En 2022, plusieurs décisions judiciaires d’importance pour les prêteurs commerciaux, les entreprises et les professionnels de l’insolvabilité ont été rendues d’un bout à l’autre du Canada. Le présent rapport résume les faits saillants de ces décisions et les grandes questions abordées dans chacune d’elles, puis fournit une mise à jour sur les affaires dont il a été question dans notre Bulletin Blakes de mai 2022 intitulé Principaux développements dans la jurisprudence canadienne en matière d’insolvabilité portant sur l’année 2021.
Le présent bulletin traite des affaires et des sujets suivants :
Intitulé de l’affaire |
Sujet |
Tribunal |
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Interruption des délais de prescription |
Cour supérieure de justice de l’Ontario |
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Pandion Mine Finance Fund LP v. Otso Gold Corp., 2022 BCSC 136 |
Mise sous séquestre d’une société sans préavis |
Cour suprême de la Colombie-Britannique |
Contestation de cas de défaut |
Cour d’appel de la Colombie-Britannique |
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Ordonnances de dévolution inversée |
Cour supérieure de justice de l’Ontario |
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Interprétation de la règle du pari passu et de la règle anti-privation |
Cour d’appel de l’Ontario |
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Doctrine de l’attribution d’un acte à une société |
Cour d’appel de l’Ontario |
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Doctrine de l’attribution d’un acte à une société |
Cour d’appel de l’Ontario |
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White Oak Commercial Finance, LLC v. Nygard Holdings, 2022 MBQB 48 |
Regroupement de patrimoines |
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Obligations en matière d’abandon et de remise en état par rapport à des privilèges de la construction |
Cour d’appel de l’Alberta |
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Orphan Well Association v. Trident Exploration Corp., 2022 ABKB 839 |
Obligations en matière d’abandon et de remise en état par rapport à des réclamations visant des taxes municipales |
Cour du Banc du Roi de l’Alberta |
Ontario Securities Commission v. Bridging Finance Inc., 2022 ONSC 1857 |
Devoir de retenue à l’égard des décisions d’un séquestre dans le cadre d’un processus de vente |
Cour supérieure de justice de l’Ontario |
Grant Thornton Limited et al. v. 1902408 Ontario Ltd., 2022 ONSC 2011 |
Taxes foncières municipales et ordonnances d’approbation et de dévolution |
Cour supérieure de justice de l’Ontario |
Médiation et procédures engagées en vertu de la LACC |
Cour suprême de la Colombie-Britannique |
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Traitement de réclamations par action collective dans le cadre de procédures en vertu de la LACC |
Cour d’appel de l’Ontario |
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Lieu des principales affaires de la société débitrice |
Cour supérieure de justice de l’Ontario |
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Clauses d’arbitrage dans les procédures d’insolvabilité |
Cour d’appel de l’Ontario |
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Clauses d’arbitrage dans les procédures d’insolvabilité |
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Compensation antérieure ou postérieure à l’ouverture de procédures |
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Compensation antérieure ou postérieure à l’ouverture de procédures |
Cour d’appel du Québec |
Interruption des délais de prescription
Carillion Canada Holdings Inc. et al. (Re), 2022 ONSC 66
Date de la décision : 10 janvier 2022
La Cour supérieure de justice de l’Ontario (la « CSJO ») s’est penchée sur les répercussions d’une ordonnance d’interruption des délais de prescription rendue dans le contexte de procédures engagées en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») et visant des réclamations de tiers contre une société débitrice.
En janvier 2018, Carillion Canada Inc. (« Carillion ») s’est placée sous la protection de la LACC. À l’époque, des procédures intentées contre Carillion sans le consentement du contrôleur et de celle-ci, ou sans la permission de la CSJO, faisaient l’objet d’une suspension. Or, le 13 janvier 2020, Carillion a obtenu de la CSJO une ordonnance d’interruption des délais de prescription, laquelle prolongeait certains délais de prescription, de la date de l’ordonnance jusqu’à l’expiration de la période de suspension des procédures. Au moment où cette ordonnance a été prononcée, Carillion avait déjà mené un processus de traitement des réclamations approuvé par un tribunal et la date limite des réclamations était passée depuis longtemps.
Le 29 mai 2020, soit avant l’expiration du délai de prescription applicable à sa réclamation, Weinrich Holdings Inc. (« Weinrich ») a déposé une déclaration à l’encontre de Carillion alléguant des dommages causés à des locaux loués à cette dernière. Weinrich n’a toutefois pas demandé le consentement de Carillion ou du contrôleur nommé par le tribunal ni n’a demandé la permission du tribunal avant de déposer sa déclaration.
Le 27 octobre 2020, donc après l’expiration du délai de prescription applicable à sa réclamation, Weinrich a demandé au contrôleur de consentir à la levée de la suspension des procédures, ce que le contrôleur a refusé. Weinrich a alors déposé une requête dans le cadre de la procédure en vertu de la LACC qui visait à obtenir une ordonnance (i) déclarant que tout délai de prescription applicable à sa poursuite contre Carillion était interrompu du fait de l’ordonnance d’interruption des délais de prescription, et (ii) levant la suspension des procédures afin de l’autoriser à présenter sa réclamation.
Weinrich a invoqué les dispositions de l’ordonnance d’interruption des délais de prescription selon lesquelles les délais en question étaient interrompus à l’égard des réclamations visant l’ensemble des actifs, des engagements et des biens actuels et futurs ainsi que l’entreprise de Carillion. Weinrich a soutenu que l’ordonnance d’interruption des délais de prescription s’appliquait à sa réclamation contre Carillion puisque cette dernière visait à la fois les actifs, les engagements, les biens ainsi que l’entreprise de Carillion. Weinrich n’a pas déposé de preuve de réclamation dans le cadre de la procédure de réclamation.
La CSJO a statué que l’interprétation d’une ordonnance judiciaire s’apparente à l’interprétation d’une loi. Les tribunaux doivent donc examiner le sens ordinaire des mots utilisés dans l’ordonnance ainsi que le contexte de cette dernière et le but de celle-ci. Par conséquent, la CSJO a étudié l’ordonnance, y compris le préambule de celle-ci, et établi que son contexte ainsi que son but renvoyaient clairement aux réclamations de Carillion et d’autres demandeurs en vertu de la LACC contre des tiers, plutôt qu’à des réclamations contre Carillion et d’autres demandeurs en vertu de la LACC. Ainsi, si le but visé par les dispositions de l’ordonnance avait été d’étendre la portée de celle-ci à tous les délais de prescription applicables à toutes les réclamations possibles contre Carillion en général, le libellé des dispositions aurait été explicite à cet égard. De plus, l’ordonnance ne s’appliquait qu’aux prescriptions ou aux délais qui pouvaient expirer pendant que la procédure en vertu de la LACC était en cours. Or, l’entreprise de Carillion avait été vendue en juillet 2018, de sorte qu’en janvier 2020, lorsque l’ordonnance a été rendue, la réclamation de Weinrich ne visait pas les biens actuels et futurs de Carillion ni l’entreprise de Carillion qui existait à l’origine.
Weinrich n’a pas non plus réussi à démontrer un fondement, un contexte ou une raison permettant d’avancer qu’une interruption générale de tous les délais de prescription applicables à toutes les réclamations de tiers contre Carillion aurait été dans l’intérêt des demandeurs en vertu de la LACC ou d’autres parties intéressées en général. Compte tenu du processus de traitement des réclamations et des dates limites des réclamations, il n’était pas possible de dégager un avantage quelconque pour les demandeurs, le contrôleur ou les parties intéressées des demandeurs en général d’une éventuelle interruption des délais de prescription applicables aux réclamations de tiers contre les demandeurs.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Une ordonnance d’interruption des délais de prescription (y compris la portée de celle-ci) sera interprétée de la même façon que s’il s’agissait d’une loi. Un libellé visant à interrompre un délai de prescription doit être explicite et clair. Un consentement relatif au dépôt d’une réclamation ou à l’interruption d’un délai de prescription doit être obtenu de la société débitrice ou d’un officier de justice avant l’expiration du délai de prescription. Si un tel consentement n’est pas accordé, il faut s’adresser au tribunal pour obtenir une permission à cet égard.
Nomination d’un séquestre sans le préavis de dix jours prévu par la loi
Pandion Mine Finance Fund LP v. Otso Gold Corp., 2022 BCSC 136
Date de la décision : 28 janvier 2022
La Cour suprême de la Colombie-Britannique (la « CSCB ») a été saisie d’une demande pour la nomination d’un séquestre en vertu de l’article 243 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») relativement à une société faisant l’objet d’une procédure sous le régime de la LACC. Or, le préavis de dix jours requis par la loi et annonçant l’intention de mettre à exécution une garantie en vertu de l’article 244 de la LFI n’avait pas été donné à la société débitrice.
Otso Gold Corp. (« Otso ») est une société canadienne propriétaire d’une mine d’or en Finlande. La mine était le seul actif substantiel d’Otso. Otso a produit de l’or à la mine entre novembre 2018 et mars 2019, puis brièvement en novembre et décembre 2021. Elle a ensuite mis fin à ses activités en raison d’un fonds de roulement insuffisant.
Pandion Mine Finance Fund LP et certaines autres parties (collectivement, les « requérantes ») étaient les seuls créanciers garantis d’Otso. Personne ne contestait le fait qu’Otso était en défaut à l’égard d’un prêt et n’était pas en mesure de payer les requérantes.
Au début de décembre 2021, Otso a demandé et obtenu d’être à l’abri de ses créanciers en vertu de la LACC. En janvier 2022, les requérantes ont déposé une demande dans le cadre de la procédure sous le régime de la LACC pour faire lever la suspension des procédures visant Otso et pour désigner le contrôleur nommé par le tribunal en tant que séquestre d’Otso.
En réponse, Otso a invoqué le fait que les requérantes ne pouvaient se prévaloir de l’article 243 de la LFI puisque celles-ci ne lui avaient pas donné le préavis prévu à l’article 244 de la même loi.
De leur côté, les requérantes ont fait valoir que la nomination d’un séquestre était appropriée dans les circonstances et que les tribunaux ne sont pas liés par le délai de préavis de dix jours. En effet, l’alinéa 243(1.1)b) de la LFI prévoit la nomination d’un séquestre avant l’expiration du délai de préavis s’il est indiqué de le faire.
