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Location commerciale au Canada : rétrospective de l’année 2019

14 janvier 2020

En ces premiers jours de 2020, Blakes vous propose la présente rétrospective sur la location commerciale en 2019. En effet, le secteur immobilier a connu un solide degré d’activité sur le plan des opérations locatives. L’occasion se prête donc bien à un regard rétrospectif sur les développements juridiques et autres qui ont eu lieu dans le domaine au cours de l’année. Alors que nous commençons à accélérer le pas en 2020, ce sommaire récapitulatif vous permettra d’être au fait des événements clés de 2019 dans le domaine de la location commerciale. Dans le secteur immobilier, les prévisions générales semblent indiquer qu’à moins de récession économique, l’année 2020 sera une autre année dynamique au chapitre de la location dans la plupart des régions du Canada.

JURISPRUDENCE NOTABLE DE 2019

Défaut d’exclure d’une sous-location le dernier jour de la période visée par le bail principal

Dans l’affaire V Hazelton Limited v. Perfect Smile Dental Inc., 2019 ONCA 632, la Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour d’appel ») devait déterminer si un locataire avait malencontreusement cédé son bail en concluant un bail de sous-location sans exclure le dernier jour de la période visée par le bail principal. Après avoir conclu le bail de sous-location, le locataire a tenté de lever l’option de renouvellement prévue au bail principal, mais le propriétaire a refusé d’accepter la levée de cette option. Selon le propriétaire, le locataire ne pouvait plus se prévaloir de cette option, car il l’avait cédée en concluant le bail de sous-location pour toute la période restante du bail principal.

La Cour d’appel a donné raison au locataire en s’appuyant sur l’article 3 de la Loi sur la location commerciale de l’Ontario. Aux termes de cet article, la rétention d’un intérêt réversif à l’égard d’un bailleur n’est pas nécessaire pour créer un rapport entre locateur et locataire (ou entre sous-locateur et sous-locataire). Malgré le fait que cette disposition est en vigueur en Ontario depuis 1895, elle n’a jamais été prise en compte dans le cadre de l’exigence manifestement contradictoire de la common law selon laquelle une sous-location doit exclure le dernier jour de la période visée par le bail principal pour ne pas être considérée comme une cession.

Dans son interprétation de l’article 3, la Cour d’appel a déterminé qu’il peut y avoir sous-location même si le dernier jour de la période visée par le bail principal n’a pas été exclu, mais seulement s’il y a une preuve suffisante que les parties avaient l’intention de conclure un bail de sous-location et non de céder le bail principal. Dans cette affaire, la Cour d’appel était d’avis qu’une telle preuve existait principalement en raison du fait que le bail de sous-location prévoyait expressément que le locataire avait le droit de renouveler le bail principal, mais qu’il n’était pas obligé de le renouveler pour le compte du sous-locataire. De plus, le bail de sous-location prévoyait expressément que le sous-locataire n’avait aucun droit de demeurer sur les lieux au-delà de la période de la sous-location.

Les coûts d’immobilisations et les coûts de réparation extraordinaires sont-ils des dépenses opérationnelles recouvrables?

Dans l’affaire Trenchard v. Westsea Construction Ltd., 2019 BCSC 1675, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu une décision favorable aux propriétaires pour ce qui est du recouvrement des coûts d’immobilisations et des coûts de réparation extraordinaires lorsqu’un bail ne prévoit pas expressément que le propriétaire peut recouvrer de tels coûts.

Dans cette affaire, le propriétaire d’un édifice avait mené à bien un important projet de rénovation dont les coûts s’élevaient à plus de 5,5 M$. Ce projet comportait le remplacement de diverses composantes d’origine de l’édifice (soit les fenêtres, les portes coulissantes et les ventilateurs d’extraction des salles de bain). Aux termes des baux de l’édifice, le propriétaire pouvait facturer aux locataires les dépenses opérationnelles, lesquelles étaient définies comme étant tout montant déboursé par le propriétaire dans le cadre de l’entretien, de l’opération et de la réparation de l’édifice et toute autre dépense payée ou payable par le locateur relativement à l’édifice. Cependant, les baux ne faisaient pas expressément mention de coûts d’immobilisations, de coûts extraordinaires, de fonds de réserve de remplacement, de travaux de réparation ou de remplacement d’envergure, d’amortissement ou d’autres dépenses similaires. 

