L’expression « apocalypse du commerce de détail » a été créée à l’époque où l’on s’attendait à la disparition des commerces de vente au détail traditionnels en raison de la commodité sans pareille offerte par les différents types de commerce électronique, dont le magasinage en ligne. Au cours des dix dernières années, en réponse aux défis posés par la transformation du commerce de détail, de nombreux centres commerciaux ont tenté de se prémunir contre la place grandissante occupée par le commerce électronique au sein du marché en misant sur l’expérience en personne, notamment celle que procurent les salons de beauté, les salles de jeux électroniques, les cinémas et les restaurants. Or, la pandémie de COVID-19, ainsi que les mesures de confinement et de distanciation sociale qui en ont découlé, ont rendu toute expérience de vente au détail en personne difficile, pour ne pas dire impossible dans bon nombre de cas. Les subventions gouvernementales et les arrangements pris avec les propriétaires n’ont pu pallier entièrement les conséquences de ces mesures de santé publique sur les commerces de détail physiques. Depuis le début de la pandémie, plus de 40 cas d’insolvabilité de différentes envergures dans le secteur du commerce de détail se sont produits au Canada. Il ne fait donc guère de doute que ce secteur est particulièrement vulnérable à la pandémie et à la réglementation gouvernementale qui s’y rapporte.
L’émergence du variant Omicron à la fin de 2021 a freiné les plans d’un retour à un semblant de normalité. Récemment, les gouvernements ont néanmoins commencé à assouplir et à lever les mesures de restrictions sanitaires. Il reste à voir quelles seront les répercussions à long terme de la pandémie sur le comportement des consommateurs et les commerces de détail physiques, même une fois que le gouvernement n’imposera plus aucune restriction. Quoi qu’il en soit, le secteur du commerce n’est probablement pas au bout de ses peines, puisque l’arrêt des subventions gouvernementales liées à la pandémie, ainsi que la fin de l’indulgence des propriétaires et des prêteurs, pourraient entraîner d’autres difficultés.
Le présent bulletin se veut un sommaire d’importants cas d’insolvabilité survenus durant la pandémie et des principaux enjeux de nature juridique et commerciale qui y ont été soulevés. Certains de ces enjeux sont propres au contexte de la pandémie. D’autres, en revanche, fournissent plus précisément un aperçu de l’approche à long terme que pourraient adopter les tribunaux à l’égard de l’insolvabilité dans le domaine du commerce de détail, notamment lorsqu’il est question de parvenir à un équilibre parmi les intérêts parfois opposés des diverses parties prenantes, y compris les propriétaires, les prêteurs, les fournisseurs, les clients et les détaillants.
SURVOL DE CERTAINS CAS D’INSOLVABILITÉ DANS LE SECTEUR DU COMMERCE DE DÉTAIL ET DE LEURS PRINCIPAUX ENJEUX
Paiement du loyer pendant les périodes de confinement
Groupe Dynamite Inc. (500-17-058763-208)
Groupe Dynamite Inc. (« Groupe Dynamite ») est un détaillant de vêtements de mode établi à Montréal qui exerce ses activités sous les marques « Garage » et « Dynamite ».
Le 8 septembre 2020, Groupe Dynamite s’est placé sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada) (la « LACC ») en vertu d’une ordonnance initiale rendue par la Cour supérieure du Québec (la « Cour »). L’ordonnance initiale (en sa version modifiée) imposait une vaste suspension des procédures, ce qui empêchait que des ordonnances soient demandées par les créanciers de Groupe Dynamite, ou que de telles ordonnances soient appliquées, à l’égard de Groupe Dynamite ou de ses actifs. L’ordonnance initiale prévoyait aussi qu’aucune personne ayant fourni des biens, des services ou l’utilisation de biens loués à la suite de l’émission de l’ordonnance initiale ne pouvait se voir interdire d’en exiger le paiement.
