Le 20 mars 2024, le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales a présenté le projet de loi C-65, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (le « projet de loi ») à la Chambre des communes. Ce projet de loi propose des modifications à la Loi électorale du Canada (la « Loi »), qui permettraient entre autres d’éliminer des obstacles au vote, d’encourager la participation des électeurs, de mieux protéger les renseignements personnels et de mettre en place des mesures de protection pour lutter contre l’ingérence étrangère dans les élections fédérales canadiennes.
Si ces modifications sont adoptées, ces modifications entraineront des répercussions importantes sur le financement des tiers, les contributions, la publicité partisane et électorale ainsi que sur le traitement des renseignements personnels par les partis politiques.
Le projet de loi poursuit par ailleurs l’un des engagements pris dans l’entente intitulée « Obtenir des résultats dès maintenant pour les Canadiens : une entente de soutien et de confiance » (l’« Entente de soutien et de confiance ») qui est intervenue entre le Parti libéral du Canada (au pouvoir) et le Nouveau Parti démocratique en mars 2022.
Principales modifications proposées
Tiers
Afin d’empêcher des intervenants étrangers d’influencer les résultats des élections au Canada grâce à du financement provenant de sources étrangères, le projet de loi propose les modifications suivantes à la Loi :
- Il serait interdit au tiers d’accepter une contribution destinée aux activités partisanes, à la publicité partisane, à la publicité électorale ou aux sondages électoraux faite en crypto-actifs, sous la forme d’un mandat ou sous la forme d’un produit de paiement prépayé.
- Le tiers qui reçoit une contribution en crypto-actifs, sous la forme d’un mandat ou sous la forme d’un produit de paiement prépayé serait tenu de prendre l’une des mesures ci-après dans les 30 jours suivant le moment où il prend connaissance de la réception de la contribution :
- remettre la contribution inutilisée au donateur;
- s’il ne peut pas la remettre, la détruire sans l’utiliser;
- s’il ne peut pas la remettre ni la détruire, la réaliser en numéraire et verser le produit au directeur général des élections, qui le remettrait au receveur général.
- Il serait interdit au tiers d’utiliser certaines contributions anonymes. Le tiers serait par ailleurs tenu d’utiliser les contributions reçues de particuliers canadiens uniquement pour payer des dépenses réglementées. Pour chaque particulier canadien dont les contributions ayant servi au paiement de dépenses réglementées dépasseraient, au total, 200 $ CA, le tiers serait tenu d’inclure dans son compte provisoire l’information suivante :
- le nom et l’adresse du particulier;
- le montant de chaque contribution reçue;
- la liste des biens et des services reçus qui constituent des contributions;
- la date à laquelle chaque contribution a été faite.
- Le tiers serait tenu de s’enregistrer dès qu’il a engagé des dépenses de 1 500 $ CA, au total, comparativement à 500 $ CA, comme c’est le cas actuellement.
Élargissement des types d’entités étrangères visées par la Loi
Les modifications proposées élargiraient considérablement les types d’entités étrangères assujetties à des restrictions quant à leur capacité d’exercer une influence. Plus particulièrement, le projet de loi élargirait les définitions d’« entité étrangère », de « tiers étranger » et d’« étranger » énoncées dans la Loi pour y inclure les sociétés « dont l’une des principales activités au Canada » consiste à exercer une influence sur un électeur afin qu’il vote ou s’abstienne de voter pour « un candidat potentiel donné » ou « un parti admissible donné » à une élection.
À l’heure actuelle, ces définitions se limitent plus étroitement aux sociétés qui n’exercent pas d’activités commerciales au Canada, ou à celles dont les « seules activités » au Canada consistent à exercer une influence sur un électeur afin qu’il vote ou s’abstienne de voter ou vote ou s’abstienne de voter pour un candidat donné ou un parti enregistré donné à toute élection. Cette modification a pour objectif d’accroître le nombre d’entités constituées en société visées par les mesures de protection contre l’influence indue prévues dans la Loi et d’élargir les types d’activités faisant l’objet de restrictions liées au financement des tiers en vertu de la Loi.