La CSCB a analysé l'objectif du préavis de dix jours en vertu de la LFI, qui est de fournir à une société débitrice la possibilité de négocier et de réorganiser ses affaires avant qu’un séquestre soit nommé. L’alinéa 243(1.1)b) prévoit un abrègement du délai de dix jours afin de reconnaître l’existence de circonstances dans lesquelles il pourrait être indiqué dans l’immédiat que les tribunaux accordent une telle mesure. Ainsi, l‘exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’alinéa 243(1.1)b) doit tenir compte des facteurs suivants :
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la mesure dans laquelle le but visé par l’exigence relative au préavis de dix jours s’applique;
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la possibilité que cette exigence cause un préjudice aux requérantes;
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la possibilité que la renonciation à cette exigence cause un préjudice à Otso.
La CSCB a conclu qu’Otso n’était pas en mesure de rembourser les requérantes et que la situation n’aurait pas changé si Otso avait reçu un préavis de dix jours avant que la demande soit entendue. Le délai de préavis de dix jours prévu par la loi n’aurait donc été qu’une formalité. De plus, la CSCB a conclu qu’Otso et ses parties prenantes ne subiraient pas de préjudice si un séquestre était nommé sans préavis. Par conséquent, il était approprié d’abréger le délai de préavis et de nommer le séquestre dans les circonstances.
État : Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
L’alinéa 243(1.1)b) permet au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de renoncer au délai de préavis de dix jours si celui-ci juge qu’il est approprié de nommer un séquestre avant l’expiration du délai. Pour exercer son pouvoir discrétionnaire, le tribunal évaluera la mesure dans laquelle le but visé par l’exigence relative au préavis de dix jours s’applique ainsi que la possibilité que tant les créanciers à l’origine de la demande de nomination d’un séquestre que les défendeurs subissent un préjudice. Lorsque la remise d’un préavis ne procurerait aucun avantage à la société insolvable ou à ses parties prenantes, et qu’elle ne serait donc qu’une formalité, le tribunal peut abréger le délai, voire renoncer à la remise du préavis.
Contestation de cas de défaut
Ward Western Holdings Corp. v. Brosseuk, 2022 BCCA 32
Date de la décision : 31 janvier 2022
Ward Western Holdings Corp. (« Ward Western ») et Westrike Resources Ltd. (« Westrike ») (collectivement, les « appelants ») ont fait appel de la nomination d’un séquestre par la CSCB à l’égard de leurs actifs en invoquant le fait qu’ils contestaient vigoureusement la prétendue existence de cas de défaut.
En septembre 2020, à la suite de divers cas de défaut de la part de Ward Western, les intimés dans le cadre de l’appel ont demandé à Ward Western de rembourser la totalité de la dette impayée. Ils ont également demandé qu’un séquestre soit nommé à l’égard des actifs de Ward Western, y compris les actions que celle-ci détenait dans Westrike. Les appelants ont contesté la nomination du séquestre ainsi que l’existence de certains cas de défaut. La CSCB a éventuellement rejeté les objections des appelants et accepté les arguments des intimés à l’appui de la nomination d’un séquestre. Les appelants ont obtenu par la suite la permission de porter en appel la décision relativement à la nomination du séquestre.
En appel, les appelants ont fait valoir entre autres que la CSCB avait erré en nommant un séquestre alors que les cas de défaut allégués étaient vigoureusement contestés sur la base d’éléments de preuve contradictoires et inconciliables. Les appelants ont proposé que, compte tenu des circonstances, les questions factuelles soient examinées à nouveau dans le cadre d’un procès, à moins que le tribunal ne soit en mesure de résoudre le différend en se fondant sur des éléments de preuve crédibles.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la « CACB ») a statué que, même lorsqu’une dette sous-jacente fait l’objet d’un litige, un séquestre peut être nommé s’il existe une preuve qu’un préjudice grave pourrait se produire ou que les droits d’un créancier de recouvrer le montant de sa créance et de réaliser sa garantie pourraient être en péril. La CACB a pris en compte plusieurs facteurs pour en arriver à sa décision, y compris (i) la préservation et la protection des biens jusqu’au moment de la décision judiciaire; (ii) la question de savoir si une nomination par le tribunal est nécessaire pour permettre au séquestre de s’acquitter plus efficacement de ses fonctions; et (iii) la probabilité de maximiser le résultat pour les parties.
La CACB a établi qu’un certain nombre de cas de défaut non contestés avaient été soumis à la CSCB, soit :
- le fait que les sommes contestées par les appelants étaient en réalité des dettes en bonne et due forme que ceux-ci n’avaient pas remboursées;
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le fait que les appelants n’avaient toujours pas réglé des honoraires juridiques et de consultation plusieurs mois après que ceux-ci eurent été engagés et que cela constituait clairement une source de préoccupation;
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l’existence d’une preuve selon laquelle les actifs donnés en garantie aux termes de diverses conventions conclues entre les parties constituaient également une source de préoccupation.
La CSCB a conclu que le comportement des appelants pouvait suggérer que ceux-ci n’avaient pas l’intention d’exploiter la mine Westrike de façon ouverte et transparente ni de s’acquitter de leurs diverses obligations. Le juge de première instance pouvait donc conclure, comme il l’a fait, que la nomination d’un séquestre serait dans l’intérêt de la justice et ferait avancer les choses. La CACB a donc rejeté le recours des appelants.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Un séquestre peut être nommé lorsque des dettes sous-jacentes font l’objet d’un différend, lorsqu’il existe des cas de défaut non contestés et lorsqu’il existe une preuve selon laquelle un préjudice grave pourrait se produire ou que le droit d’un créancier de recouvrer le montant de sa créance pourrait être en péril. Quant à la question du contrôle en appel, la décision d’ordonner la nomination d’un séquestre est fondée sur le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance. La cour d’appel doit faire preuve de retenue en examinant le bien-fondé de cette décision. Or, dans cette affaire, les appelants n’ont pas réussi à démontrer que le juge de première instance avait commis une erreur de principe lorsqu’il a exercé son pouvoir discrétionnaire.
Ordonnances de dévolution inversée
Harte Gold Corp. (Re), 2022 ONSC 653
Date de la décision : 4 février 2022
La CSJO a examiné les facteurs pertinents pour l’approbation d’une ordonnance de dévolution inversée (une « ODI ») et a fourni des éclaircissements à cet égard.
Le 7 décembre 2021, Harte Gold Corp. (« Harte Gold »), une société ouverte qui exploite une mine aurifère dans le nord de l’Ontario, a demandé la protection contre ses créanciers en vertu de la LACC.
À la suite d’un processus de vente approuvé par un tribunal, Harte Gold a conclu une convention de souscription avec son principal créancier garanti. Aux termes de la convention de souscription, le prix d’achat des actions de Harte Gold devait être réglé principalement au moyen d’une offre fondée sur une créance. La convention de souscription prévoyait l’utilisation d’une ODI dans le cadre de laquelle l’acheteur obtiendrait la totalité des capitaux propres en circulation de Harte Gold alors que certains actifs, contrats et passifs seraient transférés à une société nouvellement constituée. Les parties ont choisi de recourir à une ODI pour permettre à l’acheteur de conserver les nombreux permis, licences et concessions minières de Harte Gold.
Harte Gold a demandé à la CSJO d’approuver l’opération par voie d’ODI. La CSJO a énoncé un certain nombre de questions à se poser lorsqu’il s’agit d’approuver une demande d’ODI :
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pourquoi une ODI est-elle nécessaire dans les circonstances particulières d’une affaire?
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est-ce que la structure d’une ODI aboutira à un résultat économique au moins aussi favorable qu’une autre solution viable?
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est-ce qu’une partie prenante risque de se trouver dans une situation plus difficile par suite de l’utilisation de l’ODI qu’elle ne le serait à la suite d’une solution de rechange viable?
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est-ce que la contrepartie payée pour acquérir les activités de la société débitrice reflète l’importance et la valeur des licences et des permis (ou autres actifs incorporels) préservés grâce à l’ODI?
Au bout du compte, la CSJO a conclu que l’opération par voie d’ODI était nécessaire et appropriée dans les circonstances, notamment parce que (i) le processus ayant mené à l’opération était raisonnable; (ii) l’opération était une meilleure solution qu’une faillite et se traduirait par une valeur de récupération plus élevée pour les parties prenantes; (iii) tous les créanciers importants avaient été consultés (iv) l’opération serait bénéfique pour les créanciers et les autres parties intéressées; (v) la contrepartie prévue dans le cadre de l’opération (y compris les permis et les licences) était suffisante; et (vi) la structure de l’ODI présentait des risques limités relativement à la clôture. En outre, sans le recours à cette opération, le transfert des permis et des licences de Harte Gold aurait pu être retardé, ce qui aurait pu entraîner des coûts importants.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
La décision rendue dans l’affaire Harte Gold apporte des précisions essentielles sur les facteurs dont un tribunal doit tenir compte avant d’approuver une ODI. Elle souligne l’utilité des ODI comme moyen de faciliter les restructurations lorsque les circonstances s’y prêtent et confirme la compétence des tribunaux chargés de l’application de la LACC d’approuver des ODI. Malgré son caractère utile, une ODI demeure un recours exceptionnel qui, selon les tribunaux, ne devrait pas être utilisé par simple souci de commodité. Les parties cherchant à procéder à une restructuration par la voie d’une ODI devraient tenir compte des questions et des facteurs mentionnés par la CSJO, et garder à l’esprit que les circonstances doivent justifier le caractère approprié d’une telle ordonnance.
Pour en savoir davantage et obtenir une analyse plus détaillée de cette décision, consultez notre Bulletin Blakes d’août 2022 intitulé Sous la surface : explorer l’affaire Harte Gold et l’avenir des ordonnances de dévolution inversée.
Interprétation de la règle du pari passu et de la règle anti-privation
Urbancorp Toronto Management Inc. (Re), 2022 ONCA 181
Date de la décision : 3 mars 2022
La Cour d’appel de l’Ontario (la « CAO ») s’est penchée sur les circonstances dans lesquelles la règle du pari passu et la règle anti-privation s’appliquent. La règle du pari passu interdit les dispositions contractuelles visant à permettre à des créanciers d’obtenir plus que leur juste part dans le cadre de l’insolvabilité d’une contrepartie. Quant à elle, la règle anti-privation protège les créanciers en rendant nulles les dispositions contractuelles qui réduisent la valeur à laquelle ils auraient autrement eu droit dans le cadre de l’insolvabilité d’un débiteur.
En 2016, le groupe de sociétés Urbancorp (le « groupe Urbancorp ») a entamé des procédures sous le régime de la LACC. King Towns North Inc. « (KTNI ») avaient loué des terrains à certaines entités du groupe Urbancorp, lesquelles étaient des parties liées à KTNI. Les paiements de loyer aux termes du bail représentaient un montant symbolique, bien en deçà de la valeur du bail sur le marché, ce qui faisait de celui-ci un actif de valeur. Le bail comprenait une disposition stipulant qu’en cas de cession de bail, KTNI avait droit à toute « valeur » raisonnablement attribuable à l’attrait représenté par l’emplacement du bien loué ou aux améliorations locatives lui appartenant (la « disposition relative à la cession de bail »). La disposition relative à la cession de bail permettait également au propriétaire de récupérer, lors d’une cession de bail, la valeur d’un bail dont la valeur est inférieure à la valeur marchande.