En novembre 2020, en raison de la pandémie, les gouvernements de l’Ontario et du Manitoba ont émis des décrets ordonnant la fermeture des entreprises non essentielles. Groupe Dynamite a demandé au tribunal d’émettre une ordonnance le libérant de son obligation de payer le loyer postérieur au dépôt de sa demande visant sa restructuration (« post-dépôt ») dans les circonstances où sa capacité à utiliser les lieux qu’il louait était restreinte en raison de décrets gouvernementaux.
L’alinéa 11.01a) de la LACC a pour but de faire contrepoids à la vaste suspension de procédures en vertu de la LACC, en protégeant les droits des fournisseurs qui doivent travailler avec la société débitrice tout au long des procédures d’insolvabilité de cette dernière. Il prévoit qu’aucune ordonnance émise en vertu de l’article 11 de la LACC ne peut avoir pour effet d’empêcher une personne d’exiger que soient effectués sans délai les paiements relatifs à la fourniture de marchandises ou de services, ou à l’utilisation de biens loués ou faisant l’objet d’une licence (exception faite, notamment, des parties déclarées par le tribunal comme étant « fournisseurs essentiels »; de telles parties seraient alors tenues de fournir, sur crédit, des biens à la société débitrice, si une charge est ordonnée par le tribunal en faveur du fournisseur essentiel pour couvrir le paiement desdits biens, et si certains autres critères sont satisfaits).
Groupe Dynamite soutenait qu’il n’était pas en mesure d’exercer ses activités, et qu’il n’utilisait donc pas les biens qu’il avait loués. Selon lui, il ne devrait donc pas être tenu de payer un loyer pour ces biens, puisqu’il n’était pas en mesure de bénéficier des avantages économiques que lui procureraient ces biens. Quant à eux, les propriétaires de ces biens loués ont fait valoir que tant qu’il existait un bail véritable n’ayant pas été rompu, la société débitrice occupant les lieux loués les utilisait au sens de l’alinéa 11.01a) de la LACC. Les propriétaires soutenaient que, dans ce contexte, « l’utilisation » des biens loués signifiait que le propriétaire était exclu de la propriété et qu’il ne devrait pas lui être interdit d’exiger le paiement immédiat du loyer pour la propriété dont il ne pouvait prendre possession.
Dans sa décision rendue le 5 janvier 2021, la Cour a donné raison aux propriétaires, en statuant que l’ordonnance demandée par Groupe Dynamite opposerait l’interdiction prévue à l’alinéa 11.01a) de la LACC. Bien que la capacité de Groupe Dynamite d’exploiter ses boutiques au Manitoba et en Ontario fût limitée par les décrets gouvernementaux dans ces provinces, Groupe Dynamite utilisait néanmoins les biens loués au sens prévu à la LACC. Cette décision s’appuyait sur le choix de Groupe Dynamite de ne pas résilier les baux relatifs à ces boutiques, car ces dernières jouaient un rôle important dans le cadre de ses efforts de restructuration. Selon la Cour, Groupe Dynamite, ayant élu de procéder de cette manière, invoquait ainsi un droit de « possession unique » à l’égard des locaux en question, ce qui suffit pour déclencher l’application de l’alinéa 11.01a) de la LACC.
Le 15 septembre 2021, Groupe Dynamite a déposé une version modifiée de son plan d’arrangement et de transaction conjoint, laquelle a été approuvée par les créanciers de Groupe Dynamite le 30 septembre 2021, homologuée par le tribunal chargé de l’application de la LACC le 7 octobre 2021, et mise en œuvre le 13 octobre 2021.
Points à retenir : Diverses circonstances pourraient faire en sorte à l’avenir qu’un détaillant ne puisse utiliser l’ensemble de ses boutiques ou une partie de celles-ci. Or, lorsqu’une société débitrice choisit de ne pas résilier un bail immobilier, le fait de conserver son droit de possession unique à l’égard des lieux concernés suffit pour déclencher l’application de l’alinéa 11.01a) de la LACC, par suite de quoi, elle serait tenue de payer le loyer post-dépôt aux propriétaires de ces lieux.
