Sauter la navigation

L’obligation de tenir un vote sur la rémunération pourrait devenir une réalité au Canada

8 octobre 2019

Tout porte à croire que certaines sociétés ouvertes canadiennes auront bientôt l’obligation légale de tenir un vote consultatif pour faire approuver par les actionnaires leur approche à l’égard de la rémunération des hauts dirigeants.

Par conséquent, les sociétés ouvertes canadiennes qui n’ont pas encore adopté volontairement le vote consultatif sur la rémunération – en particulier celles constituées sous le régime fédéral – pourraient envisager de le faire pour la période de sollicitation de procurations à venir. Pour en savoir davantage sur certaines des considérations liées à la tenue d’un vote consultatif des actionnaires sur la rémunération, dont les raisons d’adopter une telle pratique et certaines préoccupations à cet effet, consultez notre Bulletin Blakes de septembre 2011 intitulé Say-On-Pay – What’s Next? (en anglais).

ÉVOLUTION DU VOTE CONSULTATIF SUR LA RÉMUNÉRATION AU CANADA

Le vote consultatif des actionnaires sur les pratiques de rémunération des sociétés ouvertes au Canada a commencé en 2010, lorsque les grandes banques canadiennes ont organisé un vote consultatif sur la rémunération auprès de leurs actionnaires. En 2011, 71 émetteurs assujettis au Canada avaient adopté le vote consultatif sur la rémunération, soit environ 7 % des émetteurs inscrits au Canada (à l’exclusion des émetteurs de produits structurés et des émetteurs non inscrits).

Ce nombre a augmenté graduellement chaque année, de sorte qu’aujourd’hui, 220 sociétés au Canada tiennent annuellement un vote consultatif sur la rémunération, dont plus de 71 % des sociétés de l’indice composé TSX et 52 sociétés de l’indice TSX 60. Jusqu’à présent, cette pratique a été adoptée de façon entièrement volontaire, et souvent à la suite de pressions exercées par des groupes d’investisseurs institutionnels, comme la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance (la « CCBG »), ou propositions d’actionnaires portant sur un vote non contraignant.

Changements dans la réglementation des valeurs mobilières

En janvier 2011, la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (la « CVMO ») a publié l’Avis 54-701 du personnel de la CVMO relatif à l’évolution de la réglementation concernant les questions relatives aux droits des actionnaires (l’« avis 54-701 »). Elle a indiqué dans cet avis que le vote consultatif sur la rémunération était l’une des questions relatives aux « droits des actionnaires » qui demandaient un examen supplémentaire et potentiellement l’élaboration de propositions réglementaires. Elle a donc sollicité des commentaires afin de déterminer si le personnel devait élaborer une proposition dans ce domaine.

La CVMO a reçu plus de 60 soumissions en réponse à l’avis 54-701. Celles-ci ont montré qu’il y avait peu de consensus chez les sociétés ouvertes canadiennes quant à l’adoption du vote consultatif sur la rémunération.

Comme on pouvait s’y attendre, la plupart des actionnaires institutionnels et leur organisation se sont dites en faveur d’un vote consultatif obligatoire sur la rémunération. Par exemple, la CCBG a fortement encouragé la CVMO à rendre obligatoires les votes consultatifs annuels sur la rémunération pour tous les émetteurs canadiens. L’Institutional Shareholder Services (l’« ISS ») a fait valoir que les votes consultatifs sur la rémunération des hauts dirigeants améliorent la communication de l’information et la gouvernance, et favorisent une plus grande responsabilisation des investisseurs.

En revanche, l’Institut des administrateurs de sociétés (l’« IAS ») et la plupart des émetteurs ayant soumis leurs commentaires se sont opposés au vote obligatoire sur la rémunération, et ce, même s’il ne s’agit que d’un vote consultatif. L’IAS a précisé qu’elle ne croyait pas en une approche universelle et a fortement conseillé de faire preuve de prudence avant de prescrire des normes universelles ou des règles normatives. Elle a déclaré qu’elle n’appuyait pas cette pratique qui, selon elle, affaiblit ou atténue la responsabilité du conseil d’administration à l’égard des questions relatives à la rémunération.

Depuis la publication de l’avis 54-701, celui-ci n’a donné lieu à aucune proposition des organismes de réglementation en valeurs mobilières, ni à aucune mise au point sur la question du vote sur la rémunération. Aussi, depuis la parution de l’avis, les énoncés de priorité publiés par la CVMO à chaque exercice n’ont jamais laissé entendre que la question du vote sur la rémunération était une priorité. Chaque année, pourtant, un certain nombre d’intervenants recommandent d’ajouter aux priorités les questions relatives à la démocratie des actionnaires, comme le vote sur la rémunération. La réponse de la CVMO à ces commentaires a été qu’elle continue d’examiner les questions et les activités relatives à la démocratie des actionnaires afin de déterminer s’il est nécessaire d’instaurer d’autres mesures dans ces domaines ou non.

