Le 6 mars 2023, la Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») a publié les motifs de sa décision dans l’affaire Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario (Attorney General). Les juges majoritaires de la CAO ont invalidé les limites en matière de dépenses imposées par le gouvernement de l’Ontario à l’égard des annonces politiques de tiers. Selon eux, ces limites contreviennent à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »), lequel protège le droit de vote des citoyens ainsi que leur droit de participer utilement au processus électoral. Le gouvernement avait pourtant invoqué l’article 33 de la Charte, communément appelé la « clause nonobstant », mais les juges majoritaires ont rappelé que cette clause ne s’applique pas à l’article 3 de la Charte. La décision de la CAO aura une incidence importante sur les tentatives du gouvernement de réglementer les sommes que les tiers peuvent dépenser à des fins de publicité politique au cours d’une période électorale.
CONTEXTE
Avant les élections générales de 2018 en Ontario, le gouvernement avait apporté des modifications à la Loi sur le financement des élections (la « LFE ») qui imposaient notamment un plafond de 600 000 $ CA aux dépenses à des fins de publicité politique de tiers au cours de la période de six mois qui précède l’émission du décret de convocation des électeurs. En 2021, le gouvernement a de nouveau modifié la loi en faisant passer la période de dépenses plafonnées à 12 mois avant l’émission du décret, tout en maintenant le plafond à 600 000 $ CA (les « modifications à la LFE »).
Un groupe d’organismes de défense des droits, de syndicats et de particuliers a entrepris une contestation de la constitutionnalité des limites en matière de dépenses imposées par les modifications à la LFE. Ces limites ont été invalidées par la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour atteinte aux droits à la liberté d’expression en vertu de l’alinéa 2b) de la Charte (voir Working Families Ontario v. Ontario). Par la suite, le gouvernement a réintroduit les modifications à la LFE dans le projet de loi 307, Loi de 2021 visant à protéger les élections et à défendre la démocratie (la « LPEDD »), tout en invoquant la clause nonobstant afin d’empêcher une autre contestation de la constitutionnalité de ces dispositions en vertu de l’article 2 ainsi que des articles 7 à 15 de la Charte.
Les mêmes demandeurs ont contesté de nouveau la constitutionnalité des modifications en s’opposant à l’invocation de l’article 33 de la Charte par le gouvernement et en faisant valoir que les limites réintroduites contrevenaient à l’article 3 de la Charte. Le juge qui avait tranché la contestation fondée sur l’alinéa 2b) a été saisi de la nouvelle demande et s’est rangé du côté du gouvernement. Il a d’abord conclu que l’article 33 avait été invoqué de façon appropriée et ensuite que la réadoption des limites en matière de dépenses de publicité de tiers applicables à la période de 12 mois qui précède l’émission du décret de convocation des électeurs ne portait pas atteinte au droit de vote en vertu de l’article 3 de la Charte (voir Working Families Coalition (Canada) Inc. v. Ontario). Les demandeurs ont interjeté appel de la décision.
ANALYSE
La CAO a statué à l’unanimité que la Cour supérieure de justice avait raison de conclure que l’article 33 avait été invoqué à bon droit. Toutefois, la majorité des trois juges de la formation ont infirmé la décision du premier juge portant sur l’article 3 de la Charte. Selon les juges majoritaires, l’aspect informationnel du droit de vote, c’est-à-dire le droit d’être raisonnablement informé au sujet de tous les choix électoraux au moment de voter, était trop restreint en raison du plafonnement des dépenses et des périodes fixés dans la loi. Le droit de participer utilement au processus électoral, lequel est protégé à l’article 3 de la Charte, s’en trouvait donc affaibli.
Les juges majoritaires (soit les juges Zarnett et Sossin) ont déclaré que le juge de première instance a erré dans son analyse de l’article 3. D’abord, celui-ci n’a pas déterminé adéquatement si les restrictions avaient été « soigneusement adaptées » afin de s’assurer que les tiers soient en mesure d’acheminer leurs messages aux électeurs. Ensuite, les juges majoritaires ont statué que le juge de première instance a également erré en omettant de déterminer si les restrictions permettaient aux tiers de mener une « campagne d’information modeste ». Enfin, les juges majoritaires ont conclu que l’atteinte portée par le gouvernement à l’article 3 ne pouvait être justifiée en invoquant l’article 1 de la Charte puisque les limites ne constituaient pas une atteinte minimale et que les effets bénéfiques de celles-ci n’étaient pas proportionnels à la limitation des droits.
Dissident, le juge Benotto a déclaré que le juge de première instance n’a pas erré en concluant qu’il n’y avait pas d’atteinte à l’article 3, et que, pour sa part, il aurait rejeté l’appel.
POINTS À RETENIR
Les juges majoritaires ont déclaré que les dispositions législatives réadoptées ayant pour effet de prolonger la période de limitation des dépenses étaient invalides sur le plan constitutionnel et ont accordé une suspension d’un an à la déclaration d’invalidité afin de donner au gouvernement le temps d’adopter des dispositions législatives conformes à la loi.
Cette affaire est un bon exemple d’une tentative d’un gouvernement d’invoquer la clause nonobstant en réponse à une atteinte à la Charte, laquelle atteinte ne pouvant toutefois pas être soustraite à un examen en vertu de la Charte fondé sur d’autres motifs constitutionnels. Elle constitue un important rappel que les dispositions législatives qui font intervenir l’article 3 ne sont pas à l’abri d’un examen en vertu de la Charte même lorsque l’article 33 est invoqué par le législateur.
En outre, dans leurs motifs, les juges majoritaires soulignent l’importance de prendre en considération le mobile explicite ou implicite des dispositions contestées lorsqu’il s’agit d’évaluer si les adaptations à la législation ont été soigneusement élaborées en vertu de l’article 3 de la Charte. L’exposé des motifs des juges majoritaires suggère que les futures restrictions apportées aux dépenses de tiers dans la LFE devraient contrebalancer les limites apportées aux dépenses et aux périodes avec des mesures qui continueront de permettre aux tiers de mener une campagne d’information modeste pendant la période préélectorale.
Le gouvernement de l’Ontario a fait connaître son intention de porter la décision en appel.
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