Critères pour l’approbation de ventes préarrangées
Mountain Equipment Co-Operative (Re), 2020 BCSC 1586
La Coopérative Mountain Equipment (« MEC ») était une association coopérative de consommation canadienne qui vendait des vêtements et du matériel de plein air exclusivement aux consommateurs qui en devenaient membres. Généralement, les coopératives sont la propriété de leurs membres et sont gérées par ces derniers, et leurs profits sont réinvestis au sein de l’entreprise ou distribués aux membres.
Essentiellement en raison de la pandémie, MEC devait d’importantes sommes à des propriétaires par suite du report des loyers de ses boutiques fermées. De plus, elle n’était pas en mesure de rembourser en totalité sa facilité de crédit renouvelable de premier rang garantie par des actifs, laquelle venait à échéance le 30 septembre 2020.
En juin 2020, avant d’entamer toute procédure en vertu de la LACC, MEC a lancé un processus de vente ou de sollicitation d’investisseurs (le « PVSI ») avec l’appui de ses prêteurs. Le PVSI, qui a été mené par le conseiller financier de MEC, a donné lieu à une offre visant la presque totalité des actifs de la coopérative. Compte tenu des défis financiers auxquels MEC était confrontée, cette dernière a entrepris de conclure l’opération prévue au PVSI dans le cadre d’une procédure supervisée par le tribunal en vertu de la LACC.
Par conséquent, le 14 septembre 2020, MEC et sa filiale ont soumis avec succès une demande auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») pour être placées sous la protection de la LACC. MEC a indiqué que ses difficultés financières et la pandémie lui ont laissé peu d’autres choix que d’entamer des procédures en vertu de la LACC. À l’occasion de la nouvelle audition le 1er octobre 2020, MEC a demandé entre autres qu’une ordonnance soit émise approuvant la vente de la presque totalité de ses actifs conformément à une ordonnance d’approbation et de dévolution des actifs.
Plusieurs parties ont demandé le report de la demande de MEC pour cette ordonnance. Au nombre de ces parties figuraient deux des propriétaires de boutiques où MEC exerçaient ses activités et dont les baux devaient être résiliés dans le cadre de la vente envisagée. Selon les parties demandant ce report, MEC se prévalait de la LACC de façon inappropriée pour faire approuver une opération de vente-achat découlant d’un processus s’étant déroulé sans la supervision et l’approbation de la CSCB, et sans consultation des parties prenantes de MEC.
MEC a fait valoir qu’elle avait entamé le PVSI avant toute procédure en vertu de la LACC afin de maintenir la stabilité de ses activités et d’éviter toute perturbation potentielle de ses opérations. La vente proposée prévoyait le remboursement de la totalité des sommes dues aux prêteurs de MEC et le maintien en poste de la majorité des employés de cette dernière. La vente accorderait également à MEC des fonds supplémentaires à l’appui d’un plan en vertu de la LACC qui prévoyait une distribution à des créanciers non garantis, y compris les propriétaires de ses boutiques.
La CSCB a fait valoir les facteurs à prendre en considération en vertu du paragraphe 36(3) de la LACC relativement à toute vente et a conclu qu’une approche de « vente préarrangée » ne présentait rien de mal en soi. Elle a conclu que le PVSI constituait un processus concurrentiel, mené de façon juste et raisonnable, pour permettre à MEC de sonder adéquatement le marché pour les options qui lui étaient disponibles. Le PVSI avait été structuré et mis en œuvre de la même manière que ce qui est habituellement attendu dans le cadre d’une procédure en vertu de la LACC, ou d’une manière similaire. La vente était raisonnable sur le plan commercial et plus avantageuse pour les parties prenantes de MEC que toute autre solution. La CSCB a émis l’ordonnance d’approbation et de dévolution des actifs selon les modalités demandées.
MEC exerce désormais ses activités sous forme d’entreprise à but lucratif traditionnelle, se spécialisant dans la vente de vêtements et de matériel de plein air.
