À la suite de la publication du rapport initial de la Commission sur l’ingérence étrangère le 3 mai 2024, le ministre de la Sécurité publique du Canada a déposé le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère (le « projet de loi »), lequel prévoit la création d’un régime ayant pour but de contrer l’ingérence étrangère, notamment au moyen de modifications importantes au Code criminel et au régime de sécurité nationale du Canada.
Bien que le projet de loi vise à contrer l’ingérence étrangère par plusieurs voies juridiques, le présent bulletin porte plus particulièrement sur l’adoption de nouvelles infractions criminelles, les modifications proposées aux infractions existantes, ainsi que l’établissement de nouveaux processus relatifs à la preuve dans le cadre de certaines instances fédérales.
En quoi consiste le projet de loi?
Le projet de loi a été présenté en réponse aux préoccupations concernant l’ingérence étrangère dans le système électoral canadien. Or, s’il est adopté, ses répercussions s’étendront au-delà des urnes.
Le projet de loi, qui est divisé en quatre parties, propose de mettre à jour trois lois existantes et d’édicter une nouvelle loi, et ce, dans le but de munir le Canada de mesures additionnelles pour contrer l’ingérence étrangère dans les secteurs public et privé. Le régime proposé introduirait de nouvelles définitions juridiques de portée potentiellement vastes qui cibleraient l’ingérence étrangère.
Le projet de loi propose notamment l’édiction de la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, laquelle prévoit l’établissement d’un registre et d’exigences en matière de production de renseignements pour les entités qui concluent des « arrangements » avec des « commettants étrangers ». Les définitions de ces termes sont très larges. Nous abordons spécifiquement ces changements et les préoccupations que pourrait susciter leur application à un large éventail d’acteurs commerciaux légitimes dans notre Bulletin Blakes complémentaire intitulé Projet de loi C-70 : Le lourd fardeau de conformité du registre pour la transparence en matière d’influence étrangère, lequel porte sur le fardeau de conformité qu’imposerait un nouveau registre pour la transparence en matière d’influence étrangère.
Nouvelles infractions criminelles
Le projet de loi propose la création de nouvelles infractions criminelles et la mise à jour d’infractions existantes visant à lutter contre l’ingérence étrangère, notamment :
- l’établissement d’une nouvelle infraction de « sabotage » en vertu de l’article 52.1 du Code criminel, laquelle infraction concernerait spécifiquement les actes qui gêneraient l’accès à une « infrastructure essentielle ». Dans le contexte de cette nouvelle infraction, une infrastructure essentielle s’entend des installations ou systèmes, public ou privés, qui servent à fournir des services essentiels à la santé, à la sûreté, à la sécurité ou au bien-être économique des Canadiens. Cette nouvelle infraction ne s’appliquerait pas aux personnes qui prennent part à des revendications, à des protestations ou à des manifestations à un désaccord qui sont légitimes, lorsque ces personnes le font sans l’intention de provoquer l’une des situations précisées à l’article 52.1;
- la modification de l’infraction de « sabotage » existante du Code criminel de manière à remplacer la définition qui y est prévue, selon laquelle il s’agit de tout acte commis dans un dessein préjudiciable à la sécurité, à la sûreté ou à la défense du Canada, par une définition selon laquelle il s’agit de tout acte commis « dans l’intention » de porter atteinte à la sécurité, à la sûreté ou à la défense du Canada, ce qui clarifie ainsi la composante mentale requise pour commettre un acte à cette fin;
- l’établissement d’une nouvelle infraction criminelle de fabrication, de possession, de vente ou de distribution d’un « dispositif » (lequel s’entend d’un « programme d’ordinateur ») dans l’intention de le voir utiliser (ou sachant qu’il sera utilisé) en tout ou en partie pour commettre une infraction de sabotage prévue à l’article 52.1;
- l’établissement de nouvelles infractions en vertu de la Loi sur la protection de l’information (dont le titre sera remplacé par « Loi sur l’ingérence étrangère et la protection de l’information ») relativement à l’ingérence étrangère. Aux termes des modifications proposées, constituerait une infraction le fait de commettre un acte criminel, d’avoir une conduite subreptice ou trompeuse, ou d’influencer un processus politique ou gouvernemental sur l’ordre d’une entité étrangère, en collaboration avec cette dernière ou pour son profit;
- l’éliminaion de l’exigence selon laquelle il faut établir qu’un acte criminel allégué a « aidé » un État étranger ou a « porté atteinte » au Canada dans l’infraction existante prévue à l’article 20 de la Loi sur la protection de l’information relativement aux menaces, aux accusations ou à la violence pour le compte d’une entité étrangère.
