plan des coûts.

Un autre facteur serait la nécessité de réunir des demandeurs ou des membres potentiels du groupe. Nous avons constaté que, dans certains cas, il a été difficile pour les conseillers juridiques des demandeurs de trouver à l’avance des demandeurs ou des membres du groupe.

En revanche, il est relativement facile de passer à l’étape de la demande de certification. Il s’agit essentiellement d’une analyse procédurale, et non d’une étape préliminaire fondée sur un examen du bien-fondé de la cause. Pour un cabinet d’avocats, les ressources et les coûts qui devraient être engagés pour traiter 10, 20 ou 30 affaires individuelles pourraient être beaucoup plus élevés.

Enfin, je ne pense pas que nous puissions ignorer le rôle du régime « sans frais » en Colombie-Britannique. La province demeure l’un des rares ressorts canadiens dotés d’un tel régime pour les actions collectives. Donc, en Colombie-Britannique, le dépôt d’une demande d’action collective est considéré par certains conseillers juridiques de demandeurs comme ne présentant qu’un risque faible, ou ne présentant aucun risque, à l’opposé de l’Ontario.

Jordan : Selon vous, pourquoi les actions collectives sont-elles plus courantes que les litiges délictuels de masse en Colombie-Britannique?

Robin R. : La plupart des réclamations en responsabilité du fabricant continuent d’être sous forme d’actions collectives en Colombie-Britannique. Il s’agit du modèle prédominant dans la province. Par ailleurs, un nombre considérable d’actions collectives en responsabilité du fabricant ont été intentées en Colombie-Britannique au cours des dernières années. Fait intéressant à souligner, lorsque nous voyons un grand nombre d’actions individuelles intentées à l’égard d’un même produit en Colombie-Britannique, il s’agit souvent des conseillers juridiques des demandeurs en Ontario qui les intentent dans le cadre d’une stratégie nationale de litige délictuel de masse.

Nathan : Robin Linley, le fait de gérer de multiples réclamations individuelles dans plusieurs provinces doit présenter son lot de défis. Pouvez-vous nous éclairer sur la façon dont cela se fait?

Robin L. : Nathan, il peut certainement y avoir des défis. Diverses options en matière de gestion s’offrent aux conseillers juridiques confrontés à un litige délictuel de masse. Cependant, chacune de ces options requiert une bonne dose de collaboration avec les conseillers juridiques des demandeurs pour trouver des moyens qui agiront dans l’intérêt des deux parties sans toutefois nuire, évidemment, à la défense de l’affaire.

Nous constatons, dans une moindre mesure, le recours à la gestion de l’instance. Bien que ce ne soit pas possible à l’échelle nationale, ce l’est à l’échelle provinciale. Je crois que les besoins en matière de gestion de l’instance doivent faire l’objet d’un examen méticuleux pour déterminer si un tel recours est approprié dans les circonstances. À mon avis, ce le serait si la relation avec les conseillers juridiques des demandeurs s’est à tel point détériorée qu’il y a lieu de demander l’assistance du tribunal.

Souvent, je fais également appel à des conseillers juridiques locaux, étant donné que bon nombre de ces instances sont régies par des règles locales dans d’autres provinces. La capacité de gérer ces instances nécessite un certain degré de familiarité et de confort avec les règles dans ces autres ressorts.

Jordan : Je vais poser la dernière question à vous trois. Quels sont les facteurs stratégiques dont vous tenez compte lorsque vous gérez un différend national comportant à la fois des actions individuelles en responsabilité délictuelle et des actions collectives? Robin Linley, commençons avec vous.

Robin L. : J’ai bien hâte de connaître les réponses d’Arianne et de Robin à cette question, mais je constate une augmentation du nombre d’actions individuelles en Ontario qui sont intentées sous forme de litige délictuel de masse. Ce n’est pas inusité de voir de plus en plus d’actions collectives de portée nationale intentées en même temps en Colombie-Britannique et au Québec. Pour ces types d’actions, il est absolument essentiel de disposer d’une équipe qui est en mesure d’intervenir à l’échelle nationale, et de pouvoir s’assurer que les instances sont gérées de la même façon dans chacune des provinces.

Il y aura inévitablement des questions complexes qui se poseront sur divers fronts, notamment la chronologie de l’action collective par rapport à celle des actions individuelles, la façon dont les conseillers juridiques de la défense utiliseront leurs ressources, ainsi que les stratégies et les compétences qui seront mises à contribution dans chaque province, selon l’état de l’action et l’endroit où elle se déroule, à un moment donné. Honnêtement, c’est très difficile d’établir une stratégie similaire dans les deux cas. Dans les situations où il y a des actions collectives et des litiges délictuels de masse concurrents, nous devons, en tant que cabinet d’avocats national, demeurer attentifs à toute question pouvant être soulevée dans chacun des ressorts concernés.

Jordan : Arianne, qu’en pensez-vous?

Arianne : Je suis d’accord avec Robin. La chronologie des instances est l’une des questions que nous gardons toujours à l’esprit dans le cadre de réclamations parallèles. Quiconque a participé à ce genre de dossier sait qu’au Québec, le processus tend à se déployer assez rapidement et qu’il y a peu de moyens pour contrôler la chronologie des instances. Mais, il existe certains moyens procéduraux qui permettent non seulement d’éviter d’avoir à défendre un client sur plusieurs fronts, mais aussi de passer devant les tribunaux avec la preuve d’expert la plus complète pour traiter de questions scientifiques complexes. La suspension des procédures constitue l’un de ces moyens.

Toutefois, la coordination entre les conseillers juridiques et une équipe de défense très unie sont essentiels pour assurer la meilleure stratégie de défense qui soit et pour veiller à ce que nous fassions un usage optimal de nos ressources.

Jordan : Et vous, Robin Reinertson?

Robin R. : Je ne veux pas redire les propos d’Arianne et de Robin, mais on ne saurait trop répéter qu’il est très important de réfléchir aux répercussions de chaque action dans votre ressort et à l’échelle nationale ou internationale.

Dans les situations où il y a un litige délictuel de masse et une action collective, il y aura certainement des éléments interprovinciaux. Il ne faut pas oublier que non seulement les décisions procédurales, mais aussi les décisions de fond peuvent être utilisées dans différentes provinces, et que les règles de la préclusion peuvent s’appliquer de façon asymétrique au détriment des défendeurs, mais non au détriment des demandeurs.

Il est donc très important que vos conseillers juridiques maîtrisent bien ces questions et qu’ils réfléchissent à toutes les permutations possibles, y compris, possiblement, aux moyens d’utiliser les actions individuelles à votre avantage dans le cadre d’une demande de certification. 

[musique]

Jordan : Robin Linley, Ariane Bisaillon et Robin Reinertson, merci à vous trois de vous être joints à nous aujourd’hui. Nous espérons que cet épisode aura été aussi enrichissant pour nos auditeurs qu’il l’a été pour nous.

Nathan : Pour en savoir plus sur ce sujet et sur notre balado, visitez blakes.com.

Jordan : D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous!

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

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