Points à retenir : Les sociétés débitrices cherchent à conclure des opérations de « vente préarrangée » parce que ces dernières sont plus rapides à réaliser et plus avantageuses que les arrangements sans solution proposée. De telles opérations permettent également à la société débitrice de communiquer la certitude de la transaction à ses parties prenantes et au marché en général, qui, dans le cas des détaillants, comprend les propriétaires de lieux concernés ainsi que les fournisseurs et les clients de la société débitrice. Les tribunaux approuvent généralement les opérations de « vente préarrangée » qui sont raisonnables sur le plan commercial et qui sont le résultat d’un processus équitable et concurrentiel conforme à ceux approuvés par les tribunaux dans le cadre de procédures en vertu de la LACC.
McEwan Enterprises Inc., 2021 ONSC 6878
McEwan Enterprises Inc. (« MEI ») est une société bien connue, fondée par Mark McEwan, un chef canadien de renom. MEI regroupe des restaurants, une entreprise de services de traiteur, une épicerie fine et une entreprise événementielle.
Le 28 septembre 2021, MEI a entamé des procédures en vertu de la LACC devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour ») en raison de ses problèmes de liquidités, lesquels se sont aggravés avec les répercussions considérables de la pandémie sur le secteur de la restauration. Le 1er octobre 2021, MEI a déposé une demande visant l’approbation d’une opération proposée (l’« opération proposée ») conclue le jour précédant le début des procédures en vertu de la LACC.
Aux termes de l’opération proposée, MEI transférerait la presque totalité de ses actifs et de ses passifs à une nouvelle entité (l’« acheteur ») qui serait la propriété des actionnaires actuels de MEI, y compris Mark McEwan.
L’opération proposée prévoyait également que toutes les obligations dites « normales » seraient prises en charge par l’acheteur, à l’exception des baux de deux commerces non rentables de MEI. Par conséquent, l’opération proposée visait à éliminer le passif lié aux baux de ces deux commerces. Bien que l’un des propriétaires de ces lieux ait été en mesure de négocier un règlement avec MEI avant la tenue des procédures, l’autre (le « propriétaire opposé ») n’a pas été en mesure de faire de même et s’est donc opposé à l’opération proposée. Le propriétaire opposé a par ailleurs présenté une solution de rechange (l’« opération de rechange »), laquelle prenait essentiellement la même forme que l’opération proposée. Aux termes de l’opération de rechange, le propriétaire opposé deviendrait lui-même l’acheteur et prendrait en charge le bail du commerce concerné. De plus, l’opération de rechange serait soumise à une condition relative à la vérification diligente.
Le contrôleur (soit l’officier de justice nommé par le tribunal, chargé de superviser les procédures et de faire rapport au tribunal et aux créanciers) a noté que, même si l’opération de rechange semblait être plus avantageuse sur le plan financier que l’opération proposée, cet avantage comportait des facteurs de risque, y compris la condition relative à la vérification diligente et le fait que Mark McEwan et d’autres membres clés du personnel n’étaient pas prêts à accepter des offres d’emploi du propriétaire opposé aux termes de l’opération de rechange. Le contrôleur a donc recommandé l’opération proposée.
La Cour a finalement refusé d’approuver l’opération proposée au motif qu’elle ne répondait pas aux exigences prévues au paragraphe 36(4) de la LACC, lesquelles viennent s’ajouter aux exigences prévues au paragraphe 36(3) lorsque la disposition des actifs est faite en faveur d’une personne qui est liée à la société débitrice. Si la disposition des actifs vise une personne liée à la société débitrice, le tribunal ne peut autoriser l’opération que s’il est convaincu :
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d’une part, que les efforts voulus ont été faits pour disposer des actifs en faveur d’une personne qui n’est pas liée à la société;
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d’autre part, que la contrepartie offerte pour les actifs est plus avantageuse que celle qui découlerait de toute autre offre reçue dans le cadre du projet de disposition.