Malgré l’objection de KTNI, le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC a approuvé la vente de certains actifs liés aux locaux loués. L’intérêt du groupe Urbancorp sur le bail faisait partie des actifs vendus. Aux termes de l’ordonnance, la cession était libre de toute obligation de paiement à KTNI qui aurait pu découler de la disposition relative à la cession de bail. Le contrôleur a saisi le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC d’une motion en vue d’obtenir des directives quant à la distribution du produit de la vente de certains actifs et a recommandé que la somme attribuée au bail soit distribuée au groupe Urbancorp plutôt qu’à KTNI.
La question fondamentale que devait trancher le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC était de savoir si la disposition relative à la cession de bail violait la règle du pari passu ou la règle anti-privation. Le juge a conclu que la règle du pari passu n’était pas concernée puisque la disposition réservait la valeur de la cession de bail à KTNI, n’accordait pas de préférence à KTNI par rapport à d’autres créanciers et ne modifiait pas le plan de distribution entre les créanciers. Quant à la règle anti-privation, elle ne s’appliquait pas non plus puisque l’application de la disposition relative à la cession de bail n’était pas déclenchée par une insolvabilité ou une faillite. Le juge a donc ordonné au contrôleur de distribuer les fonds attribués au bail et de les rendre disponibles aux fins de distribution à KTNI. Le représentant étranger d’Urbancorp Inc. a demandé la permission de porter la décision en appel.
La CAO a confirmé la décision du juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC et rejeté la motion en autorisation d’interjeter appel. Pour en arriver là, la CAO s’est fondée sur le précédent établi par la Cour suprême du Canada (la « CSC ») dans l’arrêt Chandos Construction Ltd. c. Restructuration Deloitte Inc. et a déterminé que la règle anti-privation ne s’applique pas lorsque l’effet de la disposition contractuelle en cause est déclenché par un événement autre que l’insolvabilité ou la faillite. La CAO a noté que la doctrine s’applique lorsque des éléments sont retirés de l’actif en cas de faillite ou d’insolvabilité. C’est la cession du bail qui a déclenché l’application de la disposition relative à la cession de bail, et non l’insolvabilité du groupe Urbancorp. Par conséquent, cette disposition pouvait être exécutée en l’espèce.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
La règle anti-privation ne s’applique pas aux dispositions dont l’application est déclenchée par des événements autres que la faillite ou l’insolvabilité.
Doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société
Deux arrêts de la CAO, soit les décisions rendues dans les affaires Aquino et Golden Oaks, ont examiné la doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société dans un contexte d’insolvabilité. Dans l’affaire Aquino, l’application de cette doctrine a servi à protéger des créanciers et a été autorisée par la CAO. Dans l’affaire Golden Oaks, toutefois, la CAO a déterminé que son application priverait l’actif du failli de fonds et a donc choisi de ne pas appliquer cette doctrine. Dans les deux cas, l’autorisation d’interjeter appel devant la CSC a été accordée et la CSC entendra les deux affaires dans le cadre d’une même instance le 5 décembre 2023.
Ernst & Young Inc. v. Aquino, 2022 ONCA 202 (l’« affaire Aquino »)
Date de la décision : 10 mars 2022
La CAO s’est penchée sur les circonstances dans lesquelles l’intention frauduleuse d’un dirigeant d’une société sera attribuée à la société dans son ensemble.
John Aquino était l’âme dirigeante de Bondfield Construction Company Limited (« Bondfield ») et d’un membre du même groupe que celle-ci, Forma-Con Construction (« Form-Con » et, avec Bondfield, les « sociétés »). Lui et ses associés (les « dirigeants ») avaient monté un stratagème fondé sur de fausses factures qu’ils ont utilisé entre avril 2014 et avril 2019. Dans le cadre de ce stratagème, des fournisseurs présentaient de fausses factures aux sociétés pour des travaux n’ayant jamais été effectués. Les dirigeants ont ainsi détourné des dizaines de millions de dollars des sociétés à leur profit pendant les cinq années ayant précédé l’insolvabilité des sociétés.
Le contrôleur de Bondfield, nommé par le tribunal, de même que le syndic de faillite de Forma-Con ont attaqué le stratagème fondé sur les fausses factures et réclamé le recouvrement des fonds en s’appuyant sur l’article 96 de la LFI et l’article 36.1 de la LACC. Ces dispositions portent sur les opérations sous-évaluées, soit des opérations pour lesquelles la société débitrice a reçu une contrepartie qui est manifestement inférieure à la juste valeur marchande à l’intérieur d’une certaine période avant l’ouverture de la faillite. Compte tenu de la période pendant laquelle le stratagème a été utilisé, les seules opérations pouvant être mises en cause dans cette affaire étaient celles où (i) le cessionnaire avait un lien de dépendance avec le débiteur, et (ii) le débiteur avait l’intention de frauder ou de frustrer un créancier ou d’en retarder le désintéressement.
Les dirigeants ont reconnu le fait que les opérations visées par le stratagème n’avaient procuré aucune valeur aux sociétés. Ils ont toutefois fait valoir que les sociétés étaient suffisamment solides et saines sur le plan financier pour survivre aux fraudes et que, par conséquent, l’intention de frustrer les créanciers ne pouvait être établie.
La CSJO a rejeté les arguments présentés par les dirigeants, imputé l’intention frauduleuse des dirigeants aux sociétés et établi que les opérations effectuées par les sociétés au profit des dirigeants étaient des opérations sous-évaluées.
Les dirigeants ont interjeté appel de la décision de la CSJO. La CAO a rejeté les arguments des dirigeants et déclaré que la juge de première instance n’avait pas erré en déterminant que « l’intention du débiteur » aux termes de l’article 96 peut s’entendre de l’intention d’un particulier exerçant un contrôle de la société, peu importe si ce particulier avait l’intention de frustrer la société en tant que telle ou non. La CAO a rejeté les appels avec dépens.
La CAO s’est appuyée sur le critère en deux étapes ci-après, lequel a été établi par la CSC dans les arrêts Canadian Dredge and Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 RCS 662 (l’« arrêt Dredge ») et Deloitte & Touche c. Livent Inc. (Séquestre de), 2017 RCS 63 (l’« arrêt Livent ») :
- l’auteur de la faute doit être l’âme dirigeante de la société;
- les actes fautifs de l’âme dirigeante ne doivent pas excéder son pouvoir.
La CAO a toutefois noté que le critère établi dans l’arrêt Livent n’avait pas encore été appliqué dans le contexte de l’insolvabilité. La CAO a donc recadré ce critère en fonction d’un tel contexte. Selon la CAO, la question sous-jacente est celle de savoir qui, entre les fraudeurs et les créanciers, devait assumer la responsabilité des actes frauduleux de l’âme dirigeante d’une société, lesquels actes ont été commis sans que l’âme dirigeante excède son pouvoir?
Le fait de permettre que des fraudeurs tirent un bénéfice aux dépens de créanciers aurait pour effet de pervertir la justice. La façon d’éviter cet effet pervers consiste à attribuer les intentions frauduleuses des dirigeants aux sociétés afin de réaliser l’objectif social de l’article 96 de la LFI, à savoir fournir un redressement approprié aux créanciers.
État :
Le 19 janvier 2023, la CSC a accordé la permission de porter cette décision en appel. L’appel sera entendu le 5 décembre 2023.
Points à retenir :
Le critère établi dans l’arrêt Livent demeure la norme à respecter lorsqu’il s’agit d’appliquer la doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société dans le contexte de l’insolvabilité. L’intention du débiteur dont il est question à l’article 96 de la LFI peut être établie à partir de l’intention de particuliers exerçant le contrôle de la société et agissant sans excéder leur pouvoir. Toutefois, dans le contexte présenté par des procédures d’insolvabilité, le critère de l’arrêt Livent doit être pris en compte à la lumière de l’intérêt public sous-jacent et de la question de savoir si, dans l’hypothèse où la doctrine ne serait pas appliquée, les créanciers devraient assumer la responsabilité des actes frauduleux commis par l’âme dirigeante de la société.
Golden Oaks Enterprises Inc. v. Scott, 2022 ONCA 509 (l’« arrêt Golden Oaks »)
Date de la décision : 4 juillet 2022 (motifs supplémentaires publiés le 28 juillet 2022)
La CAO a examiné la possibilité d’appliquer la doctrine relative à l’attribution d’un acte à une société dans le contexte d’une tentative d’un syndic de faillite de recouvrer des sommes perdues dans le cadre d’une combine à la Ponzi mise en place par le dirigeant d’une société en faillite, lequel était le seul membre de la société en question.
Golden Oaks Enterprises Inc. (« Golden Oaks ») avait été fondée par Joseph Gilles Jean Claude Lacasse (« Lacasse »). Lacasse en était également le dirigeant et l’âme dirigeante. Entre 2009 et 2013, Golden Oaks a convaincu plusieurs investisseurs de lui prêter des fonds pour de courtes périodes en contrepartie de billets à ordre à taux d’intérêt élevés. Les fonds provenant des investisseurs les plus récents servaient à financer l’intérêt et les commissions versés aux premiers investisseurs et initiés. Alors que la situation financière de Golden Oaks se détériorait, celle-ci a commencé à émettre des billets à ordre à un taux d’intérêt supérieur à 60 %, soit le taux d’intérêt criminel. La combine s’est effondrée en 2013. Golden Oaks et Lacasse ont été mis sous séquestre et, peu après, les deux ont fait cession de leurs biens en faillite.
En 2016, le syndic a déposé une motion en jugement sommaire visant 17 actions contre des particuliers et des sociétés à qui Golden Oaks avait fait des paiements en 2012 et 2013, notamment des versements de commissions et d’intérêts sur des billets à ordre. Selon le syndic, les défendeurs devaient notamment rembourser les versements de commissions et d’intérêts selon le principe de l’enrichissement sans cause. Le syndic a fait valoir qu’il n’existait aucun motif juridique à l’appui des paiements faits aux défendeurs, lesquels avaient servi à enrichir les défendeurs aux dépens de Golden Oaks.