Le locataire/représentant des demandeurs s’est appuyé sur diverses décisions rendues par des tribunaux canadiens pour soutenir que le propriétaire ne pouvait facturer des coûts d’immobilisations aux locataires que si le libellé du bail le prévoyait expressément. Malgré la jurisprudence, ces arguments n’ont pas pu convaincre la Cour suprême de la Colombie-Britannique. De l’avis de cette dernière, le libellé des baux en question était clair et sans ambiguïté. Les baux ne limitaient pas les dépenses opérationnelles aux dépenses courantes, récurrentes ou hautement prévisibles, et aucune distinction n’y était faite entre les coûts d’immobilisations et les autres coûts. Par conséquent, la définition des dépenses opérationnelles dans les baux était de portée suffisante pour comprendre le projet de rénovation en question et pour permettre au propriétaire de recouvrer les coûts applicables auprès des locataires.

Compte tenu de la jurisprudence existante, il sera intéressant de voir si cette décision sera suivie par d’autres tribunaux, notamment ceux à l’extérieur de la Colombie-Britannique, ou si elle sera traitée comme une anomalie et comme étant distincte.

La Loi de 2002 sur la prescription des actions vs la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles

Dans l’affaire Stonequest Management Inc. v. Andritz va Tech Hydro Limited, 2019 ONSC 3273, le locataire était responsable du paiement de la consommation d’électricité liée aux locaux qu’il occupait. Cependant, les montants qui lui avaient été facturés étaient nettement inférieurs aux montants dus, et ce, en raison de compteurs non étiquetés ou mal étiquetés (la décision précise qu’il s’agirait d’une erreur honnête de la part des parties concernées). Par conséquent, la société de services publics a facturé le manque à gagner au propriétaire. L’une des questions que le tribunal devait examiner était de savoir si la réclamation du propriétaire visant à recouvrer les sommes manquantes auprès du locataire était prescrite. Le propriétaire avait intenté son action en justice deux ans et 13 jours après la date à laquelle il a su ou aurait dû savoir qu’il avait un droit de réclamation contre le locataire relativement au manque à gagner. En Ontario, bien que la Loi de 2002 sur la prescription des actions prévoie un délai de prescription général de deux ans, les propriétaires peuvent se prévaloir d’un délai de prescription distinct de six ans pour le recouvrement des arriérés de loyer en vertu de la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a d’abord déterminé que la réclamation du propriétaire était prescrite en vertu de la Loi de 2002 sur la prescription des actions, car la poursuite avait été engagée plus de deux ans après que les faits ayant donné naissance à la réclamation avaient pu être découverts. La Cour s’est ensuite penchée sur la question de savoir si le délai de prescription de six ans prévu à la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles pouvait s’appliquer à la réclamation du propriétaire. Ce dernier soutenait que cette loi s’appliquait à sa réclamation, car les montants dus constituaient un loyer additionnel aux termes du bail. Cette position semblait logique, notamment car le terme « loyer additionnel » était défini dans le bail en question comme étant [TRADUCTION] « toute somme d’argent ou charge devant être payée par le locataire aux termes du présent bail (…) que cette somme ou charge soit payable au propriétaire ou à une autre partie. » Malgré ceci, la Cour s’est appuyée sur la jurisprudence existante (soit la décision dans l’affaire Pickering Square Inc. v. Trillium College Inc., 2014 ONSC 2629) pour conclure que le sens de « loyer », tel qu’il s’applique à la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, se limite au paiement du loyer dû aux termes d’un bail conclu entre un locataire et un propriétaire, et ce, à titre de compensation pour l’utilisation des biens-fonds ou des locaux. De plus, selon la Cour, le terme « loyer », tel qu’il est utilisé dans la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, doit avoir un sens objectif qui ne peut être annulé par un contrat. Dans sa décision, la Cour a souligné que la consommation d’électricité de chaque locataire de l’édifice devait être mesurée séparément, et que chaque locataire devait payer les coûts liés à sa consommation d’électricité directement au fournisseur de services publics. De l’avis de la Cour, compte tenu des circonstances, l’élargissement de la portée de la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles aux montants dus pour des services publics constituerait une interprétation trop large de cette loi et serait incompatible avec l’intention de cette dernière.

La composante de cette décision qui se rapporte à la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles suscite certainement la controverse et fera sans doute l’objet de débats, à savoir s’il s’agit d’une interprétation juste de la loi. Pour l’instant, rien ne semble indiquer que la décision a été portée en appel.