L’imposition de règles de fond en matière de gouvernance, comme le vote consultatif sur la rémunération, va au-delà du rôle historique habituel des commissions en valeurs mobilières, qui sont là pour prescrire les obligations d’information et les obligations connexes à l’égard des émetteurs. Pour exiger un vote sur la rémunération, il serait plus logique d’apporter des modifications aux lois sur les sociétés qui régissent le droit des sociétés dans le territoire où celles-ci sont constituées, comme le prévoient d’ailleurs les récentes modifications à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »).

Nouveautés en droit des sociétés – modification de la LCSA

Des modifications importantes à la LCSA ont été proposées dans le projet de loi omnibus d’exécution du budget du gouvernement fédéral de 2019 (le « projet de loi C-97 »), dont l’exigence pour les sociétés régies par la LCSA d’élaborer et de présenter annuellement leur approche concernant la rémunération des administrateurs et des membres de la haute direction, de même que de présenter aux actionnaires, à chaque assemblée annuelle, l’approche relative à la rémunération et de tenir un vote non contraignant à cet égard. Bien que le résultat d’un tel vote des actionnaires ne lie pas la société, cette dernière est tenue de le divulguer aux actionnaires.

Les sociétés touchées par ces modifications seront visées par règlement, mais elles ne sont pas connues pour le moment. Il s’agira probablement de sociétés faisant appel au public (c’est-à-dire les sociétés ouvertes).

Le projet de loi C-97 a reçu la sanction royale le 21 juin 2019. Toutefois, la date de prise d’effet de ces modifications n’a pas encore été fixée. On ne sait pas si le résultat des élections fédérales en cours aura une incidence sur la prise d’effet des modifications.

Si les modifications entrent en vigueur, et si le règlement stipule que toutes les sociétés ayant fait appel au public sont assujetties à l’obligation de tenir des votes consultatifs sur la rémunération, un très grand nombre de sociétés ouvertes canadiennes, y compris un bon nombre de petits émetteurs et de sociétés ouvertes contrôlées (dont beaucoup n’organisent pas de tels votes à l’heure actuelle – les résultats de ces votes étant prédéterminés), seront obligées de tenir annuellement un vote consultatif sur la rémunération. Puisqu’un nombre croissant de grandes sociétés ouvertes canadiennes ont volontairement adopté la pratique de tenir annuellement un vote consultatif sur la rémunération au cours des dernières années, les modifications toucheront beaucoup plus les petits émetteurs et les émetteurs émergents.

Il reste à voir si des gouvernements provinciaux emboîteront le pas et modifieront leurs lois sur les sociétés pour exiger que les sociétés constituées en vertu de ces lois organisent des votes consultatifs sur la rémunération. À l’heure actuelle, aucune province n’a proposé de telles modifications.

Évolution des pratiques du marché

Comme nous l’avons noté ci-dessus, les grandes banques canadiennes ont été les premières, à compter de 2010, à offrir à leurs actionnaires un vote consultatif sur la rémunération. Depuis, presque tous les émetteurs ont eu recours à une forme de résolution des actionnaires similaire à celle élaborée par la CCBG pour leur vote consultatif sur la rémunération, soit :

IL EST RÉSOLU, à titre consultatif et sans que soient diminués le rôle et les responsabilités du conseil d’administration, que les actionnaires acceptent l’approche en matière de rémunération de la haute direction présentée dans la circulaire de sollicitation de procurations par la direction remise en prévision de l’assemblée annuelle des actionnaires.

Dans sa circulaire de sollicitation de procurations par la direction de 2019, la Banque Canadienne Impériale de Commerce a simplifié sa résolution en supprimant l’introduction du libellé à l’égard du vote : « à titre consultatif et sans que soient diminués le rôle et les responsabilités du conseil d’administration ». Une poignée d’autres émetteurs ont également adopté cette forme de résolution, qui respecterait les modifications apportées à la LCSA. Cependant, malgré ce changement, la nature du vote demeure consultative.

RÉSULTATS DES VOTES ET RÉPERCUSSIONS

L’appui des actionnaires aux votes consultatifs sur la rémunération est resté relativement stable au cours des dernières années. Pendant la plus récente période de sollicitation de procurations, les votes consultatifs sur la rémunération ont obtenu un appui fort, soit 92 % en moyenne pour les sociétés de l’indice TSX 60.

Au-delà des sociétés de l’indice TSX 60, une société n’a pas obtenu l’appui de la majorité de ses actionnaires et deux sociétés ont reçu un appui se situant dans la fourchette de 50 % à 70 %. Dans les trois cas, selon les agences de conseil en vote avaient indiqué que leur principale préoccupation était l’absence de lien entre la rémunération et le rendement.