En Ontario, la Loi de 2002 sur la prescription des actions prévoit qu’en général, sous réserve de certaines exceptions, un demandeur doit intenter son recours dans les deux ans suivant la découverte des faits donnant naissance à sa réclamation. Par conséquent, les défendeurs ont soutenu que les demandes fondées sur l’enrichissement sans cause étaient prescrites puisque les paiements effectués par Golden Oaks remontaient à plus de deux ans avant l’introduction de l’instance du syndic. Pour prouver que Golden Oaks était au courant des faits allégués, les défendeurs devaient démontrer que la connaissance des faits par le dirigeant, Lacasse, devait également être attribuée à Golden Oaks selon la doctrine de l’attribution d’un acte à une société. En outre, le syndic, en sa qualité d’ayant cause de Golden Oaks, était réputé avoir la même connaissance des faits que Golden Oaks. La prescription applicable à Golden Oaks devait donc aussi être appliquée à l’égard de celui-ci.
De son côté, le syndic soutenait que la doctrine de l’attribution d’un acte à une société ne devait pas être appliquée dans le contexte d’une combine à la Ponzi.
Lors du procès, la CSJO a appliqué le critère établi par la CSC dans l’arrêt Dredge et a conclu que la doctrine de l’attribution d’un acte à une société s’applique lorsqu’il est clair que les actes commis par l’âme dirigeante d’une société n’étaient pas complètement frauduleux envers la société et avaient en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la société. Par conséquent, la connaissance d’une âme dirigeante posant des gestes dans le cadre de son pouvoir sera imputée à une société, à moins que cette personne agisse uniquement pour son propre avantage et contrairement aux intérêts de la société.
En appliquant ces principes, la CSJO a conclu que la doctrine s’appliquait puisque Lacasse n’avait pas agi uniquement pour son propre avantage. En effet, une bonne partie des fonds acquis au moyen de la combine à la Ponzi avaient été utilisés pour payer d’autres investisseurs ainsi que pour régler les frais liés à l’exploitation de la société, à l’achat, à la rénovation et aux réparations d’immeubles ainsi qu’à l’administration et à la publicité de la société.
En appel, la CAO s’est fondée sur l’arrêt Dredge, dans sa version modifiée par l’arrêt Livent. La CAO a noté que, dans l’arrêt Livent, la CSC a reconnu que les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’appliquer la doctrine de l’attribution d’un acte à une société dans les circonstances où il ne serait pas dans l’intérêt public de le faire. La CAO a déterminé que la juge de première instance avait erré en omettant de tenir compte du pouvoir discrétionnaire reconnu dans l’arrêt Livent, et qu’il existait des raisons solides en matière d’intérêt public pour ne pas appliquer la doctrine en l’espèce puisqu’une telle application serait faite aux dépens de créanciers de l’actif de la société en faillite. En outre, dans cette affaire, l’application de la doctrine irait à l’encontre de l’objectif fondamental du droit de l’insolvabilité, à savoir le partage équitable des actifs entre les créanciers. Qui plus est, l’application de la doctrine de l’attribution d’un acte à une société permettrait aux appelants d’éviter les conséquences d’avoir perçu de l’intérêt à des taux criminels et priverait le syndic d’un recours civil au profit de l’ensemble des créanciers légitimes. Les règles relatives à l’attribution d’un acte à une société ne s’appliquaient donc pas et les mesures prises par le syndic n’étaient pas non plus prescrites.
État :
Le 30 mars 2023, la CSC a accordé la permission de porter cette décision en appel. L’appel sera entendu le 5 décembre 2023.
Points à retenir :
Lorsque le fait d’appliquer la doctrine de l’attribution d’un acte à une société ne serait pas dans l’intérêt public et priverait l’actif d’un failli de fonds au bénéfice des créanciers, les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire de s’abstenir d’appliquer cette doctrine.
Regroupement de patrimoines
White Oak Commercial Finance, LLC v. Nygard Holdings, 2022 MBQB 48
Date de la décision : 10 mars 2022
La Cour du Banc de la Reine du Manitoba (la « CBRM »), comme elle s’appelait alors, s’est penchée sur les circonstances appropriées pour ordonner un regroupement de patrimoines, c’est-à-dire les actifs et les passifs d’un groupe d’entités liées. La CBRM a déterminé qu’en l’espèce, suivant les principes juridiques applicables, la prépondérance des intérêts penchait en faveur d’une ordonnance de regroupement de patrimoines.
Un séquestre avait été nommé à l’égard des actifs, des entreprises et des biens de neuf entités canadiennes et américaines liées (le « groupe Nygard »). Le séquestre a demandé que soit rendue une ordonnance de regroupement de patrimoines à l’égard des actifs et des passifs du groupe Nygard afin que les actifs et les passifs des entités soient traités comme des actifs et des passifs communs. Ainsi, les réclamations des créanciers visant des membres individuels du groupe Nygard deviendraient des réclamations contre l’ensemble du groupe Nygard. Deux membres du groupe Nygard, soit Nygard Enterprises Ltd. (« NEL ») et Nygard Properties Ltd. (« NPL »), ont contesté la demande du séquestre en faisant valoir que certains de leurs actifs étaient détenus en propriété exclusive et ne devraient pas être visés par les réclamations des créanciers d’autres membres du groupe Nygard. NPL a également invoqué le fait qu’elle était solvable, riche en actifs et créancier garanti des autres membres du groupe.
La CBRM a précisé que l’ordonnance de regroupement de patrimoines est un recours extraordinaire puisqu’un préjudice pourrait être causé aux créanciers garantis par rapport à d’autres créanciers, y compris des créanciers chirographaires. Se fondant sur les jugements Redstone Investment Corp. (Re) et Basic v. Millenium Educational & Research Charitable Foundation, la CBRM a établi que le critère applicable aux regroupements de patrimoines exige une évaluation des intérêts des parties concernées. Pour ce faire, la CBRM a tenu compte des sept facteurs suivants militant en faveur d’un regroupement et décrits dans la décision Redstone :
-
la difficulté de séparer les actifs;
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l’existence d’états financiers consolidés;
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l’efficacité résultant d’un regroupement en une seule entité;
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le regroupement d’actifs et de fonctions opérationnelles;
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l’unité d’intérêts dans la propriété;
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l’existence de garanties de prêts intersociétés;
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des transferts d’actifs sans que les formalités établies par les sociétés aient été observées.
Après avoir évalué le poids de chaque facteur, le tribunal a conclu que le groupe Nygard, y compris NPL et NEL, exploitait une entreprise commune qui bénéficiait d’un mode d’exploitation centralisé. Le préjudice que subiraient NPL et NEL ne l’emportait pas sur le bénéfice pour les employés, les propriétaires, les fournisseurs et les autorités fiscales qui étaient des créanciers du groupe Nygard. Par conséquent, il a été jugé qu’il était juste et raisonnable d’ordonner un regroupement de patrimoines.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Un regroupement de patrimoines continue d’être un recours extraordinaire qui sera accordé uniquement lorsque la preuve permettra d’établir que les entités débitrices exploitent une entreprise commune. Le préjudice pouvant être subi par les créanciers tiers si une ordonnance de regroupement de patrimoines devait être rendue demeure un facteur important lorsqu’il s’agit d’évaluer si une telle ordonnance est appropriée.
Différend sur l’ordre de priorité : obligations en matière d’abandon et de remise en état par rapport à d’autres réclamations
Les tribunaux continuent de se pencher sur l’interprétation et la portée de la décision que la CSC a rendue dans l’affaire Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd. (l’« affaire Redwater ») quant au traitement et à l’ordre de priorité des réclamations environnementales dans le cadre de procédures d’insolvabilité. Les décisions Manitok et Trident ci-après traitent toutes les deux de la portée de l’ordre de priorité des obligations environnementales qui s’appliquent aux producteurs de pétrole et de gaz.
Manitok Energy Inc. (Re), 2022 ABCA 117 (l’« affaire Manitok »)
Date de la décision : 30 mars 2022
Manitok Energy Inc. (« Manitok ») était une société pétrolière et gazière devenue insolvable et faisant l’objet d’une procédure de mise sous séquestre. Au moment de son insolvabilité, Manitok détenait certains actifs de valeur et d’autres sans valeur en raison d’obligations inhérentes en matière d’abandon et de remise en état (les « obligations de fin de vie »). Par ailleurs, avant l’insolvabilité de Manitok, deux privilèges dans le domaine de la construction avaient été déposés à l’égard de certains de ses sites de puits pétroliers et gaziers de valeur.
La Cour d’appel de l’Alberta (la « CAA ») s’est penchée sur l’interprétation et l’application de l’arrêt Redwater de la CSC. La CAA s’est demandé si le produit tiré de la vente d’actifs de valeur devait être utilisé pour l’exécution des obligations de fin de vie applicables aux actifs sans valeur auxquels le séquestre avaitrenoncé, en priorité sur les deux privilèges déposés à l’égard des actifs vendus.
En première instance, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (la « CBRA »), comme elle s’appelait à l’époque, a examiné le passage de l’arrêt Redwater laissant entendre que les actifs étrangers au fait ou au dommage lié à l’environnement ne peuvent être assujettis à l’ordre de priorité établi dans l’arrêt Redwater. La CBRA a déterminé que les actifs vendus à un tiers n’étaient pas liés aux actifs auxquels le séquestre avait renoncé et qu’ils faisaient l’objet d’ordonnances d’abandon rendues par l’Alberta Energy Regulator (l’« AER »). La CBRA a également souligné le fait que le produit tiré de la vente était détenu en fiducie par le séquestre, sous réserve de l’ordonnance d’approbation et de dévolution des actifs (l’« OADA ») en l’espèce, préservant ainsi les droits des titulaires de privilège à l’égard du produit. Par conséquent, la CBRA a tranché en faveur des titulaires de privilège.
La CAA a infirmé la décision de la CBRA et a conclu que l’interprétation de l’expression « actifs étrangers » (assets unrelated) par la CBRA viderait de son sens l’arrêt Redwater. Si le produit tiré de la vente d’actifs de valeur ne pouvait être affecté à l’exécution d’obligations liées à des actifs étrangers, cela reviendrait à dire que jamais un tel produit ne pourrait être affecté à l’exécution d’obligations de fin de vie. La CAA a également précisé que la conversion d’actifs en espèces avant qu’une ordonnance d’exécution soit rendue par l’AER ne change rien à son analyse.
La CAA a noté que le fait que le séquestre détenait le produit tiré de la vente en fiducie ne créait pas de droits d’une portée supérieure en faveur de créanciers conformément à leurs priorités. Le seul but de la fiducie du séquestre était la préservation des actifs au bénéfice des créanciers et non le reclassement des priorités de ces derniers. Par conséquent, le séquestre devait exécuter les obligations de fin de vie en priorité sur les réclamations relatives aux privilèges de la construction.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Cette décision donne des précisions sur l’interprétation du droit dans l’arrêt Redwater concernant les obligations de fin de vie. L’exigence d’exécuter une obligation de fin de vie est une obligation inhérente à l’actif qui s’applique peu importe l’existence ou le moment d’une mesure d’application de la loi par l’autorité de réglementation. Le placement de fonds dans un compte en fiducie ne modifie pas l’ordre de priorité établi ni ne crée de nouvelles priorités.