Dans sa décision datée du 28 octobre 2020, le juge en chef Morawetz a conclu que ni l’un, ni l’autre de ces critères n’avait été satisfait. Pour ce qui est du paragraphe 36(4)a), MEI a reconnu qu’aucun effort n’avait été déployé pour vendre les actifs concernés à des personnes qui ne sont pas liées à la société. Bien que l’opération proposée ne satisfît pas à la première exigence, la Cour s’est penchée sur le paragraphe 36(4)b). Le propriétaire opposé constituait l’unique créancier touché dans le cadre des procédures en vertu de la LACC. MEI a convenu que, dans le cadre d’une procédure de mise sous séquestre ou de faillite, le propriétaire opposé recevrait la même contrepartie que celle à laquelle il aurait droit aux termes de l’opération proposée (soit un paiement au comptant correspondant au montant maximal auquel il aurait droit en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada) (la « LFI »). La Cour a accordé une attention particulière au terme « plus avantageuse » du paragraphe 36(4)b), pour ensuite conclure que l’opération proposée ne prévoyait donc pas une contrepartie plus avantageuse et ne pouvait donc pas être approuvée.
Le 16 décembre 2021, MEI et le propriétaire opposé ont convenu d’un sommaire des modalités exécutoire aux fins du règlement des questions en litige à la satisfaction mutuelle des parties. Compte tenu du règlement consensuel parvenu par les parties à l’égard des obligations locatives de MEI et des perspectives améliorées de cette dernière, il n’était plus nécessaire pour MEI d’aller de l’avant avec l’opération proposée. MEI a donc mis fin à ses procédures en vertu de la LACC le 31 décembre 2021.
Points à retenir : Un détaillant peut se prévaloir de la LACC pour négocier stratégiquement ses passifs futurs liés à ses baux, ou à une partie de ces derniers. L’un des avantages de conclure une vente en vertu de la LACC est que l’acheteur peut, de façon générale, choisir les passifs qu’il souhaite exclure de l’acquisition et ceux qu’il choisit de prendre en charge. Les passifs désavantageux relatifs aux baux peuvent certainement être désignés comme des passifs exclus et un acheteur qui est une partie liée au vendeur peut ainsi se prévaloir des avantages d’une procédure en vertu de la LACC. Cependant, la LACC établit clairement que dans le cadre d’une vente à une partie liée, la contrepartie doit être « plus avantageuse » que celle qui découlerait de toute autre offre et les efforts voulus doivent avoir été faits pour vendre les actifs, ou disposer de ces derniers, en faveur d’une personne qui n’est pas liée à la société. Les parties, y compris les détaillants, doivent prendre en considération ces exigences lorsqu’elles cherchent à faire approuver une vente à une partie liée.
Ordonnances de dévolution inversée
Comark Holdings Inc., (CV-20-00642013-00CL)
En 2020 et en 2021, le recours aux ordonnances de dévolution inversée (« ODI ») comme instrument pour faciliter les ventes fondées sur l’hypothèse de continuité d’exploitation s’est accru. Une ODI permet le transfert de passifs et d’actifs non voulus depuis une société débitrice vers une entité nouvellement constituée (ou une filiale existante) avant le transfert des actions de la société débitrice existante à l’acheteur. Il en résulte ainsi que tout passif et tout actif non voulus par l’acheteur potentiel peuvent être retirés de l’entité faisant l’objet de l’acquisition, et ce, sans vote des créanciers. Cet instrument est utilisé plus fréquemment dans les secteurs hautement réglementés où les licences et permis émis par des autorités gouvernementales ne sont pas facilement transférables dans le cadre d’une acquisition d’actifs. Il existe toutefois un exemple d’une ODI ayant été utilisée pour faciliter l’acquisition d’un détaillant en 2020.
Comark Holdings Inc. (« Comark ») est un détaillant spécialisé dans les vêtements de mode qui exerce ses activités sous les marques Ricki’s, Cleo et Bootlegger.
Le 3 juin 2020, Comark et certains membres de son groupe (les « demandeurs ») ont demandé et obtenu la protection contre leurs créanciers en vertu de la LACC auprès de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour »). Le 11 juin 2021, les demandeurs ont obtenu l’approbation d’un processus de vente ou de sollicitation d’investisseurs (« PVSI »).
À la suite de cette approbation, les demandeurs ont négocié avec succès des baux révisés pour 281 de leurs 310 boutiques. Ce faisant, ils ont obtenu certaines concessions économiques et ont pu faire apporter des modifications nécessaires à leurs baux à l’appui de la restructuration de leurs activités.
