Dans l’affaire Vento Motorcycles, Inc. v United Mexican States, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») a rejeté une demande d’annulation de sentence arbitrale (la « sentence ») rendue par un tribunal composé de trois arbitres. Cette demande était fondée sur un manquement à l’équité procédurale et des craintes raisonnables de partialité établis à l’égard de l’un des arbitres. La décision de la Cour donne d’utiles indications au sujet des circonstances dans lesquelles un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler une sentence arbitrale, même si la conduite d’un arbitre donne lieu à des craintes raisonnables de partialité.
Contexte
Le demandeur, Vento Motorcycles Inc. (« Vento »), est un fabricant de motocyclettes établi aux États-Unis qui vend et commercialise des motocyclettes par l’intermédiaire d’une coentreprise au Mexique.
Vento a entrepris une procédure d’arbitrage d’un différend opposant un investisseur et un État afin de contester le refus du Mexique d’accorder un traitement tarifaire à l’importation préférentiel en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain. Conformément aux règles applicables, les trois arbitres ont fourni aux parties une déclaration quant à leur indépendance et à leur impartialité. Les arbitres ont également reconnu leur obligation continue de divulguer toute circonstance qui pourrait conduire une partie à mettre en cause leur garantie d’indépendance.
Le tribunal arbitral a rendu sa sentence le 6 juillet 2020. Il a rejeté sur le fond, à l’unanimité, les demandes de Vento. Après le prononcé de la sentence, Vento a découvert que l’arbitre nommé par le Mexique (M. Perezcano) avait omis de divulguer des communications entre lui et des représentants du Mexique, y compris le principal conseiller juridique du Mexique, au sujet de la possibilité d’obtenir des nominations à titre d’arbitre potentiellement lucratives. Qui plus est, au cours de la procédure d’arbitrage, le Mexique a offert et accordé à M. Perezcano des nominations à des listes d’arbitres aux termes de deux différents accords commerciaux.
La décision de la Cour
Vento a demandé à la Cour d’annuler la sentence en s’appuyant sur deux motifs :
Vento n’a pas été en mesure de faire valoir ses moyens parce que le tribunal arbitral a refusé de permettre à un de ses témoins de témoigner en réponse à un enregistrement incomplet d’une conversation téléphonique présenté en preuve dans la duplique du Mexique;
il existait des craintes raisonnables de partialité de la part de M. Perezcano du fait que le Mexique avait offert des possibilités à celui-ci et que ces offres n’avaient pas été divulguées pendant que la procédure d’arbitrage était en cours.
Le 23 octobre 2023, la Cour a rejeté les deux motifs invoqués par Venta, ainsi que la demande de cette dernière.
Équité procédurale
La Cour a rejeté l’argument de Vento selon lequel celle-ci n’a pas été en mesure de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure d’arbitrage. En effet, la Cour a jugé qu’en refusant de permettre au témoin de Vento de témoigner au sujet de l’enregistrement, le tribunal arbitral n’avait pas été inéquitable. De plus, la sentence ne faisait pas mention de l’enregistrement et le tribunal arbitral n’avait pas émis de conclusions négatives au sujet de la crédibilité de ce témoin. Vento avait eu la possibilité de présenter des éléments de preuve substantiels et de faire valoir des arguments à l’appui de sa position sur toutes les questions tranchées par le tribunal arbitral. Par conséquent, la Cour a statué que Vento n’avait pas établi que la sentence devait être annulée pour des raisons d’équité. Vento avait donc été en mesure de faire valoir ses moyens.
Craintes raisonnables de partialité
La Cour a déterminé qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait qu’il est plus probable qu’improbable que M. Perezcano avait un penchant ou une prédisposition en faveur du Mexique lorsqu’il devait rendre sa décision dans le cadre de l’arbitrage. En se fondant sur l’incitatif que celui-ci avait de contenter le Mexique, du fait qu’il avait été informé de la possibilité qu’il obtienne des nominations à titre d’arbitre, la Cour a conclu que la conduite de M. Perezcano soulevait des craintes raisonnables de partialité.
Toutefois, la Cour a plutôt choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de ne pas annuler la sentence.Selon la Cour, les craintes raisonnables de partialité de la part de M. Perezcano n’ont pas entrainé une réelle iniquité ou injustice sur le plan pratique, car cette impartialité possible n’a pas influencé le raisonnement des deux autres arbitres. Les trois arbitres sont arrivés à la même conclusion et ont prononcé une sentence unanime.
Principaux points à retenir
Cette décision est un rappel important que, dans le cadre d’une procédure arbitrale, l’existence de lacunes en matière procédurale n’entrainera pas nécessairement l’annulation de la sentence par une cour de révision. Les tribunaux canadiens disposent toujours d’un pouvoir discrétionnaire leur permettant de refuser d’intervenir à l’égard d’une sentence arbitrale en l’absence de réelle iniquité ou injustice sur le plan pratique.
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