Orphan Well Association v. Trident Exploration Corp., 2022 ABKB 839 (l’« affaire Trident »)
Date de la décision : 13 décembre 2022
La Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la « CBRA ») a confirmé qu’une obligation de fin de vie prend rang avant les réclamations de municipalités pour non-paiement de taxes foncières dans le cadre de procédures en insolvabilité.
Trident Exploration Corp. et al. (« Trident ») était un groupe de sociétés fermées et de sociétés de personnes axées sur l’exploration et la production de pétrole et de gaz. En 2019, Trident a cessé toutes ses activités et licencié tous ses employés et sous-traitants. À l’époque, les obligations principales de Trident étaient des obligations de fin de vie dont la valeur était estimée à 407 M$ CA. L’Orphan Well Association (l’« OWA ») a déposé une demande afin que soit nommé un séquestre. L’objectif principal de la mise sous séquestre était de réduire les obligations de fin de vie au moyen de la vente d’actifs de Trident puisqu’autrement, les obligations de remise en état incomberaient à l’OWA. Le processus de vente visait à obtenir la meilleure valeur possible pour les actifs de Trident, non seulement pour ce qui est du produit tiré de la vente des actifs, mais également du fait du transfert d’une grande partie des obligations de remise en état de Trident aux parties ayant acheté les actifs de cette dernière. Le séquestre a été en mesure de transférer la majorité, mais pas la totalité, des obligations de remise en état de Trident à d’autres sociétés pétrolières et gazières. Le processus de vente a, en effet, donné lieu au transfert de 66 % des obligations de fin de vie de Trident, et le séquestre a tiré 900 000 $ CA de la vente des actifs.
Le séquestre a déposé une motion en vue d’obtenir des conseils et des directives au sujet de la distribution du produit tiré de la vente. L’AER et l’OWA prétendaient avoir la priorité quant aux fonds restants alors que plusieurs municipalités faisaient plutôt valoir que les fonds devaient être partagés afin que puissent être réglées en partie les obligations relatives aux taxes municipales cumulées depuis le début de la mise sous séquestre à l’égard d’actifs non vendus par le séquestre.
La CBRA a rejeté l’argument des municipalités selon lequel celles-ci devaient participer au partage du produit tiré de la vente en raison d’une priorité parallèle découlant de la loi provinciale sur les administrations municipales (la Municipal Government Act ou la « MGA »). La CBRA a statué que le droit de l’OWA sur le produit de la vente ne constituait pas une réclamation visant l’actif assujettie à la détermination des priorités, mais qu’il s’agissait plutôt d’un droit devant être traité en dehors du régime de l’insolvabilité en tant qu’obligation non pécuniaire ne pouvant être réduite à une réclamation prouvable. Les coûts relatifs aux obligations de fin de vie ne sont pas perçus en vue de générer un revenu pour l’OWA, mais correspondent à un devoir public, tandis que les taxes municipales visent à générer un revenu pour la municipalité. Et même s’il était question de priorités conflictuelles, la MGA établit clairement que les réclamations relatives aux taxes municipales prennent rang après les réclamations de la Couronne, lesquelles comprennent les obligations de fin de vie.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Les taxes municipales et les obligations de fin de vie ne sont pas équivalentes à l’égard des actifs pétroliers et gaziers, et elles ne sont pas non plus des priorités parallèles. D’ailleurs, le paragraphe 348(c) de la MGA précise expressément que les réclamations relatives aux taxes municipales sont subordonnées aux réclamations de la Couronne, lesquelles comprennent les obligations de fin de vie.
Devoir de retenue à l’égard des décisions d’un séquestre dans le cadre d’un processus de vente
Ontario Securities Commission v. Bridging Finance Inc., 2022 ONSC 1857
Date de la décision : 30 mars 2022
En 2021, à la demande de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, un séquestre a été nommé à l’égard de Bridging Finance Inc. et d’autres défendeurs (les « fonds Bridging ») en vertu de l’article 129 de la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario).
Le séquestre des fonds Bridging a demandé que soit rendue une ordonnance approuvant son rejet des diverses offres présentées et mettant fin au processus de vente et de sollicitation d’investissement (le « PVSI »). Cette demande a été contestée par l’un des porteurs de parts (le « porteur de parts opposé »), lequel demandait un ajournement afin de tenter de convaincre d’autres porteurs de parts de se joindre à lui.
La CSJO s’est penchée sur deux questions, à savoir (i) si le PVSI devrait prendre fin sans que les porteurs de parts soient davantage consultés ou appelés à voter, et (ii) si, peu importe que le PVSI prenne fin ou non, le séquestre devrait solliciter des offres en vue de la gestion de la liquidation ordonnée du portefeuille de prêts des fonds Bridging.
En ce qui concerne la première question, le séquestre a fait valoir qu’il avait exercé son jugement professionnel et déterminé que la meilleure option pour les parties prenantes consistait à rejeter les offres restantes, à mettre fin au PVSI et à poursuivre le statu quo. Le séquestre était d’avis que le temps et les frais requis pour entreprendre une autre consultation des parties prenantes ne pouvaient se justifier compte tenu de l’importante consultation déjà entreprise auprès de ces dernières. Le séquestre a également fait valoir que les modalités du PVSI établissaient clairement qu’il avait le pouvoir de mettre fin au PVSI en tout temps.
Le porteur de parts opposé a contesté le recours du séquestre, demandant plutôt (i) qu’une discussion plus détaillée soit entreprise à l’égard des différentes offres; (ii) qu’un vote des porteurs de parts soit tenu sur les offres; et (iii) qu’un nouveau processus d’appel d’offres pour la liquidation ordonnée des fonds Bridging soit mené, ou que, plutôt que de mettre fin au PVSI, une autre consultation des porteurs de parts soit entreprise.
La CSJO a confirmé que, lorsqu’il s’agit d’examiner un processus de vente, le tribunal doit s’en remettre au jugement professionnel du séquestre et doit s’abstenir de remettre en question les recommandations de ce dernier. Les tribunaux présumeront que le séquestre agit de façon appropriée, à moins qu’une preuve convaincante du contraire leur soit présentée.
La principale faiblesse de la position du porteur de parts opposé était qu’aucune preuve n’avait été produite pour appuyer ses préoccupations ou pour suggérer que le processus mené par le séquestre avait été mal avisé ou injuste. De son côté, le séquestre avait produit une preuve solide concernant les aspects économiques des offres reçues et du concours important des porteurs de parts. La CSJO a noté que le PVSI conférait au séquestre le pouvoir de mettre fin au PVSI en tout temps et que ce dernier avait déterminé, en se fondant sur son jugement professionnel, que la meilleure option pour les parties prenantes était de mettre fin au PVSI et de poursuivre le statu quo. Dans ces circonstances, la CSJO a tranché en faveur du séquestre et a accepté la preuve que celui-ci lui avait soumise et qui démontrait que l’option qu’il proposait était dans l’intérêt des parties prenantes.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Les tribunaux feront preuve de retenue à l’égard des décisions prises par des séquestres nommés par les tribunaux concernant des processus de vente. Ils n’interviendront que dans des circonstances exceptionnelles. Lorsqu’il est question de contester une recommandation d’un séquestre concernant un processus de vente, une preuve convaincante suggérant que les mesures prises par le séquestre ne sont pas dans l’intérêt des parties prenantes doit être présentée. À défaut de quoi, le jugement professionnel du séquestre sera présumé bien fondé.
Taxes foncières municipales et ordonnances d’approbation et de dévolution
Grant Thornton Limited et al. v. 1902408 Ontario Ltd, 2022 ONSC 2011
Date de la décision : 1er avril 2022
Dans cette affaire, la CSJO s’est penchée sur les répercussions que peut avoir une ordonnance d’approbation et de dévolution des actifs (« OADA ») sur la capacité d’une municipalité de percevoir subséquemment des taxes municipales auprès de l’acquéreur des actifs d’un débiteur insolvable, lorsque ladite OADA prévoit que les actifs acquis seront libres de toutes taxes dues.
En 2017, 1902408 Ontario Ltd. (« 190 ») a demandé le réexamen de l’évaluation de ses taxes foncières municipales. Des représentants de la Société d’évaluation foncière des municipalités (« SEFM ») et de 190 se sont rencontrés et ont convenu, dans le procès-verbal d’un règlement (le « Règlement »), d’établir le classement et la valeur de la propriété concernée pour les exercices 2017, 2018 et 2019. Le canton d’Augusta (le « Canton ») est une corporation municipale régie par la Loi de 2001 sur les municipalités. En 2018, le Canton a confirmé une réduction de l’évaluation foncière de 190 dans le cadre du Règlement. La réduction a par la suite été reflétée dans un avis d’évaluation modifié relatif aux taxes applicables.
En janvier 2019, un séquestre a été nommé à l’égard de 190, au sujet d’une propriété de 27 acres (la « Propriété »). Il s’agissait de la même propriété que celle visée par le Règlement.
Le séquestre a mis la Propriété en vente. En juillet 2019, une OADA a été émise, autorisant la vente de la Propriété à 1217858 B.C. Ltd. (« 121 »). Le Canton ne s’est pas opposé à l’OADA. La vente de la Propriété à 121 a été conclue en septembre 2019.
À la suite de cette vente, le Canton a émis un avis de taxes foncières supplémentaires à 121, lequel imposait des taxes additionnelles d’environ 159 000 $ CA sur la Propriété. Ces taxes s’appliquaient rétroactivement au 1er janvier 2017. 121 a contesté ces taxes supplémentaires en s’appuyant sur les modalités prévues à l’OADA, laquelle prévoyait la cession de la Propriété à 121, à titre d’acheteur, [TRADUCTION] « purgée de toute taxe et de toute charge ».
Le Canton a fait valoir qu’au moment de l’émission de l’OADA, certaines évaluations des taxes foncières municipales omises (les « évaluations omises ») pour les années d’imposition en question n’avaient pas été émises par la SEFM. Par conséquent, le Canton soutenait qu’il était en droit d’émettre l’avis de taxes foncières supplémentaires. Il soutenait également que la CSJO n’avait pas compétence pour traiter de la question des évaluations omises, cette question relevant de la Commission de révision de l’évaluation foncière (la « Commission ») en vertu de la Loi sur l’évaluation foncière.
La CSJO a statué qu’en raison des modalités de l’OADA, le Canton ne pouvait recouvrer les taxes foncières municipales qu’il revendiquait auprès de 121. Le fait que le Canton avait reçu la requête relative à l’émission de l’OADA et qu’il n’y avait pas donné réponse n’a pas été contesté.