La seule offre reçue visant l’acquisition de l’entreprise de Comark ou un investissement auprès de celle-ci dans le cadre du PVSI provenait de la société mère de Comark (la « société mère »). Le 7 juillet 2020, la société mère et les demandeurs ont conclu une convention d’achat (la « convention d’achat »), structurée sous forme d’offre basée sur créance par laquelle se réaliserait une vente d’actions. Cette structure avait pour avantage principal de conserver les attributs fiscaux dont bénéficiait Comark pour les activités futures de cette dernière. La préservation de ces attributs permettrait par ailleurs à l’entité issue de la restructuration des demandeurs de réclamer des remboursements d’impôt, renforçant ainsi leurs flux de trésorerie pro forma. Ces attributs fiscaux n’auraient pas été transférables à l’acheteur si l’opération avait été structurée sous forme de vente d’actifs traditionnelle.
Les demandeurs ont demandé l’approbation de la convention d’achat par le biais d’une ODI, laquelle prévoyait que, avant la conclusion de l’opération, certains biens, certaines conventions, certains passifs des demandeurs, ainsi que certains grèvements et réclamations concernant ces derniers, seraient transférés à une nouvelle société de portefeuille qui serait une filiale de la société mère (la « société exclue »). À la suite de la conclusion de l’opération, les procédures en vertu de la LACC visant les demandeurs prendraient fin. Les demandeurs fusionneraient ensuite avec la société mère, et la société exclue serait mise en faillite par le contrôleur.
L’ODI a été émise sans opposition le 13 juillet 2020. La société exclue a été mise en faillite le 20 août 2020 et, le jour même, la Cour a mis fin aux procédures en vertu de la LACC engagées par Comark.
Points à retenir : Depuis l’émission de l’ODI en juillet 2020 dans le cadre de l’affaire susmentionnée, la Cour a abordé de nouveau la question des ODI dans l’affaire Harte Gold. Elle y a établi par ailleurs des lignes directrices additionnelles à l’égard des ODI, notamment sur les circonstances dans lesquelles une ODI devait être émise. Dans l’affaire Harte Gold, la Cour s’est penchée sur les différentes solutions de rechange viables autres que l’ODI s’offrant à une société débitrice, et sur les possibles répercussions économiques relatives d’une ODI sur les parties prenantes par rapport aux autres solutions de rechange. Le mécanisme de l’ODI est utile dans le cas de l’insolvabilité de détaillants, notamment en vue d’effectuer la vente d’une société débitrice tout en conservant de précieux attributs, tels que les pertes fiscales dont peut bénéficier l’acheteur. Cependant, à la suite de l’affaire Harte Gold, les opérations assorties d’une ODI dans le secteur du commerce de détail feront sans doute l’objet d’un examen plus minutieux, et ce, même si l’affaire va de l’avant sans opposition.
Reconnaissance d’instances étrangères
AllSaints USA Limited (CV-20-00642683-00CL)
L’une des tendances cernées par des analystes pendant la pandémie était le souhait pour certains détaillants de passer d’un modèle de loyer mensuel fixe à un modèle par lequel un pourcentage des profits générés par une boutique serait partagé avec le propriétaire de cette dernière pour satisfaire aux obligations de loyer du détaillant locataire. Un tel modèle a pour avantage évident l’allègement du fardeau du loyer durant les périodes de confinement et d’achalandage réduit. AllSaints Group a tenté d’adopter ce modèle dans le cadre d’un processus de restructuration multiterritorial coordonné.
Fondée en 1994 et ayant son siège social dans l’est de Londres, au Royaume-Uni, AllSaints Group est une société qui se spécialise dans les vêtements de mode contemporaine. Ses activités principales sont la conception, la fabrication et la vente de vêtements, de chaussures et d’accessoires en Amérique du Nord, en Europe et en Asie.
En raison de la pandémie, AllSaints Group avait accumulé d’importants arriérés de loyer. Ses obligations liées à ses baux étaient devenues insoutenables, car la société ne pouvait générer des revenus dans bon nombre de ses boutiques physiques.
