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Loi sur l’esclavage moderne du Canada : À quoi les entreprises canadiennes doivent-elles s’attendre?

12 octobre 2022
Vous devriez vraiment examiner votre chaîne d’approvisionnement et déterminer si le travail forcé constituera un risque pour votre organisation.
Kate McGilvray, associée du groupe Gouvernance
Balado disponible en anglais avec retranscription en français ci-dessous.

Pour lutter contre le travail forcé, le gouvernement du Canada a proposé la Loi sur l’esclavage moderne, laquelle aura des répercussions importantes pour les entreprises canadiennes. Dans notre dernier épisode de Volumes d’affaires de Blakes, les associés Scott Clarke, Holly Reid et Kate McGilvray donnent un aperçu de la nouvelle loi et des mesures que les entreprises doivent prendre pour assurer leur conformité.

Retranscription

Nathan : Bonjour, je m’appelle Nathan Kanter; bienvenue à Volume d’affaires de Blakes.

Aujourd’hui, ma collègue Jordan Virtue et moi discutons avec les avocats de Blakes Scott Clarke, Holly Reid et Kate McGilvray, du groupe Gouvernance, d’un sujet important : la Loi sur l’esclavage moderne.

Nous traitons de divers aspects de la loi et de la façon dont elle vise à lutter contre le travail forcé. Nous abordons également les répercussions de cette nouvelle loi sur les entreprises et les mesures que celles-ci devront prendre pour s’y conformer.

[musique]

Jordan : Scott, d’après ce que je comprends, l’esclavage moderne fait partie d’un intérêt croissant pour les considérations environnementales, sociales et de gouvernance, ou ESG. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste l’esclavage moderne?

Scott : En termes simples, l’esclavage moderne est le recrutement, le déplacement ou la séquestration d’enfants, de femmes ou d’hommes par l’utilisation de la force, de la coercition, de la tromperie ou d’autres moyens à des fins d’exploitation. Évidemment, les exemples les plus médiatisés sont la traite des personnes, y compris le commerce du sexe, et l’utilisation d’enfants soldats. De toute évidence, ce ne sont pas des activités qui auraient une incidence sur de nombreuses entreprises canadiennes.

Ce qui est particulièrement pertinent, c’est le travail forcé. Et le travail forcé est tout travail ou service que des personnes sont forcées de faire ou de fournir contre leur volonté sous la menace de punition. Le travail forcé vise autant les adultes que les enfants.

Il s’agit d’un enjeu qui touche les chaînes d’approvisionnement à l’échelle internationale. Les secteurs susceptibles d’avoir recours au travail forcé comprennent les secteurs de la construction, de l’exploitation minière, de la fabrication, de la transformation et de l’emballage. De nombreuses sociétés canadiennes ont recours à des entreprises étrangères pour obtenir des matières premières et d’autres biens d’importation leur permettant d’exercer leurs activités.

Le projet de loi S-211 du gouvernement du Canada vise à faire adopter la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaines d’approvisionnement et à modifier le Tarif des douanes. Le projet de loi a franchi l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes le 1er juin 2022 et est à l’étude devant un comité.

Jordan : Comment l’esclavage moderne s’appliquerait-il à une entreprise canadienne typique qui n’exerce pas d’activités à l’étranger dans des pays affichant un mauvais bilan en matière de droits de la personne?

Scott : Le travail forcé a des incidences considérables sur les entreprises canadiennes, tant sur le plan législatif que commercial. Nous aborderons les aspects commerciaux plus tard lorsque nous discuterons d’un exemple concret.

Sur le plan législatif, les exigences de déclaration prévues par le projet de loi S-211 s’appliqueraient lorsqu’une entreprise produit ou vend des biens au Canada ou ailleurs, ou importe des marchandises au Canada et que l’entreprise répond à certains critères.

Tout d’abord, toute société ouverte canadienne, c’est-à-dire une société dont les titres sont inscrits à la cote d’une bourse, sera assujettie à cette loi.

En ce qui concerne les sociétés fermées, elles aussi seront assujetties à la loi si elles remplissent deux des trois critères suivants : 1) elles ont des actifs d’au moins 20 M$ CA au Canada, 2) elles ont généré des revenus d’au moins 40 M$ CA et 3) elles comptent en moyenne au moins 250 employés depuis les deux dernières années.