Protection de l’intégrité du processus électoral du Canada
Afin de lutter contre l’ingérence étrangère dans les élections canadiennes, le gouvernement fédéral propose les modifications suivantes :
- Élargir l’interdiction qui empêche les personnes et les entités étrangères d’exercer une influence indue sur un électeur durant une période électorale afin que ce dernier vote ou s’abstienne de voter pour un candidat donné ou un parti enregistré donné pour qu’elle s’applique également aux candidats potentiels et aux parties admissibles à toute élection.
- Élargir l’interdiction de publier pendant la période électorale du matériel trompeur qui prétend faussement provenir du directeur général des élections, d’un directeur du scrutin, d’un parti politique, d’un candidat ou d’une personne qui désire se porter candidat pour y inclure les candidats potentiels, les candidats à l’investiture et les candidats à la direction.
- Interdire à toute personne ou entité de vendre un espace publicitaire à tout étranger cherchant à exercer une influence indue par le biais d’un message de publicité partisane.
- Aborder la question de l’utilisation de l’intelligence artificielle et de l’usurpation d’identité à l’aide de l’hypertrucage en apportant une précision selon laquelle toute personne ou entité qui publie du matériel trompeur, quel que soit la forme ou le moyen utilisé, commet une infraction.
Il reste à voir, cependant, qui exactement serait considéré comme un « candidat potentiel », quels seraient exactement les critères à remplir pour être considéré en tant que tel en vertu de la loi et à quelle étape du processus électoral une personne serait un tel candidat potentiel.
Régime de protection des renseignements personnels des partis politiques fédéraux
Les modifications proposées par le projet de loi précisent et confirment l’intention du Parlement d’établir un régime national, uniforme et complet en matière de protection des renseignements personnels applicable aux partis enregistrés et aux partis admissibles relativement à la collecte, à l’utilisation, à la communication, à la conservation et au retrait de renseignements personnels par ceux-ci. Le directeur général des élections a quant à lui la compétence exclusive pour réglementer les pratiques des partis politiques en matière de protection de renseignements personnels. À l’appui de cette intention du Parlement, les partis politiques seraient tenus aux termes des modifications proposées d’adopter une politique en matière de protection des renseignements personnels dont le contenu serait prescrit. Cette politique devrait notamment :
- être publiquement disponible dans les deux langues officielles;
- expliquer le type de renseignements personnels que le parti recueille, utilise, communique, conserve ou dont il procède au retrait, et expliquer, à l’aide d’exemples concrets, la manière dont le parti recueille, utilise, communique et conserve les renseignements personnels et dont il procède au retrait de ceux-ci (notamment s’il le fait dans le cadre d’activités en ligne ou au moyen de témoins);
- comprendre une description de la formation relative à la protection des renseignements personnels fournie aux employés et aux bénévoles du parti qui pourraient avoir accès aux renseignements personnels qui relèvent de lui;
- inclure des mesures de sécurité et exiger que les tiers prennent des mesures de sécurité appropriées lorsqu’ils traitent des renseignements personnels;
- exiger d’un parti, en cas de communication non autorisée de renseignements personnels ou d’accès non autorisé à de tels renseignements, qu’il prenne les mesures appropriées, notamment informer l’individu de toute atteinte aux mesures de sécurité qui a trait à des renseignements personnels le concernant s’il est raisonnable de croire que l’atteinte présente un risque réel de préjudice grave à son endroit;
- interdire au parti de même qu’à toute personne ou entité agissant en son nom, de poser les gestes suivants :
- fournir des renseignements faux ou trompeurs à tout individu en ce qui a trait aux fins pour lesquelles le parti recueille des renseignements personnels;
- vendre les renseignements personnels qui relèvent du parti;
- communiquer au public des renseignements personnels qui relèvent du parti dans le but de causer du tort;
- fournir le nom et les coordonnées de l’agent de la protection des renseignements personnels désigné par le parti, lequel sera tenu d’assister à au moins une réunion par année civile portant sur la protection des renseignements personnels que le directeur général des élections tient.
Il incomberait par ailleurs à l’agent de la protection des renseignements personnels désigné par le parti d’attester de la conformité du parti à la politique en matière de protection des renseignements personnels mise en place par ce dernier. Tout défaut de se conformer constituerait une infraction en vertu de la Loi susceptible d’entrainer une sanction administrative pécuniaire.
Le projet de loi prévoit en outre qu’un électeur pourrait demander de faire retirer son nom, son adresse et son identificateur des listes mises à la disposition des partis enregistrés, des partis admissibles, des députés ou des candidats pour une période de cinq ans.