Dispositions en matière de cotenance

L’affaire Old Navy (Canada) Inc. v. The Eglinton Town Centre Inc., 2019 ONSC 3740 portait sur l’interprétation d’une disposition en matière de cotenance prévue dans un bail, lequel nommait Danier Leather parmi les locataires principaux d’un centre d’achat. Cette disposition figurait dans la lettre d’intention et dans le contrat de bail officiel conclu par Old Navy et le propriétaire du centre d’achat en question. La lettre d’intention prévoyait également un droit de résiliation par lequel le propriétaire pouvait mettre fin au contrat de bail si l’un des locataires principaux manquait aux exigences en matière de cotenance prévues au bail pour une période de six mois ou plus. Pour des raisons inconnues, ce droit de résiliation ne figurait pas au contrat de bail officiel. Aux termes de la lettre d’intention et du contrat de bail officiel, Old Navy, à titre de locataire, avait droit à une importante réduction de loyer si un autre locataire manquait aux exigences en matière de cotenance. Cette réduction de loyer n’était pas limitée à une période définie. Donc, en théorie, Old Navy pouvait se prévaloir indéfiniment de ce droit à une réduction de son loyer.

Plus de 15 ans après l’entrée en vigueur du bail d’Old Navy, Danier Leather s’est déclarée en faillite et a cessé ses activités dans le centre d’achat. Old Navy a tenté de faire appliquer la disposition du bail en matière de cotenance, en faisant valoir que la faillite de Danier Leather constituait un manquement à cette disposition. Selon le propriétaire, la disposition en matière de cotenance était mal rédigée et ne reflétait pas correctement l’intention réelle des parties, à savoir que Danier Leather ne devait être ouverte qu’à la date de l’entrée en vigueur du bail d’Old Navy, et non pendant toute la durée du bail de cette dernière. Ainsi, selon le propriétaire, lorsque Daniel Leather a cessé ses activités, il ne pouvait s’agir d’un manquement aux exigences de cotenance.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») s’est prononcée en faveur du propriétaire, en concluant que la disposition en matière de cotenance pouvait être interprétée de plus d’une façon. Plus important encore, elle a statué que l’interprétation d’Old Navy ne pouvait prévaloir. En effet, elle a déterminé qu’il ne serait pas commercialement raisonnable de s’attendre à ce qu’Old Navy puisse payer un loyer considérablement réduit pour une période indéfinie, simplement parce qu’un locataire qui n’est pas un locataire pilier (dans le cas présent, Danier Leather) a cessé ses activités durant la période du bail d’Old Navy alors déjà bien entamée, et ce, sans incidence quelconque sur les ventes d’Old Navy. De l’avis de la Cour, l’interprétation d’Old Navy violait les principes fondamentaux de l’efficacité commerciale et menait à un résultat absurde. La Cour a également rendu une ordonnance de rectification visant à ajouter au bail le droit de résiliation du propriétaire qui figurait dans la lettre d’intention, mais qui ne figurait pas dans le bail officiel.

Cette affaire devrait également intéresser les conseillers juridiques se spécialisant dans les baux commerciaux pour la raison suivante : bien que la Cour se soit penchée sur la question de savoir si la disposition en matière de cotenance constituait une clause de pénalité et donc inapplicable en l’espèce, elle a finalement choisi de ne pas se prononcer sur la question. Le propriétaire avait fait valoir que la réduction de loyer à laquelle Old Navy avait droit en vertu de la disposition en matière de cotenance dépassait de beaucoup toute perte réelle ou tout dommage réel qu’aurait subi Old Navy en raison de la fermeture de Danier Leather. La Cour a examiné des décisions américaines portant sur ce sujet, mais elle a finalement décidé de ne pas trancher la question. Il sera intéressant de voir si cet argument de pénalité sera éventuellement soulevé par des propriétaires cherchant à éviter d’être liés par une disposition en matière de cotenance dans des circonstances où un locataire pouvant se prévaloir d’un tel droit n’a pas subi de réduction importante de ses ventes.

Autres décisions d’intérêt de 2019

Bien que les décisions de 2019 qui suivent n’établissent pas nécessairement une nouvelle jurisprudence ou une approche contradictoire, innovante ou radicale du droit existant, elles présentent un survol du droit de la location commerciale qui sera sans doute utile aux professionnels exerçant dans ce domaine.