Nathan : Holly, alors que le gouvernement du Canada braque de plus en plus les projecteurs sur l’esclavage moderne, quelles obligations les entreprises doivent-elles respecter?

Holly : Bien qu’il y ait eu des initiatives législatives antérieures au Canada, il semble que le projet de loi que Scott nous a présenté entrera en vigueur très bientôt.

Cette loi, telle qu’elle est rédigée actuellement, exige que certaines entreprises fassent rapport sur les mesures prises pour prévenir et réduire le risque que l’entreprise elle-même ou sa chaîne d’approvisionnement ait recours au travail forcé ou au travail des enfants. En outre, elle prévoit actuellement que le rapport doit contenir certains renseignements précis, notamment :

  • des renseignements sur la structure, les activités et les chaînes d’approvisionnement de l’entreprise;
  • ses politiques et ses processus de vérification diligente concernant le travail forcé et le travail des enfants;
  • les parties de l’entreprise et des chaînes d’approvisionnement qui comportent un risque que le travail forcé ou le travail des enfants soit utilisé et les mesures prises par l’entreprise pour évaluer et gérer ce risque;
  • toute mesure prise pour remédier au travail forcé ou au travail des enfants;
  • la formation offerte aux employés sur ces enjeux;
  • la façon dont l’entreprise évalue son efficacité lorsqu’il s’agit de s’assurer que le travail forcé et le travail des enfants ne sont pas utilisés dans le cadre de ses activités et de ses chaînes d’approvisionnement.

Et lors de la préparation du rapport, les entreprises devront évidemment tenir compte des définitions du travail forcé et du travail des enfants figurant dans la loi, lesquels termes sont définis de façon assez large.

Nathan: Quelles sont les conséquences du non-respect de ces exigences?

Holly : La loi établit un régime d’inspection qui confère au gouvernement des pouvoirs très étendus pour obliger une entreprise à fournir certains renseignements ou documents afin de vérifier la conformité de celle-ci et d’enquêter par ailleurs sur les cas de non-conformité. La loi confère aux personnes chargées de l’application de la loi de vastes pouvoirs de perquisition et de saisie.

La loi confère également au gouvernement de vastes pouvoirs lui permettant de rendre des ordonnances obligeant l’entreprise à prendre les mesures que celui-ci juge nécessaires pour assurer le respect de la loi.

Enfin, l’entreprise qui omet de se conformer aux exigences de la loi, notamment en ce qui a trait au rapport, pourrait être reconnue coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et se voir imposer une amende maximale de 250 000 $ CA.

Les auditeurs qui sont des administrateurs ou des dirigeants de sociétés prendront bonne note que la loi prévoit que les administrateurs et les dirigeants peuvent également être tenus responsables des cas de non-conformité dans certaines circonstances.

De toute évidence, au-delà des conséquences prévues par la loi, pourraient s’ajouter les problèmes liés à l’exploitation et à la réputation de l’entreprise en cas de non-conformité, dont Scott a déjà parlé.

Nathan : Scott, pour poursuivre sur le sujet de la conformité, y a-t-il un exemple concret que vous pourriez nous donner qui démontre les conséquences commerciales et non législatives d’un non-respect?

Scott : Prenons le cas d’une société canadienne d’énergie renouvelable qui exerce des activités au Canada et aux États-Unis.

Du point de vue des enjeux ESG dans leur ensemble, les producteurs d’énergie renouvelable sont généralement des champions de ces enjeux. Mais supposons que l’entreprise construise des parcs solaires. Un grand pourcentage des panneaux solaires installés au Canada et aux États-Unis provient de pays étrangers. Les constructeurs de centrales électriques ont généralement besoin de deux choses : (1) une entente d’approvisionnement aux termes de laquelle ils vendent l’électricité qu’ils produisent et (2) du financement de la construction pour soutenir la construction du projet.

Indépendamment des exigences législatives, un nombre croissant de producteurs d’électricité et de prêteurs, particulièrement aux États-Unis, ont adopté des politiques officielles qui leur interdisent de faire affaire avec des producteurs d’électricité à moins que ces producteurs n’adoptent de façon proactive des politiques et des procédures confirmant qu’ils ne prennent aucunement part à l’esclavage moderne dans le cadre de leurs activités.

Jordan : Kate, en ce qui concerne les pratiques exemplaires, quels conseils donneriez-vous à un conseil d’administration du point de vue de la gouvernance?