En guise de solution à ses difficultés financières courantes, AllSaints USA Limited (« ASUSA ») a entamé une procédure d’arrangement volontaire d’entreprise (Company Voluntary Arrangement ou « CVA ») au Royaume-Uni le 17 juin 2020. Une instance anglaise de CVA est un processus permettant à une société de conclure un arrangement avec ses créanciers non garantis à l’égard de ses passifs et de ses obligations pour l’avenir envers de tels créanciers. Fait à noter, un CVA n’exige pas qu’une entente soit conclue avec tous les créanciers non garantis d’une société. En effet, une société assujettie à une procédure de CVA peut ne proposer un CVA qu’à certains de ses créanciers.
Pour donner effet à un CVA, 75 % ou plus (en valeur) de tous les créanciers ayant un droit de vote doivent voter en faveur de celui-ci et il ne faut pas que plus de 50 % de tous les créanciers sans lien de dépendance ayant un droit de vote se prononcent contre le CVA. Une fois le CVA approuvé par les majorités requises, il devient exécutoire, mais toute partie qui avait le droit de voter à son égard peut s’adresser à la Haute Cour de l’Angleterre et du Pays de Galles, dans les délais prescrits, pour s’y opposer en se fondant sur certains motifs énumérés.
En l’espèce, l’objectif général du CVA entrepris par ASUSA consistait à restaurer la viabilité financière d’ASUSA essentiellement au moyen des mesures suivantes : (i) conclure une transaction à l’égard de la totalité des arriérés de loyer dus par ASUSA; et (ii) modifier les modalités des paiements pour l’avenir aux termes de la quasi-totalité des baux d’ASUSA de manière à établir un modèle de loyer basé sur un pourcentage des profits au lieu d’un modèle de loyer mensuel fixe.
Les propriétaires concernés par le CVA d’ASUSA comprenaient ceux situés au Canada et aux États-Unis. Par conséquent, le CVA d’ASUSA devait être reconnu par un tribunal canadien en vertu de la partie IV de la LACC, ainsi que par un tribunal américain en vertu du chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis. La partie IV de la LACC prévoit qu’un représentant étranger peut demander à un tribunal canadien de reconnaître une « instance étrangère » dans le cadre de laquelle il a qualité. Si le tribunal canadien est convaincu que la procédure en question vise une « instance étrangère », il doit préciser s’il s’agit d’une instance étrangère principale ou secondaire. Une instance étrangère principale est une instance étrangère qui a lieu dans le pays où la société débitrice a ses principales affaires.
Le processus visant à reconnaître et à donner effet au CVA au Canada comportait deux étapes devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « Cour »). En premier lieu, le représentant étranger désigné à l’égard du CVA (le « représentant étranger ») a demandé la reconnaissance de l’instance anglaise de CVA en tant qu’instance étrangère principale, puisqu’ASUSA exerçait ses affaires principales au Royaume-Uni.
Pour satisfaire le test de reconnaissance, le représentant étranger a notamment dû convaincre la Cour que le CVA n’allait pas à l’encontre de l’ordre public au Canada. Le représentant étranger n’avait pas à démontrer qu’un redressement identique (c.-à-d., la capacité de modifier à l’avenir des modalités de location) est prévu dans la législation canadienne en matière d’insolvabilité, mais il devait plutôt démontrer au tribunal canadien que le redressement demandé n’était pas incompatible avec les règles qui sous-tendent cette législation.
À cet égard, il a été souligné que l’instance anglaise de CVA a été menée conformément à une procédure bien établie, qui se compare aux procédures prévues par la LFI relativement à l’approbation d’une proposition et qui est compatible avec ces procédures. En outre, le représentant étranger a fait valoir que la reconnaissance du CVA d’ASUSA n’était pas contraire à l’ordre public puisqu’ASUSA est une société du Royaume-Uni, qui est assujettie à une instance au Royaume-Uni aux termes de laquelle la restructuration des obligations contractuelles d’une société pour l’avenir est non seulement permise, mais aussi monnaie courante. Un volet d’une importance critique était le fait que les locateurs conservaient leurs droits de résiliation leur permettant de mettre fin au bail, à certains intervalles de temps prescrits, si le bail révisé ne leur convenait pas. Par conséquent, les locateurs gardaient le contrôle ultime de leur avenir économique et commercial.