       McRae Cold Storage Inc. v. Nova Cold Logistics ULC, 2019 ONCA 452 – Aperçu des exigences pour obtenir la levée de la déchéance lorsqu’un locataire ne respecte pas les conditions préalables à la levée d’une option de renouvellement.

       1548 Richmond Manor Inc. v. Fido Solutions Inc., 2019 ONSC 3833 – Récapitulation de plusieurs principes d’interprétation des contrats.

       Health Quest Inc. v. Arizona Heat Inc., 2019 NLSC 52 – Différenciation entre une pénalité et des dommages-intérêts liquidés dans le contexte des frais de retard à l’égard des paiements du loyer, et sommaire de la définition de « faire de son mieux » (best efforts).

MODIFICATIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

Le 1er janvier 2019, la Loi de 2009 sur l’énergie verte de l’Ontario a été abrogée par suite de l’adoption de la Loi de 2018 abrogeant la Loi sur l’énergie verte. De façon générale, cette abrogation réinstaure les droits des municipalités de contrôler le développement des projets d’énergie renouvelable, y compris les projets d’énergie éolienne et solaire. Pour en savoir davantage, consultez notre Bulletin Blakes de septembre 2018 intitulé Le nouveau gouvernement ontarien veut réinstaurer les droits des municipalités de s’opposer à des projets d’énergie renouvelable. D’intérêt particulier pour les professionnels juridiques se spécialisant dans la location commerciale, cette modification législative abolit l’exception de cinquante ans prévue à la Loi sur l’aménagement du territoire qui pouvait s’appliquer précédemment aux baux visant des projets d’énergie renouvelable. Par conséquent, à moins d’être admissible en vertu d’une exception générale, un bail visant un projet d’énergie renouvelable devra désormais faire l’objet d’une autorisation de morcellement en vertu de la Loi sur l’aménagement du territoire si la période visée par le bail, y compris les renouvellements et les prolongations, est de 21 ans ou plus.

En Colombie-Britannique, la Land Owner Transparency Act (la « LOTA ») est entrée en vigueur le 16 mai 2019. Cette loi exige la divulgation des particuliers qui détiennent, directement ou indirectement, des intérêts bénéficiaires dans des terres. Les intérêts fonciers assujettis aux exigences de divulgation de la LOTA comprennent les terres en propriété et les terres louées dont le bail est d’une durée de plus de 10 ans. Pour en savoir davantage, consultez notre Bulletin Blakes de mai 2019 intitulé Transparency is Coming: B.C. Passes Real Estate Beneficial Ownership Disclosure and Public Registry Law (en anglais seulement).

SURVOL DES MARCHÉS

À l'exception de Calgary et, dans une moindre mesure, d'Edmonton, le marché de la location commerciale des bureaux et des sites industriels dans les grandes villes canadiennes a connu une année très dynamique en 2019. À Toronto et à Vancouver, le faible taux d'inoccupation record et la hausse des loyers se sont maintenus comme tendances. À Calgary et à Edmonton, les marchés semblent s’être stabilisés en 2019 avec une reprise (quoique très lente) à l’horizon.

Dans plusieurs grandes villes, la location de bureaux en 2019 a été dominée en grande partie par des entreprises technologiques, ce qui a laissé certains propriétaires devant le dilemme suivant : (a) louer des locaux à une nouvelle entreprise technologique ayant peu d'antécédents en matière d'exploitation et de rentabilité, mais ayant un énorme potentiel de croissance et de rentabilité; ou (b) louer des locaux à une entreprise établie d’un secteur d’activité plus traditionnel dont les perspectives de croissance sont moindres. Dans cette nouvelle réalité commerciale, les propriétaires seront manifestement défavorisés s’ils n’ont pas les compétences requises pour comprendre et analyser correctement les entreprises de la nouvelle économie en tant que locataires.

La location commerciale dans le secteur du commerce de détail a connu une autre année difficile en 2019. L’activité locative était axée en grande partie sur la restauration et le divertissement, deux secteurs qui ont été touchés en moins grande mesure par le commerce électronique. Comme dans les dernières années, les propriétaires de sites destinés au commerce de détail ont continué de faire preuve de créativité au chapitre de la structuration des baux (en ayant recours notamment à des baux bruts ou à des frais plafonnés pour les taxes, l’entretien et les assurances) pour attirer des locataires de ces secteurs dans leurs locaux.

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Joseph Grignano        416-863-4025

Paul Logan                 403-260-9773

Gayle Hunter              604-631-3352

ou un autre membre de notre groupe Immobilier commercial.