La Cour d’appel de l’Ontario (la « Cour ») a récemment fourni des orientations sur les recours intentés contre les administrateurs dans lesquels la levée du voile de la personnalité morale est demandée, ainsi que sur les recours en cas d’abus. Dans l’affaire FNF Enterprises Inc. v Wag and Train Inc. (l’« affaire FNF »), la Cour confirme la décision du tribunal inférieur de radier les allégations sur lesquelles était fondée une demande visant à lever le voile de la personnalité morale à l’égard d’une administratrice et autorise la poursuite d’un recours en cas d’abus.
L’affaire FNF porte sur un locataire commercial qui a abandonné les lieux loués avant la fin de la durée de son bail et omis de payer son loyer. Initialement, le propriétaire a intenté trois recours contre l’unique administratrice, dirigeante et actionnaire de l’ancien locataire. Les recours étaient fondés sur les allégations suivantes :
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la présence d’une ingérence dans les rapports contractuels (cette allégation a ensuite été abandonnée);
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le comportement de l’administratrice justifiait la levée du voile de la personnalité morale;
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l’administratrice s’était comportée d’une manière abusive qui contrevenait à la législation sur les sociétés applicable.
Le juge des requêtes a radié les trois allégations. En appel, toutefois, la Cour a autorisé la poursuite du recours en cas d’abus, mais a rejeté la demande relative à la levée du voile de la personnalité morale.
Lorsqu’il s’agit d’une requête en radiation, les faits allégués dans la déclaration sont considérés comme véridiques, à moins qu’il ne soit manifestement impossible de les prouver. Le critère devant être appliqué est donc celui de savoir s’il est évident et manifeste que chacune des demandes formulées par les demandeurs ne révèle aucune cause d’action raisonnable.
Demande relative à la levée du voile de la personnalité morale
Le principe selon lequel une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires, administrateurs, dirigeants et employés est fermement ancré dans le droit canadien. Ce principe de responsabilité limitée s’applique non seulement entre les sociétés et les actionnaires individuels, mais également entre les sociétés du même groupe et les filiales d’une société.
La Cour rappelle la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada voulant que pour que le voile de la personnalité morale puisse être levé, le requérant doit avoir convaincu le tribunal que :
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la société est complètement dominée et contrôlée, de sorte qu’elle n’est qu’une simple marionnette du propriétaire;
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du fait de ce contrôle et de cette domination, le propriétaire utilise la société pour masquer sa participation à un comportement frauduleux ou abusif ou se mettre à l’abri de toute responsabilité à l’égard de ce comportement.
Si les deux éléments de ce critère sont remplis, le voile de la personnalité morale peut être levé afin d’empêcher la personne ayant participé au comportement mis en cause de prétendre que la société est l’unique responsable de ce comportement.
La Cour confirme que le premier élément du critère exige non seulement la propriété ou le contrôle de la société, mais également une domination complète ou une utilisation abusive de la forme sociale. Le deuxième élément exige quant à lui l’existence d’un comportement frauduleux ou abusif, et que les responsabilités que les demandeurs cherchent à établir découlent de ce comportement.
En ce qui concerne le premier élément, la Cour statue que le simple fait qu’un administrateur ou un dirigeant ait décidé qu’une société devait violer un contrat ne constitue pas le type de comportement abusif qui justifierait la levée du voile de la personnalité morale. Cette règle s’applique lorsque l’administrateur ou le dirigeant ne pourrait pas être poursuivi pour le fait d’avoir incité la société à violer le contrat en question. Tant le tribunal de première instance que la Cour ont déclaré, en s’appuyant sur la jurisprudence établie, qu’une incitation à violer un contrat ne constitue pas une allégation valable dans les circonstances.
Le second volet du comportement visé concerne l’allégation de dépouillement de la valeur de la société. La Cour statue que les faits de l’affaire ne permettent pas d’établir le lien requis entre le comportement répréhensible allégué et la responsabilité recherchée grâce à la levée du voile de la personnalité morale.
En ce qui concerne le deuxième élément du critère, la Cour note que la société ayant conclu le bail n’a pas allégué une utilisation abusive de la forme sociale ou d’un écran servant à masquer un comportement frauduleux ou abusif. De fait, la société a exécuté le bail pendant de nombreuses années jusqu’à ce que les lieux loués soient abandonnés.
La Cour fait une distinction entre cette affaire et d’autres affaires dans le cadre desquelles les tribunaux ont levé le voile de la personnalité morale en raison de la proximité entre la responsabilité recherchée par le demandeur au moyen de la levée du voile de la personnalité morale et le comportement répréhensible d’un administrateur ayant donné naissance à cette responsabilité.
Recours en cas d’abus
Le recours en cas d’abus est soumis à deux exigences :
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le demandeur doit établir les attentes ayant été frustrées, selon lui, par le comportement en cause et démontrer que ces attentes étaient raisonnables;
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le demandeur doit établir que ces attentes raisonnables ont été frustrées par un comportement de la société constituant un abus, un préjudice injuste ou encore une omission injuste de tenir compte des intérêts d’un porteur de titres, d’un créancier, d’un administrateur ou d’un dirigeant.
Une responsabilité personnelle peut être imposée à un administrateur ayant eu un comportement abusif si :
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l’administrateur montre le degré requis de participation au comportement abusif pour que ce comportement puisse lui être attribué;
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l’imposition d’une responsabilité personnelle est pertinente compte tenu des circonstances.
Dans l’affaire FNF, l’administratrice avait prétendument dépouillé la société de ses actifs alors qu’elle exploitait activement son entreprise. Elle avait ensuite établi une entreprise semblable à un nouvel endroit et sous une dénomination différente. Cette situation se distingue du cas où une société est dissoute. La Cour souligne qu’un actionnaire d’une société a droit aux actifs de l’entreprise uniquement dans le cas où la société a été dissoute et que les créanciers impayés ont été payés.
La Cour conclut à l’existence d’une cause défendable quant au fait que l’administratrice aurait dépouillé la société de sa valeur dans le but d’éviter de payer les sommes dues aux termes du bail et que celle-ci avait utilisé abusivement les pouvoirs rattachés à la personne morale pour son propre bénéfice. Par conséquent, un recours en responsabilité personnelle constitue de toute évidence une façon équitable de régler la situation. La Cour refuse donc d’annuler le recours en cas d’abus.
Les recours visant à faire imposer une responsabilité à un administrateur au moyen de la levée du voile de la personnalité morale doivent surmonter de sérieux obstacles et sont souvent rejetés par les tribunaux. De leur côté, les recours en cas d’abus contre des administrateurs peuvent, s’ils sont bien plaidés, survivre à une requête en radiation. Cela étant, les demandeurs demeurent quand même vulnérables aux requêtes en jugement sommaire de leur recours ou dans le cadre d’un procès, puisqu’alors il ne s’agit pas pour les tribunaux de présumer que les faits allégués sont véridiques, comme dans le cas d’une requête en radiation, mais plutôt d’examiner soigneusement les éléments de preuve qui leur sont présentés.
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