Il a donc été avancé que le CVA était au mieux des intérêts des créanciers canadiens et qu’il procurerait le meilleur résultat possible comparativement au résultat d’une liquidation éventuelle pour les créanciers canadiens. Une preuve a également été présentée à la Cour démontrant que la liquidation serait le résultat vraisemblable si le CVA n’était pas mis en œuvre.
Le 6 juillet 2020, la Cour a reconnu le CVA et lui a donné pleinement effet au Canada. À la même date, la reconnaissance a également été accordée au CVA en vertu du chapitre 15 aux États-Unis. Ces reconnaissances ont permis de remplir la dernière condition préalable clé à la prise d’effet du CVA entrepris par ASUSA, qui a eu lieu le 6 juillet 2020.
Points à retenir : Bon nombre de détaillants exercent leurs activités dans plusieurs territoires, habituellement par l’intermédiaire de diverses filiales, mais également parfois en tant qu’entités uniques, comme c’est le cas pour AllSaints Group. Dans un cas comme dans l’autre, la LACC prévoit un mécanisme souple pouvant être utilisé efficacement à titre de complément à des instances étrangères. La Cour a confirmé que même si un redressement particulier prévu aux termes d’une instance étrangère peut en principe différer du redressement prévu aux termes du régime canadien d’insolvabilité, une instance étrangère peut être reconnue lorsque, en substance, son effet juridique n’est pas contraire à l’ordre public canadien.
Pour en savoir davantage au sujet de cette affaire, consultez notre Bulletin Blakes de décembre 2020 intitulé AllSaints USA : Première reconnaissance au Canada d’un arrangement volontaire d’entreprise du Royaume-Uni.
CAS D’INSOLVABILITÉ DANS LE SECTEUR DU COMMERCE DE DÉTAIL DURANT LA PANDÉMIE
Voici, à notre connaissance, à la liste complète des cas d’insolvabilité qui ont eu lieu au Canada dans le secteur du commerce de détail durant la pandémie de COVID-19 :
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FHC Enterprises
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Kahunaverse Sports Group
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1348441 Ontario Inc. (exerçant ses activités sous Solutions, Your Organized Living Store)
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McArthur Furniture
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Entreprises Cranbrook Glen
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Le Groupe Aldo
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Reitmans (Canada) Limitée
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Sail Plein Air/Sail Outdoors Inc.
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Comark Group
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AllSaints USA Limited
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Modasuite Inc.
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GNC Holdings
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Scholar’s Choice
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Lucky Brand Dungarees Canada
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Davids Tea
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Mendocino
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Tristan
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Bô Bébé
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ANN Canada Inc.
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Stokes Inc.
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S. Cohen
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Laura’s Shoppe Inc.
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Chico’s FAS Canada, Co
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Vêtements pour hommes Moores Corp.
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SFP Canada Ltd.
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Entreprises Ernest
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Geox Canada Inc.
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Groupe Dynamite
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Brooks Brothers Group Inc.
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Coopérative Mountain Equipment
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9214-8154 Quebec Inc. (exerçant ses activités sous Okaidi Canada)
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Swimco Aquatic Supplies Ltd. et Swimco Partnership
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Le Château Inc.
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Directions East Retail Ltd.
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Haggar Canada Direct Co.
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Studio Black Suede Inc.
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Boutique Tristan & Iseut Inc.
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Change of Scandinavia Canada Retail Inc.
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0932292 B.C. Ltd. (exerçant ses activités sous CELLICON)
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1465770 Alberta Ltd. (exerçant ses activités sous Westlake Husky)
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2104678 Ontario Inc. (exerçant ses activités sous Yorkdale Hardwood Flooring Centre)
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McEwen Enterprises Inc.
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YA-SEEN 19 ENTERPRISES INC. (exerçant ses activités sous Buck or Two Plus!)
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