Kate : Merci. C’est une question très intéressante. Je pense que ce que je dirais à un conseil d’administration, et c’est ce que nous disons constamment aux conseils d’administration, c’est d’évaluer le risque et de voir où il se situe dans leur entreprise.

Un certain nombre de secteurs seront touchés par cette situation en raison de l’envergure mondiale des activités de beaucoup d’entre nous. Et donc, vous devez sérieusement regarder votre chaîne d’approvisionnement et essayer de déterminer quelle partie pourrait constituer un risque pour votre organisation.

Fait intéressant, au cours des deux dernières semaines, on m’a posé deux ou trois questions au sujet des facteurs ESG, particulièrement en ce qui concerne l’esclavage moderne. Donc, comme je l’ai dit, il s’agit d’une question soulevée dans beaucoup de secteurs, pas seulement les secteurs que l’on s’attend habituellement à voir, et je pense que c’est aussi parce que les conseils d’administration accordent de plus en plus d’attention aux questions ESG. Et pour ceux qui pensent qu’il existe un risque lié à l’esclavage moderne, il sera important de concevoir un cadre de gestion du risque lié à l’esclavage moderne, et puis, bien sûr, s’il y a un problème ou des lacunes à cet égard, il faudra s’en occuper.

Je pense également que ce qui est bon pour un conseil, et tous les conseils devraient le faire à l’égard de chaque enjeu, c’est d’obtenir des rapports internes réguliers avant l’établissement du rapport annuel et de réagir de façon proactive aux enjeux signalés et de voir à les atténuer. Nous avons vu des cas où, particulièrement aux États-Unis, des personnes ont formulé des allégations à l’égard de grandes institutions qui pourraient avoir des liens avec l’esclavage moderne. Il est donc très important pour un conseil d’administration de s’attaquer à l’avance au problème de façon adéquate.

Jordan : Le conseil peut-il exiger que la direction prenne des mesures concrètes sur le terrain?

Kate : Absolument. Je pense, encore une fois, qu’étant donné l’importance des enjeux ESG et l’importance de cette question pour les entreprises à l’heure actuelle, vous voudrez vous assurer que la direction cherche à s’assurer qu’aucun des fournisseurs de l’entreprise ne figure sur une liste de fournisseurs interdits des prêteurs ou d’autres contreparties. Il est possible de consulter des organismes qui regroupent les entreprises qui ont été repérées, mais aussi, si vous pensez qu’il s’agit d’un environnement à haut risque, vous pouvez vérifier si la direction fait suffisamment de vérification diligente pour s’assurer que les fournisseurs respectent la loi.

Autre chose : vous pouvez demander à la direction de s’assurer que les contrats d’approvisionnement contiennent les déclarations et les garanties appropriées quant à la conformité à la loi. Dans certains secteurs, il pourrait être approprié de mentionner expressément l’esclavage moderne si vous croyez que le secteur présente un risque élevé à cet égard.

Enfin, une chose importante à faire est de retenir les services d’un auditeur tiers. Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’esclavage moderne est un sujet brûlant. Un grand nombre de cabinets de services professionnels se penchent sur ces questions. Si le sujet est une source de préoccupation pour vous, je vous encourage à retenir les services d’un auditeur tiers.

Nathan : Scott, Holly et Kate, merci d’avoir pris le temps de vous joindre à Jordan et à moi et de partager vos connaissances sur cet important sujet.

Les auditeurs qui souhaitent obtenir de plus amples renseignements sur notre groupe Gouvernance ainsi que sur notre balado sont invités à consulter blakes.com.

D’ici la prochaine fois, prenez soin de vous.

À propos du balado Volume d’affaires de Blakes

Notre balado Volume d’affaires (anciennement Continuité) se penche sur les répercussions que peut avoir l’évolution du cadre juridique canadien sur les entreprises, et ce, dans notre réalité « post-COVID-19 » et dans l’avenir. Des avocates et avocats de tous nos bureaux discutent des défis, des risques, des occasions, des développements juridiques et des politiques gouvernementales dont vous devriez avoir connaissance. Nous abordons par ailleurs divers sujets qui vous importent et qui sont liés à la responsabilité sociale, comme la diversité et l’inclusion.

Si vous souhaitez en entendre davantage sur un sujet en particulier, adressez-vous à notre équipe Communications à communications@blakes.com.

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