Modification des procédures relatives aux renseignements en matière de sécurité nationale et de sécurité publique
Le projet de loi propose l’établissement de nouveaux processus relatifs à la protection et à la communication de certains renseignements dans le cadre d’instances judiciaires précises visant des renseignements sensibles, y compris des renseignements relatifs à la sécurité nationale. Ces propositions comprennent :
- la création d’un régime général d’examen administratif sécurisé (« RGEAS ») et standardisé en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada concernant l’utilisation de « renseignements sensibles » dans les procédures administratives devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale. Dans la Loi sur la preuve au Canada, les renseignements sensibles s’entendent des renseignements qui concernent les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales et qui sont du type des renseignements à l’égard desquels le gouvernement du Canada prend des mesures de protection. Une partie non gouvernementale à un litige peut, dans le cadre de procédures du RGEAS, demander la nomination d’un conseiller juridique spécial pour protéger ses intérêts lorsque des renseignements sensibles sont présentés en son absence;
- la modification des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada pour prévoir que toute décision de ne pas divulguer des renseignements d’intérêt public ou de sécurité nationale ne devrait faire l’objet d’un appel de la part de l’accusé qu’après la fin de son procès criminel et en cas de condamnation;
- l’ajout au Code criminel du sous-alinéa 487.3(2)a)(iii.1) lequel précise que des considérations relatives à la sécurité nationale seraient expressément incluses dans la liste des motifs qu’un juge doit prendre en considération pour décider de rendre une ordonnance de mise sous scellé relativement à un mandat en vertu du Code criminel;
- la modification de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité afin d’élargir la capacité du Service canadien du renseignement de sécurité (le « SCRS ») de demander des mandats pour la collecte de fichiers numériques contenant des renseignements personnels lorsqu’une telle collecte est pertinente dans le cadre de l’exercice des fonctions du SCRS.
Répercussions possibles et prochaines étapes
Compte tenu de ces modifications législatives importantes et de l’établissement de nouveaux régimes de conformité, il y aura lieu de surveiller la façon dont les dispositions du projet de loi seront interprétées et appliquées si ce dernier est adopté. Par exemple, les sociétés et les organisations qui exercent des activités au Canada voudront suivre de près l’interprétation et l’application éventuelle de la définition d’« infrastructure essentielle » qui s’ajouterait à la disposition du Code criminel sur le sabotage et qui, à première vue, viserait un large éventail de systèmes et de secteurs. En effet, la définition proposée s’appliquerait expressément aux infrastructures de transport, de technologies de l’information et de la communication, de l’énergie et des services publics, de services de santé, ainsi qu’aux infrastructures financières et aux infrastructures relatives aux activités publiques, entre autres. De plus, le projet de loi prévoit que cette définition peut être élargie par règlement.
Avant de devenir loi, le projet de loi devra franchir les étapes de deux autres lectures à la Chambre des communes et faire l’objet d’un examen en comité. Si le projet de loi est adopté par le Sénat, les modifications qui y sont proposées entreront en vigueur seulement à la date fixée par décret du gouverneur en conseil.
Compte tenu des nouvelles infractions, des nouvelles options en matière de mandats dont disposerait le SCRS et des limites non encore éprouvées du registre pour la transparence en matière d’influence étrangère proposé (le régime de ce dernier comportant lui aussi des dispositions sur les infractions), les organisations et les associations sectorielles qui estiment qu’elles pourraient être touchées défavorablement auraient avantage à demeurer au fait des développements futurs en lien avec le projet de loi.
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