La CSJO a fait valoir que même si l’OADA n’utilisait pas expressément le terme « taxes », il n’était pas nécessaire de le faire puisqu’il ressortait clairement du libellé de l’OADA que les réclamations des créanciers avaient été supprimées. La CSJO a également souligné certains faits supplémentaires à l’appui de cette position. D’abord, les taxes avaient été ajustées à la conclusion de la vente, de sorte qu’aucune taxe n’était due à la réalisation de l’opération. Ensuite, le terme « levies » était couramment utilisé par la SEFM et le Canton pour désigner divers types de taxes (c’est-à-dire, « municipal levies » et « education levies »). Enfin, dans le contexte des mises sous séquestre, les acquéreurs doivent pouvoir se fier aux ordonnances de dévolution. Il s’agit de l’une des assises du régime d’insolvabilité moderne.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
À l’achat des actifs d’un débiteur insolvable, l’acquéreur a le droit de s’appuyer sur les modalités claires d’une OADA qui prévoit, sur avis présenté aux autorités fiscales pertinentes, que les actifs acquis seront libres de toutes obligations en matière de taxes municipales. La certitude que fournissent les OADA aux acquéreurs relativement à l’acquisition d’actifs libres de toute obligation auprès d’une société débitrice constitue une assise du régime d’insolvabilité moderne et sera habituellement protégée par les tribunaux d’insolvabilité.
Médiation et procédures engagées en vertu de la LACC
1057863 B.C. Ltd. (Re), 2022 BCSC 759
Date de la décision : 9 mai 2022
Dans le cadre de cette affaire, la CSCB s’est penchée sur la question de savoir s’il est approprié de rendre une ordonnance prévoyant un processus de médiation obligatoire (une « ordonnance de médiation ») en vertu de l’article 11 de la LACC lorsqu’un participant clé du processus de médiation s’y oppose.
1057863 B.C. Ltd. et les membres de son groupe (les « requérants ») étaient les propriétaires d’une usine de pâtes située en Nouvelle-Écosse. Dans le cadre de leurs activités, les requérants louaient et exploitaient une installation de traitement des effluents (l’« ITE ») appartenant à la province de Nouvelle-Écosse (la « province »). En 2015, la province a adopté une loi en vertu de laquelle les requérants étaient tenus de cesser d’exploiter l’ITE d’ici 2020, soit dix ans avant la fin de la période visée par le bail entre les requérants et la province. Les requérants n’ont pas réussi à substituer cette ITE par une autre avant 2020.
L’usine de pâtes a cessé ses activités en 2020 et les requérants ont entamé des procédures en vertu de la LACC. Avant d’engager ces procédures, les requérants ont fait valoir des réclamations de compensation contre la province, lesquelles découlaient de la fermeture de l’usine de pâtes (les « réclamations de compensation »). Ils soutenaient par ailleurs que la valeur de ces réclamations pouvait s’élever à un montant considérable.
Tout au long des procédures engagées en vertu de la LACC, les requérants ont tenté d’entreprendre des discussions avec la province au sujet des réclamations de compensation, y compris par voie de médiation. La province a refusé d’y participer. En novembre 2021, les requérants ont avisé la province de leur intention d’obtenir une ordonnance de médiation.
Dans leur requête, les requérants se sont appuyés sur diverses décisions dans lesquelles le tribunal a ordonné la médiation en vertu de l’article 11 de la LACC. En réponse, la province a soutenu qu’il y avait lieu de faire une distinction entre la présente affaire et ces décisions, car la médiation ordonnée dans le cadre de ces dernières portait sur des réclamations faites par des créanciers contre le débiteur (plutôt que par la société débitrice contre un tiers).
La CSCB a accordé l’ordonnance de médiation malgré les objections de la province. Dans sa décision, elle a statué qu’elle avait compétence pour ce faire en vertu du vaste pouvoir que lui conférait l’article 11 de la LACC. Elle a par ailleurs reconnu que la négociation et le compromis peuvent aider grandement un débiteur à tirer parti des avantages d’une procédure engagée en vertu de la LACC.
La CSCB a conclu que le succès des requérants relativement aux réclamations de compensation augmenterait considérablement leurs chances de réussir leur restructuration. Par conséquent, la CSCB a statué que la réticence de la province à participer à la médiation ne devait pas dicter le résultat de la requête et ne constituait pas un motif suffisant pour qu’elle refuse d’accorder l’ordonnance de médiation.
État : La province a interjeté appel de l’ordonnance de médiation auprès de la CABC le 21 avril 2022. À l’heure actuelle, aucune date n’a été fixée pour l’audience. La province et les requérants ont convenu de mettre en pause le litige, y compris l’appel, afin de se concentrer sur la médiation.
Points à retenir :
Dans le contexte des procédures d’insolvabilité, la médiation ordonnée par le tribunal ne se limite pas aux réclamations portées contre la société débitrice. La médiation peut également être ordonnée pour des réclamations faites par la société débitrice, notamment lorsque le règlement de telles réclamations améliorerait réellement les chances de la société débitrice de se restructurer avec succès.
Traitement de réclamations par action collective dans le cadre de procédures en vertu de la LACC
Just Energy Group Inc. (Re), 2022 ONCA 498
Date de la décision : 28 juin 2022
Dans le cadre de cette affaire, la CAO s’est penchée sur la question de savoir si les réclamations éventuelles de créanciers ayant intenté une action collective contre un débiteur devaient être admises à la détermination des réclamations à des fins de vote avant la tenue d’un vote des créanciers sur un plan d’arrangement.
En mars 2021, Just Energy Group Inc., et al. (« Just Energy ») s’est placée sous la protection de la LACC. Just Energy fournit de l’énergie à environ 950 000 clients au Canada et aux États-Unis et emploie plus de 1 000 personnes.
Le 3 octobre 2017, deux parties aux États-Unis (ci-après, les « demandeurs ») ont déposé une demande d’autorisation d’action collective contre Just Energy pour violation d’obligations contractuelles. En février 2022, les demandeurs ont déposé une requête en vue d’obtenir (i) une ordonnance déclarant que les procédures engagées en vertu de la LACC par Just Energy n’auraient aucune incidence sur les réclamations des demandeurs; ou d’obtenir, à titre subsidiaire, (ii) une ordonnance pour la tenue d’une procédure expéditive afin de trancher la question de leurs réclamations.
Just Energy, appuyée par son contrôleur nommé par le tribunal et ses créanciers garantis de rang supérieur, a contesté avec succès cette requête (voir les motifs écrits du juge McEwen datés du 23 février 2022). Au sujet de la première question, la CSJO a statué que le fait de rendre une ordonnance qui aurait pour effet que les demandeurs ne seraient pas touchés par les procédures engagées en vertu de la LACC de Just Energy porterait les réclamations des demandeurs à un rang supérieur à celui des réclamations éventuelles visant des actifs non liquidés et non garantis et permettrait aux demandeurs de déterminer en partie la structure d’un plan. De façon similaire, la CSJO a rejeté la deuxième demande faite par les demandeurs pour la tenue d’une procédure expéditive afin de trancher la question de leurs réclamations du fait des procédures engagées par Just Energy. La CSJO a conclu que les demandeurs n’avaient pas encore participé au processus de règlement des demandes prévu à l’ordonnance relative à la procédure de réclamation. Elle a également conclu que la procédure expéditive proposée constituerait une distraction considérable à une étape critique de la restructuration de Just Energy.
Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la CSJO à l’égard de la deuxième question, au motif que les réclamations éventuelles, comme celles des demandeurs, devaient être tranchées à des fins de vote dans le cadre d’une procédure expéditive avant la tenue d’une assemblée des créanciers.
La CAO a rejeté la demande d’interjeter appel au motif qu’elle ne valait pas prima facie d’être instruite et que les questions soulevées n’étaient pas d’importance pour la procédure d’insolvabilité. La CAO a déterminé que le juge surveillant dans cette affaire avait une connaissance approfondie des procédures complexes en vertu de la LACC, qu’il était bien au courant du fait qu’il pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire dans le cadre de cette affaire et, ce faisant, qu’un haut degré de déférence s’imposait. Une intervention en appel n’est justifiée dans de telles circonstances que si le juge surveillant a commis une erreur de principe ou a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
La question de savoir si, et comment, les réclamations éventuelles doivent être déterminées avant un vote des créanciers doit faire l’objet d’une analyse factuelle. Différents facteurs sont pris en considération, notamment : (i) la suffisance de la procédure relative aux réclamations éventuelles pour la détermination des réclamations; et (ii) les répercussions qu’aurait une telle procédure parallèle sur la restructuration. Lorsqu’une telle détermination est rendue par un juge surveillant chargé de l’application de la LACC, elle commande un haut degré de déférence et ne sera visée par une intervention en appel que si le juge surveillant a commis une erreur de principe ou s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.
Lieu des principales affaires de la société débitrice
In the Matter of Voyager Digital Ltd., 2022 ONSC 4553
Date de la décision : 4 août 2022
La CSJO a examiné les facteurs pertinents à l’établissement du lieu où une société étrangère cotée en bourse a ses principales affaires dans le cadre d’une demande faite par cette dernière en vue de la reconnaissance, au Canada, d’une instance étrangère d’insolvabilité en tant qu’« instance étrangère principale ».
Voyager Digital Ltd. (« VDL ») est une société constituée en Colombie-Britannique dont les actions sont inscrites à la cote de la Bourse de Toronto (la « TSX »). VDL ne mène aucune activité de façon indépendante. Ses filiales américaines exploitent une société de courtage en cryptomonnaies et un service de stockage et de prêts de cryptomonnaies aux États-Unis. Le 5 juillet 2022, VDL et deux de ses filiales établies aux États-Unis (collectivement, les « débitrices Voyager ») ont introduit des procédures en vertu du chapitre 11 du Bankruptcy Code des États-Unis (les « Procédures en vertu du chapitre 11 »). VDL a été désignée à titre de représentant étranger pour elle-même ainsi que pour les débitrices Voyager dans le cadre de ces procédures.