L’une des tendances observables qui se dégage de ces trois votes, et des votes consultatifs sur la rémunération qui ont donné lieu à un rejet au cours des dernières années, est que les actionnaires voteraient contre une résolution relative au vote consultatif sur la rémunération lorsqu’il semble exister un décalage entre la rémunération des dirigeants très élevée et le fléchissement du rendement. En d’autres termes, il est possible que les actionnaires se servent du vote sur la rémunération pour communiquer leur insatisfaction à l’égard des résultats décevants de la société, plutôt que leurs impressions sur la rémunération des dirigeants.

Cette année, les sociétés qui ont vu d’importantes améliorations dans l’appui des actionnaires à l’égard des résolutions liées au vote consultatif sur la rémunération, à la suite de résultats décevants au cours des années précédentes, ont obtenu ces gains en raison principalement d’un meilleur dialogue avec les actionnaires, de l’apport d’ajustements aux régimes incitatifs et d’une divulgation volontaire accrue de l’information sur la rémunération de la haute direction.

LE VOTE SUR LA RÉMUNÉRATION AUX ÉTATS-UNIS ET À L’INTERNATIONAL

L’absence de réglementation en matière de vote consultatif sur la rémunération au Canada différencie les marchés des capitaux canadiens de ceux des États-Unis et d’autres pays comme l’Australie, le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse et le Royaume-Uni. Pour en savoir davantage sur les différentes formes de vote consultatif sur la rémunération qui ont été mises en place dans les marchés internationaux, consultez notre Bulletin Blakes de mars 2014 intitulé Vote sur la rémunération : Les entreprises canadiennes se porteront-elles volontaires? En fait, le Canada est le seul pays du G7 où le vote sur la rémunération – consultatif ou contraignant – n’est pas déjà une exigence réglementaire.

Le 25 janvier 2011, la Securities and Exchange Commission des États-Unis a publié des règles en vertu de la Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, selon lesquelles les sociétés ouvertes doivent tenir trois différents types de votes des actionnaires, soit :

  • un vote consultatif portant sur la rémunération des hauts dirigeants de la société au moins une fois tous les trois ans (l’équivalent du vote consultatif sur la rémunération dont il est question dans le présent bulletin);
  • un vote consultatif, au moins une fois tous les six ans, pour déterminer la fréquence des votes consultatifs sur la rémunération : annuelle, bisannuelle ou trisannuelle (vote sur la fréquence);
  • un vote consultatif portant sur certains arrangements prévoyant de généreuses indemnités de départ (« parachutes dorés ») dans le cadre d’assemblées visant l’approbation d’une fusion ou d’une opération similaire (vote sur les « parachutes dorés »).

Parmi les 2 151 sociétés de l’indice Russell 3000 qui ont tenu des votes consultatifs sur la rémunération en 2019, un peu plus de 90 % des résultats de ces votes en moyenne étaient en faveur des propositions de rémunération, ce qui correspond pratiquement aux données de 2018. Du nombre de ces 2 151 sociétés, 1 957 ou 91 % ont obtenu des résultats de vote en faveur des propositions supérieurs à 70 %, et seulement 63 sociétés ou 3 % ont obtenu un appui sous la barre des 70 %.

L’une des tendances importantes observées aux États-Unis en 2019 à cet égard est que, même si le pourcentage d’appui des actionnaires et le nombre de propositions de rémunération qui ont été rejetées sont restés pratiquement inchangés par rapport à l’année précédente, les sociétés de l’indice Russell 3000 ont connu une baisse du nombre de recommandations de vote « contre » de la part d’ISS. Cette tendance laisse entendre que les investisseurs pourraient accorder moins de poids aux recommandations de vote des agences de conseil en vote et effectuer leurs propres recherches et vérification diligente à l’égard des questions sur la rémunération des hauts dirigeants.

CONCLUSION

Au Canada, l’obligation de tenir un vote consultatif sur la rémunération se profile à l’horizon pour certaines sociétés constituées sous le régime fédéral par suite de modifications apportées à la LCSA. Bien qu’un nombre considérable de sociétés de l’indice composé S&P/TSX aient déjà adopté volontairement cette pratique, de tels votes demeurent rares parmi les émetteurs de plus petite taille. Si les modifications sont adoptées, et si le règlement prévoit que toutes les sociétés ayant fait appel au public sont assujetties à l’obligation de tenir un vote consultatif sur la rémunération, un grand nombre de sociétés ouvertes canadiennes qui n’ont pas déjà adopté cette pratique, y compris beaucoup de petits émetteurs et de sociétés ouvertes contrôlées, devront tenir annuellement un vote consultatif sur la rémunération.

D’après les résultats de tels votes aux États-Unis et au Canada, les émetteurs qui choisissent ou sont obligés d’adopter cette pratique auraient intérêt à se pencher sur l’optimisation de leur processus décisionnel relatif à la rémunération, du dialogue avec leurs actionnaires et de leur présentation de l’information sur la rémunération des hauts dirigeants.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :

Howard Levine            514-982-4005
John Tuzyk                  416-863-2918
Jill Davis                      416-863-3076

ou un autre membre de notre groupe Marché des capitaux.