Dans son arrêt Yip v. HSBC Holdings PLC, la Cour d’appel de l’Ontario a clarifié l’interprétation appropriée du terme « émetteur responsable » dans le contexte d’une action pour présentation inexacte des faits sur le marché secondaire en vertu de la partie XXIII.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario (la « LVMO ») et de réclamations connexes en common law, donnant au passage des indications pour les entités visées par des actions collectives découlant d’opérations réalisées par des Canadiens sur des titres de ces entités négociés sur des bourses étrangères.
CONTEXTE
M. Yip, le représentant du groupe proposé dans le cadre de la demande, a acheté des actions de la défenderesse, un émetteur à capital ouvert, qui étaient négociées à la Bourse de Hong Kong, en utilisant son compte bancaire de Hong Kong et son ordinateur personnel à sa résidence de Markham, en Ontario. Il a également consulté les documents d’information de l’émetteur sur le site Web de celui-ci.
La défenderesse est la société de portefeuille mère d’un conglomérat bancaire international ayant son siège social à Londres, au Royaume-Uni. Ses titres ne sont pas négociés sur une bourse canadienne, mais ils le sont sur les bourses de Londres et de Hong Kong, en plus de faire l’objet de cotations secondaires sur les bourses des Bermudes et d’Euronext Paris.
M. Yip alléguait que lui et un groupe proposé d’investisseurs avaient été induits en erreur par des documents d’information continue et des déclarations publiques, et que le groupe avait en conséquence subi des pertes d’environ 7 G$ US.
L’action en responsabilité délictuelle fondée sur l’article 138.3 de la LVMO confère aux investisseurs une cause d’action contre un « émetteur responsable » pour présentation inexacte des faits dans un document publié par l’émetteur ou dans une déclaration publique de l’émetteur. Un « émetteur responsable » est défini dans la LVMO comme étant a) un émetteur assujetti ou b) tout autre émetteur ayant des liens réels et importants avec l’Ontario et dont les valeurs mobilières sont cotées en bourse. Les parties n’ont pas contesté le fait que la défenderesse n’était pas un émetteur assujetti. Par conséquent, l’analyse de la Cour d’appel de l’Ontario portait sur la question de savoir si la défenderesse respectait les critères de la définition d’un « émetteur responsable ». Autrement dit, la défenderesse avait-elle des liens réels et importants avec l’Ontario?
M. Yip soutenait que, suivant une interprétation appropriée de ce terme, un « émetteur responsable » est un émetteur qui sait ou qui devrait savoir que ses renseignements à l’intention des investisseurs peuvent être consultés par des investisseurs canadiens. M. Yip faisait valoir que cette interprétation créait un lien réglementaire avec l’Ontario suffisant pour permettre de conclure à l’existence de liens réels et importants.
Le juge saisi de la requête a statué que l’Ontario n’avait pas compétence à l’égard de l’action collective proposée et que, même si elle avait compétence, l’Ontario n’était pas le ressort approprié. Le juge a rejeté les réclamations pour présentation inexacte des faits introduites en vertu de la LVMO et a suspendu les réclamations en common law connexes. M. Yip a porté la décision en appel.
DÉCISION
En rejetant l’appel de M. Yip, la principale préoccupation de la Cour d’appel de l’Ontario est que si elle adopte l’interprétation d’un « émetteur responsable » qui est retenue par le demandeur, l’Ontario deviendrait le ressort par défaut pour les émetteurs du monde entier dont les titres sont acquis par des résidents de l’Ontario. Par ailleurs, la Cour d’appel a examiné l’historique législatif de la partie XXIII.1 de la LVMO et elle conclut qu’il ne s’agit pas là de l’un des résultats attendus de la loi.
La Cour d’appel considère plutôt que l’inclusion des mots « liens réels et importants » dans la définition d’un « émetteur responsable » vise à refléter le critère de la simple reconnaissance de compétence en common law canadienne et à éviter l’exercice d’une compétence trop étendue. La Cour d’appel ne souscrit pas à l’idée qu’un émetteur qui sait ou qui devrait savoir que ses renseignements à l’intention des investisseurs peuvent être consultés par des investisseurs canadiens entretient, pour cette seule raison, un lien réglementaire suffisant pour permettre de conclure à l’existence de liens réels et importants avec l’Ontario.
Plus particulièrement, en appliquant le critère de la common law, la Cour d’appel statue que la défenderesse ne peut être considérée comme « exerçant des activités en Ontario » simplement parce qu’un investisseur peut avoir accès aux documents d’information d’un émetteur non assujetti au moyen de son ordinateur personnel en Ontario. La Cour d’appel souscrit à l’opinion du juge de première instance selon laquelle il n’y a pas eu de démonstration d’un lien réel entre l’objet du litige et l’Ontario. Dans de pareils cas où le lien est faible, la Cour d’appel conclut qu’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que la défenderesse soit appelée à faire face à une poursuite dans ce ressort. La Cour d’appel juge qu’aucune présomption irréfragable de compétence n’a été établie.
De plus, quant au ressort le plus approprié dans le contexte d’un litige portant sur le marché secondaire, la Cour d’appel indique que le ressort le plus approprié sera souvent le territoire où se trouve la bourse sur laquelle le demandeur a acheté les valeurs mobilières visées, ce qui est conforme aux principes de courtoisie et aux normes internationales en vigueur.
RÉPERCUSSIONS
À mesure que la technologie évolue et qu’elle permet aux investisseurs canadiens d’avoir accès aux marchés partout dans le monde, des questions concernant le territoire et le ressort appropriés dans le cadre des litiges visant des investisseurs continueront d’être soulevées. Dans cette affaire, les indications que donne la Cour d’appel constituent un bon point de départ pour les émetteurs qui souhaitent se défendre dans le cadre de poursuites intentées par des investisseurs en Ontario relativement à des valeurs mobilières inscrites uniquement à la cote de bourses situées à l’extérieur du Canada, et en l’absence de lien convaincant entre les valeurs mobilières en question et l’Ontario. La Cour d’appel conclut que le législateur n’avait pas l’intention de faire des tribunaux de l’Ontario le ressort universel pour les demandes en responsabilité à l’égard du marché secondaire, mais que la LVMO n’interdit pas les demandes de cette nature s’il est démontré que les liens entre l’émetteur et l’Ontario sont réels et importants. Il importe de faire une distinction avec la situation qui a cours aux États-Unis, la Cour suprême des États-Unis ayant déterminé que la législation américaine en valeurs mobilières s’applique de manière extraterritoriale seulement lorsque cette application est mentionnée explicitement dans le libellé de la loi.
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