VDL a demandé que les Procédures en vertu du chapitre 11 soient reconnues à titre d’instance étrangère principale au Canada aux termes de la partie IV de la LACC. Elle a également demandé diverses autres mesures, notamment la suspension des procédures au Canada ainsi que la reconnaissance de certaines ordonnances accordées dans le cadre des Procédures en vertu du chapitre 11. La partie IV de la LACC prévoit un processus pour l’administration et la reconnaissance des cas d’insolvabilité en contexte international, dans le but de soutenir la coopération et la coordination entre les tribunaux canadiens et ceux de ressorts étrangers. Aux termes de la partie IV, une instance étrangère peut être reconnue en tant qu’« instance étrangère principale » ou en tant qu’« instance étrangère secondaire ». La distinction la plus notable entre ces instances est que, dans le cas d’une instance étrangère principale, certaines mesures s’appliqueraient obligatoirement, et non de façon discrétionnaire, y compris la suspension des procédures au Canada. Deux facteurs sont alors pris en compte pour déterminer s’il s’agit d’une instance étrangère principale ou secondaire : le ressort dans lequel la société débitrice a ses principales affaires; et si ce ressort est celui dans lequel les procédures d’insolvabilité plénières ont été introduites.
VDL soutenait que les Procédures en vertu du chapitre 11 introduites par cette dernière constituaient une instance étrangère principale. Elle soutenait également qu’elle avait ses principales affaires aux États-Unis. Les conseillers juridiques respectifs de certains investisseurs potentiels et d’un représentant proposé des demandeurs dans le cadre d’une action collective récemment intentée en Ontario contre VDL (collectivement, les « parties opposées ») ont contesté ces positions de VDL. Elles affirmaient que VDL avait ses principales affaires au Canada, du fait que VDL avait été constituée en Colombie-Britannique et que ses actions étaient inscrites à la cote de la TSX.
Pour déterminer le lieu où VDL avait ses principales affaires, la CSJO a pris en compte les trois questions suivantes :
-
Le lieu où l’instance étrangère a été introduite peut-il être facilement vérifié par les créanciers?
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Le lieu où l’instance étrangère a été introduite est-il celui où se trouvent les principaux actifs ou les principales activités du débiteur?
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Le lieu où l’instance étrangère avait été introduite est-il celui où le débiteur a son administration centrale?
La CSJO a conclu que le lieu où VDL avait ses principales affaires se trouvait aux États-Unis. Pour motiver sa conclusion, elle a indiqué que, dans une affaire visant une société ouverte, il y a lieu de consulter les documents publics déposés par cette dernière afin de connaître le lieu des principaux actifs et des principales activités de celle-ci; de fait, les actionnaires et autres parties prenantes peuvent s’attendre objectivement à trouver de tels renseignements dans ces documents. Les documents publics déposés par VDL indiquaient clairement que le principal bureau d’affaires de cette dernière se situait aux États-Unis et que ses principaux actifs, ses principales activités et son administration centrale y étaient également. La CSJO a donc établi que l’instance étrangère de VDL était une instance étrangère principale.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
Pour déterminer le lieu dans lequel une société ouverte a ses principales affaires, les tribunaux examineront (i) le lieu vérifiable par les créanciers; (ii) le lieu des principaux actifs et des principales activités du débiteur; et (iii) le lieu où le débiteur a son administration centrale. Dans le cadre d’une telle analyse, les renseignements que les actionnaires et autres parties prenantes peuvent s’attendre objectivement à trouver dans les documents publics déposés par la société fournissent des indications clés à cet égard.
Clauses d’arbitrage dans les procédures d’insolvabilité
Les décisions rendues respectivement dans les affaires Mundo Media et Petrowest (définies ci-après) sont deux exemples dans lesquels les tribunaux canadiens ont dû composer avec la tension entre l’arbitrage et l’insolvabilité. L’arbitrage est une méthode consensuelle de règlement de différends par laquelle les parties peuvent personnaliser le processus et sélectionner l’arbitre, tandis qu’une procédure d’insolvabilité est un processus par lequel les différends concernant le débiteur sont souvent consolidés involontairement en une seule procédure. Dans les deux cas, les tribunaux privilégient l’efficacité et les économies dans l’administration de la justice par rapport à l’autonomie dont bénéficient les parties pour décider du mode de règlement d’un différend dans le contexte d’une procédure de mise sous séquestre.
Mundo Media Ltd. (Re), 2022 ONCA 607 (l’« affaire Mundo Media »)
Date de la décision : 22 août 2022
Dans l’affaire Media Mundo, la CAO a rejeté une demande d’autorisation d’en appeler d’une décision de la CSJO concernant la suspension d’une requête déposée par un séquestre pour le paiement de sommes dues à l’actif de la mise sous séquestre aux termes d’une convention d’arbitrage internationale.
Mundo Media Ltd. (« Mundo ») est une société de technologies publicitaires qui fournit des services de marketing en ligne à ses clients. En 2017, Mundo a conclu plusieurs ententes de services avec SPay Inc. (« SPay »), une société de technologies de gestion des sports. Le 9 avril 2019, Mundo a été mise sous séquestre. Le séquestre soutenait que la créance que SPay devait à Mundo s’élevait à 4,1 M$ US et proposait de faire valoir une réclamation au nom de Mundo contre SPay, à la faveur des créanciers de Mundo.
SPay a demandé la suspension de la requête du séquestre, en fondant sa demande sur l’article 8 de l’annexe 2 de la Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international (« LACI »). La LACI prévoit que le tribunal doit suspendre l’instance lorsque le différend visé par celle-ci relève d’une convention d’arbitrage, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.
La CSJO a rejeté la demande de suspension de SPay en s’appuyant sur le modèle de la procédure unique applicable aux procédures de faillite et d’insolvabilité. Ce modèle prévoit que les différends concernant une société insolvable doivent être traités dans le cadre d’une seule procédure en insolvabilité, plutôt que d’être fragmentés en différentes procédures. La CSJO a statué que le modèle de la procédure unique, dans le contexte des procédures d’insolvabilité, a pour but de regrouper en une seule procédure les réclamations des créanciers contre le débiteur, ainsi que les réclamations par le débiteur contre d’autres tiers.
Dans le cadre de l’appel de cette décision, la CAO a noté que le modèle de la procédure unique est habituellement utilisé comme un « bouclier » pour éviter qu’un débiteur doive contester diverses réclamations engagées dans plusieurs procédures ou ressorts. Elle a toutefois conclu que rien dans la jurisprudence n’empêchait que ce modèle soit utilisé aussi comme un « glaive » pour permettre aux séquestres de faire valoir des réclamations contre des tiers.
État :
Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir :
L’application du modèle de la procédure unique dans le contexte des procédures d’insolvabilité ne se limite pas à la protection des débiteurs. Ce modèle peut également s’appliquer pour déroger à des dispositions contractuelles, comme les clauses d’arbitrage obligatoire, et permettre aux parties de faire valoir des réclamations contre des tiers dans le cadre d’une procédure unique dans le contexte des procédures d’insolvabilité.
Peace River Hydro Partners c. Petrowest Corp., 2022 CSC 41 (l’« affaire Petrowest »)
Date de la décision : 10 novembre 2022
Dans son arrêt rendu dans l’affaire Petrowest, la CSC a donné des précisions sur les circonstances dans lesquelles un tribunal d’insolvabilité favorisera le modèle de la procédure unique en insolvabilité par rapport à l’application d’une clause d’arbitrage obligatoire figurant à une convention d’arbitrage et déterminera qu’une telle convention est « inopérante ».
Peace River Hydro Partners ainsi que les entités apparentées à celle-ci (collectivement, « Peace River ») et Petrowest Corp. (« Petrowest ») étaient parties à diverses ententes relatives à la construction d’un barrage hydroélectrique dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique. La plupart de ces ententes contenaient des clauses d’arbitrage obligatoires exigeant que toute réclamation éventuelle de Petrowest à l’encontre de Peace River relativement à ces ententes soit soumise à l’arbitrage.
Au cours de la procédure de mise sous séquestre de Petrowest, le séquestre a intenté une poursuite civile contre Peace River en vue de recouvrer des fonds qu’il estimait être dus à Petrowest pour des travaux exécutés en sous‑traitance. Peace River a présenté une demande de suspension de la poursuite civile en faveur de procédures d’arbitrage, lesquelles procédures étaient prévues aux conventions conclues entre les parties. Le séquestre a fait valoir qu’il n’était pas partie aux conventions comportant des clauses d’arbitrage et qu’il n’était donc pas lié par ces clauses. Il a soutenu qu’en tant qu’agent nommé par le tribunal, il détenait les pouvoirs et les obligations conférés par la LFI, ce qui lui permettait de demander au tribunal d’exercer sa compétence inhérente en intervenant dans l’exercice de droits contractuels privés de manière à atteindre les objectifs de la LFI.
Le tribunal de première instance, soit la CSCB, avait refusé de suspendre la poursuite au motif que, bien que les conventions d’arbitrage soient valides, le tribunal avait la « compétence inhérente » pour écarter les conventions d’arbitrage. La CACB a elle aussi refusé de suspendre la poursuite, mais au motif que le séquestre avait renoncé aux conventions d’arbitrage en intentant une poursuite civile.
La décision a été portée en appel devant la CSC, laquelle s’est penchée sur la question de savoir dans quelles circonstances une convention d’arbitrage par ailleurs valide serait inopérante en vertu du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act de la Colombie-Britannique (l’« Arbitration Act ») dans un contexte de procédures d’insolvabilité. Le paragraphe 15(2) prévoit que le tribunal doit ordonner une suspension d’instance, à moins qu’il ne détermine que la convention d’arbitrage en cause soit nulle, inopérante ou non susceptible d’être exécutée. La CSC a analysé l’interaction entre la LFI et l’Arbitration Act. La LFI prévoit une seule instance pour régler de manière ordonnée les questions relatives aux droits des parties prenantes. L’Arbitration Act, quant à elle, favorise le principe de l’autonomie des parties. La CSC a déterminé que l’Arbitration Act confère aux tribunaux le pouvoir de déclarer inopérante une convention d’arbitrage. Dans son arrêt, la CSC a d’ailleurs établi une liste non exhaustive de facteurs pour déterminer si une convention d’arbitrage donnée est inopérante. Ces facteurs comprennent les suivants :
-
l’effet de l’arbitrage sur l’intégrité de la procédure d’insolvabilité;
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le préjudice relatif causé aux parties en raison du renvoi du différend à l’arbitrage;
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l’urgence de régler le différend;
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l’applicabilité d’une suspension d’instance en droit de la faillite ou de l’insolvabilité;
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tout autre facteur que le tribunal estime significatif dans les circonstances.
En s’appuyant sur ce cadre, la CSC a conclu que l’application de la convention d’arbitrage dans les circonstances compromettrait le règlement ordonné et efficace de la procédure de mise sous séquestre. La CSC a statué que la convention d’arbitrage était inopérante et a convenu que la demande de suspension d’instance devait être rejetée.
État :
Cette décision est finale.
Points à retenir :
Les conventions d’arbitrage doivent être exécutées dans un contexte d’insolvabilité à moins que leur exécution compromette le règlement ordonné et efficace d’un différend. En vertu du paragraphe 15(2) de l’Arbitration Act, les tribunaux peuvent conclure qu’une convention d’arbitrage est inopérante si l’arbitrage devait compromettre le règlement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre.