Date des élections
Le projet de loi reporterait la date des prochaines élections fédérales canadiennes, lesquelles auraient lieu le 27 octobre 2025, plutôt que le 20 octobre 2025, ce qui permettrait d’éviter un conflit avec les célébrations de Diwali. Il y a lieu de souligner que ce report a pour effet d’accorder le droit à pension à 80 députés qui ont été élus lors de l’élection fédérale du 21 octobre 2019 au Canada s’ils demeurent en fonction jusqu’aux prochaines élections. Cette modification touchera des députés des quatre principaux partis politiques.
Processus de vote
Des modifications seraient apportées au processus de vote afin :
- d’ajouter deux jours au vote par anticipation, pour un total de six jours;
- d’améliorer l’accès au vote pour les électeurs qui résident dans des établissements de soins de longue durée;
- de simplifier le processus de vote par bulletin spécial;
- de prévoir l’installation de bureaux permanents pour le vote dans des établissements d’enseignement postsecondaire;
- de donner aux électeurs qui ont besoin d’aide pour voter le droit d’être accompagnés par les personnes de leur choix pour les aider à marquer leur bulletin de vote.
Il convient de souligner que le projet de loi ne mettrait pas en œuvre deux des priorités qui avaient été établies dans l’Entente de soutien et de confiance, soit prolonger la « journée des élections » à trois jours de scrutin et permettre aux gens de voter à n’importe quel bureau de vote dans leur circonscription électorale. Ces priorités sont néanmoins abordées dans le projet de loi, lequel exige du directeur général des élections qu’il présente un rapport au président de la Chambre des communes sur la faisabilité de ces mesures, dans le but de les mettre en œuvre d’ici 2029.
Le directeur général des élections doit de surcroît présenter un rapport au président de la Chambre des communes faisant état :
- d’un processus permettant d’établir si un parti enregistré ou un parti admissible compte, parmi ses objectifs essentiels, la promotion de la haine envers un groupe identifiable de personnes;
- des conséquences proposées d’une telle détermination.
Infractions
Le projet de loi propose par ailleurs les modifications suivantes visant à élargir la portée de certaines dispositions touchant l’exécution de la Loi.
- Les infractions prévues actuellement à la Loi en matière de responsabilité stricte seraient élargies pour inclure l’acceptation de contributions faites en crypto-actifs ou sous la forme de mandats ou de produits de paiement ainsi que l’omission de remettre des contributions faites en crypto-actifs ou sous la forme de mandats ou de produits de paiement au directeur général des élections.
- L’usurpation d’identité ou la publication de matériel trompeur constituerait dorénavant une infraction, quel que soit la façon dont l’infraction a été commise, le lieu où elle a été commise ou le support utilisé.
- Le fait de perturber le déroulement d’une élection par l’utilisation non autorisée d’un ordinateur constituerait une infraction, tout comme le fait de faire ou de publier sciemment une fausse déclaration dans l’intention d’influencer les résultats d’une élection ou d’en perturber le déroulement.
- Un plus grand nombre de personnes et d’entités s’exposeraient à des sanctions en vertu de la Loi. Par exemple, participerait à la violation commise par une autre personne ou entité et en serait responsable toute personne ou entité qui, selon le cas :
- accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider cette autre personne ou entité à commettre la violation;
- l’encourage à commettre la violation;
- lui conseille de la commettre.
Lorsqu’une violation est commise par une entité, tous les dirigeants, administrateurs ou mandataires de celle-ci qui ont ordonné ou autorisé la violation, ou qui y ont consenti ou participé, seraient considérés comme des participants à la violation et seraient responsables de cette dernière. Il s’agit d’une modification importante qui aurait une incidence sur un large éventail de radiodiffuseurs, de médias et de plateformes de communication au Canada, que des poursuites soient engagées ou non contre des personnes ou entités ayant réellement commis une infraction.
- Le commissaire aux élections fédérales se verrait conférer des pouvoirs précis concernant le complot en vue de commettre une contravention à la Loi, la tentative de commettre une telle contravention, la complicité après le fait ou le conseil donné en vue de sa commission, afin de lutter contre l’ingérence étrangère dans les élections canadiennes.
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