Pour en savoir davantage à ce sujet, consultez notre Bulletin Blakes de novembre 2022 intitulé La Cour suprême du Canada clarifie l’application des clauses d’arbitrage en matière d’insolvabilité.
Compensation
Des tribunaux en Ontario et au Québec se sont penchés sur la question de la compensation et de l’exercice du droit d’opérer compensation dans le contexte des procédures d’insolvabilité. Dans les affaires Carillion et Bloom Lake (définies ci-après), les tribunaux se sont tournés vers l’arrêt rendu par la CSC dans l’affaire Montréal (Ville) c. Restructuration Deloitte Inc. (l’« affaire Groupe SM »). Dans l’affaire Carillion, le tribunal a déterminé qu’il était approprié d’autoriser l’exercice du droit d’opérer compensation. En revanche, dans des circonstances différentes, le tribunal saisi de l’affaire Bloom Lake a refusé d’autoriser l’exercice de ce droit.
Carillion Canada Inc., 2022 ONSC 4617 (l’« affaire Carillion »)
Date de la décision : 2 septembre 2022
Dans l’affaire Carillion, la CSJO s’est penchée sur la question de savoir si les dispositions de suspension figurant à une ordonnance initiale suspendaient l’exercice des droits de compensation par la Banque HSBC Canada (la « Banque ») et, le cas échéant, si l’exercice de tels droits était maintenu en vertu de l’article 21 de la LACC.
La Banque et Carillion Canada Inc. (« Carillion Canada ») étaient parties à une entente aux termes de laquelle la Banque pouvait invoquer son droit d’opérer compensation sur des obligations de Carillion Canada si la Banque devait effectuer des paiements aux termes de toute lettre de crédit qu’elle avait émise à la demande de Carillion Canada. Le compte d’exploitation principal de Carillion Canada était auprès de la Banque. En 2018, après que Carillion Canada a demandé la protection contre ses créanciers en vertu de la LACC, les fonds des lettres de crédit ont été débloqués et la Banque a versé un montant de 6,8 M$ CA aux bénéficiaires de ces lettres. La Banque a avisé Carillion Canada qu’elle retirerait 6,8 M$ CA de son compte d’exploitation en exerçant ses droits d’opérer compensation qui lui étaient conférés par diverses conventions d’indemnisation et en vertu du droit applicable. Pour ce faire, la Banque n’a pas demandé l’autorisation du tribunal.
La CSJO s’est d’abord penchée sur la question de savoir si l’exercice des droits de compensation par la Banque avait été suspendu par l’ordonnance initiale. La Banque soutenait que, bien que le tribunal ait compétence pour suspendre temporairement des droits de compensation dans le cadre de procédures entamées en vertu de la LACC, les droits de compensation exercés par la Banque n’étaient pas interdits, car ils avaient pris naissance avant que l’ordonnance initiale ne soit rendue. La CSJO a conclu que la compensation opérée par la Banque était en violation de l’ordonnance initiale. Bien que le droit contractuel d’opérer compensation ait pris naissance avant la procédure entamée en vertu de la LACC, l’exercice réel des droits de compensation a eu lieu après que l’ordonnance initiale a été accordée. Par conséquent, la Banque devait demander l’autorisation du tribunal. Or, elle avait sciemment agi en violation de la disposition en matière de suspension prévue à l’ordonnance initiale.
L’exercice des droits de compensation par la Banque était toutefois prévu par l’article 21 de la LACC. La CSJO a noté que dans l’affaire Groupe SM, la CSC avait statué que l’article 21 de la LACC autorise la compensation pré-pré aux fins de quantification des réclamations des créanciers au jour de l’ouverture des procédures. D’une part, l’obligation de la Banque d’effectuer les paiements au titre des lettres de crédit et, d’autre part, les obligations en matière d’indemnisation de Carillion Canada aux termes des conventions d’indemnisation existaient avant le jour de l’ouverture des procédures et ont pris naissance avant cette date. Les obligations antérieures à l’ouverture des procédures ont simplement été quantifiées après cette date.
Le fait que la Banque n’ait pu exercer unilatéralement ses droits de compensation au moment de cet exercice n’a pas modifié la conclusion juridique selon laquelle elle avait droit d’opérer compensation. Bien que la Banque ait agi en violation de l’ordonnance initiale au moment où elle a opéré compensation, la CSJO a conclu qu’aucun préjudice n’avait été subi par les créanciers non garantis de Carillion Canada par suite de cet exercice, étant donné que le recouvrement des montants pour les créanciers non garantis aurait toujours dépendu de l’exercice de droits de compensation par la Banque.
État : Cette décision n’a pas été portée en appel. Elle est donc finale.
Points à retenir : La CSJO a confirmé que les droits de compensation peuvent être exercés dans le cadre de procédures d’insolvabilité lorsqu’un créancier détient des droits de compensation pré-pré contractuels prévus à l’article 21 de la LACC. Le fait qu’un droit de compensation ait été exercé à un moment où il y avait suspension des procédures n’empêchera pas un tribunal de conclure ultérieurement que cet exercice était néanmoins valide et exécutable si les créanciers n’ont subi aucun préjudice en raison du moment auquel l’exercice a eu lieu.
Arrangement relatif à Bloom Lake, 2022 QCCA 1740 (l’« affaire Bloom Lake »)
Date de la décision : 22 décembre 2022
Dans notre Bulletin Blakes de mai 2022 intitulé Principaux développements dans la jurisprudence canadienne en matière d’insolvabilité, nous avions résumé la décision rendue par la Cour supérieure du Québec (la « CSQ ») sur la question de la compensation pré-post. Dans le cadre de procédures entamées en vertu de la LACC, Cliffs Québec Mine de Fer ULC (« CQMF ») a résilié certains contrats aux termes de l’article 32 de cette loi. Les contreparties à ces derniers ont ensuite fait des réclamations pour dommages. Conformément aux lois applicables, les distributions effectuées par CQMF relativement à ces réclamations étaient réputées comprendre un paiement au titre des taxes de vente. Par conséquent, CQMF était en droit de demander des crédits et des remboursements de taxe sur les intrants à l’égard des paiements, tant au fédéral qu’au provincial (les « CTI relatifs aux paiements pour dommages »). La CSQ a déterminé que les CTI relatifs aux paiements pour dommages découlant de la résiliation de contrats qui avaient été conclus avant l’ouverture des procédures et qui ont été résiliés dans le cadre de procédures en vertu de la LACC constituent des demandes postérieures à l’ouverture des procédures. Ils ne pouvaient donc pas faire l’objet d’une compensation contre des réclamations antérieures à l’ouverture des procédures qui sont faites par les autorités fiscales.
Depuis lors, la décision a été portée en appel devant la Cour d’appel du Québec (la « CAQ »). Dans une décision unanime, celle-ci a confirmé que les CTI relatifs aux paiements pour dommages constituaient des demandes postérieures à l’ouverture des procédures. La CAQ a également statué que les CTI relatifs aux paiements pour dommages ne pouvaient faire l’objet d’une compensation par les autorités fiscales contre leurs réclamations qui étaient antérieures à l’ouverture des procédures et qui concernaient le débiteur visé par la LACC.
Devant la CAQ, Revenu Québec (« RQ ») soutenait que les CTI relatifs aux paiements pour dommages constituaient une réclamation antérieure à l’ouverture des procédures pouvant faire l’objet de compensation contre des réclamations relatives à la taxe de vente qui étaient antérieures à l’ouverture des procédures et qui concernaient le débiteur visé par la LACC. À titre subsidiaire, RQ soutenait que le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC n’avait pas exercé de manière appropriée le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 11 de la LACC pour ce qui est de la compensation d’une obligation antérieure à l’ouverture des procédures contre une obligation postérieure à celle-ci.
RQ a tenté de faire valoir que les CTI relatifs aux paiements pour dommages constituaient une réclamation antérieure à l’ouverture des procédures en se fondant sur le fait que ceux-ci étaient liés à des réclamations de restructuration aux termes du paragraphe 32(7) de la LACC, lequel prévoit qu’une partie à un contrat qui subit des pertes découlant de la résiliation de ce dernier est réputée avoir une réclamation prouvable. Aux termes de l’alinéa 19(1)b) de la LACC, une réclamation prouvable est une réclamation antérieure à l’ouverture des procédures.
La CAQ a rejeté cet argument en se fondant sur une interprétation littérale des dispositions pertinentes de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) et de la Loi concernant l’impôt sur la vente en détail (Québec) lesquelles portent sur les CTI relatifs aux paiements pour dommages en question. Dans les deux cas, les dispositions stipulent que lorsqu’un montant est versé en raison de la résiliation d’une entente concernant une fourniture taxable, la personne est réputée avoir payé pour cette fourniture, et l’inscrit est réputé avoir perçu la taxe, le jour auquel les dommages ont été payés. Par conséquent, ce n’est que lorsque la distribution intérimaire a été effectuée, aux termes du plan en vertu de la LACC, auprès des créanciers ayant des réclamations pour dommages découlant de la résiliation des contrats que le paiement pour la fourniture taxable est réputé avoir été effectué. C’est à ce moment que le droit du débiteur visé par la LACC à l’égard des CTI relatifs aux paiements pour dommages prend naissance.
La CAQ s’est appuyée sur l’arrêt de la CSC dans l’affaire Groupe SM (lequel arrêt avait été rendu après le jugement de première instance) pour rejeter l’argument de RQ selon lequel le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC aurait dû exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 11 de la LACC pour autoriser la compensation pré-post. Bien que la CSC ait laissé la porte ouverte à la compensation pré-post dans des circonstances exceptionnelles, la CAQ a conclu que les critères de base énoncés par la CSC dans l’affaire Groupe SM n’avaient pas été satisfaits. Notamment, la CAQ a souligné le fait que RQ n’avait pas réussi à établir que le critère de l’opportunité avait été satisfait.
État : Le 16 février 2023, RQ a déposé une demande d’autorisation d’en appeler de cette décision devant la CSC, laquelle demande porte sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC relativement au refus d’autoriser la compensation pré-post. La décision relative à cette demande est attendue.
Points à retenir : Les CTI relatifs aux paiements pour dommages découlant de la résiliation de contrats constituent des obligations postérieures à l’ouverture des procédures. Selon une interprétation littérale des dispositions pertinentes, ils prennent naissance seulement lorsqu’une distribution au titre des dommages a lieu après l’ouverture des procédures. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose le juge chargé de superviser les procédures en vertu de la LACC pour autoriser la compensation pré-post ne peut être exercé que dans des circonstances exceptionnelles.
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