Le 26 mai 2021, le projet de loi no 797, Loi modifiant la Loi sur les sociétés par actions afin d’y intégrer l’entreprise à mission (le « projet de loi no 797 »), a été présenté à l’Assemblée nationale du Québec par M. Carlos J. Leitão, député de l’opposition.
Ce projet, s’il est adopté, ajoutera à la Loi sur les sociétés par actions (la « LSA ») un nouveau chapitre IV.1 intitulé « Entreprise à mission ». Ce projet de loi est largement calqué sur le projet de loi M209-2019 de la Colombie-Britannique, qui a intégré les « Benefit Companies » dans la partie 2.3 de sa Business Corporations Act, un concept d’inspiration américaine, une première au Canada. À ce sujet, vous pouvez consulter notre Bulletin Blakes du 9 juillet 2020 intitulé How to Benefit from Benefit Companies (en anglais).
La Colombie-Britannique avait déjà ajouté à sa loi, en 2013, les « Community Contribution Companies » (les « C3s »), important le concept des « Community Interest Companies » (les « CICs ») instauré en 2005 au Royaume-Uni et, en 2016, la Nouvelle-Écosse avait suivi l’exemple de la Colombie-Britannique et du Royaume-Uni et avait elle aussi créé les CICs.
Ces CICs et C3s doivent inscrire dans leurs statuts une mission d’intérêt social et s’engager à consacrer leurs efforts et leurs ressources pour remplir cette mission. Elles sont soumises à des règles strictes qui :
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imposent à leurs administrateurs le devoir de favoriser la mission sociale de la société, au détriment s’il le faut des intérêts des actionnaires;
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« verrouillent » leurs actifs, même en cas de dissolution, de façon à assurer qu’ils soient destinés au bien-être de la communauté; et
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plafonnent les paiements de dividendes et d’intérêts aux actionnaires et aux bailleurs de fonds.
De plus, les CICs sont soumises au contrôle d’un organisme de réglementation gouvernemental.
En parallèle avec ce genre d’entreprises à mission sociale (« EMS ») strictement réglementées, est apparu aux États-Unis, à compter de 2010, un type édulcoré, dilué des EMS : les « Benefit Corporations », qui doivent elles aussi indiquer dans leurs statuts avoir une « mission sociale », mais qui ne sont pas soumises aux mêmes règles strictes. Pour elles, il n’y a pas de verrouillage d’actifs ni de restrictions quant au paiement de dividendes ou d’intérêts, et leurs administrateurs ne sont pas tenus de favoriser d’abord la mission sociale de la société, mais sont seulement autorisés à en tenir compte sans pour autant manquer à leurs devoirs « fiduciaires » envers elles.C’est ce second type d’EMS que le projet de loi no 797 vise à instaurer dans la loi québécoise.
INSCRIPTION DANS LES STATUS
Selon le projet de loi no 797, afin d’être considérée comme une entreprise à mission, une société doit déclarer dans ses statuts ce qui suit : « La présente société est une entreprise à mission. À ce titre, elle s’engage à exercer ses activités de façon responsable et durable et à promouvoir un ou plusieurs intérêts sociaux ».
Les « intérêts sociaux », c’est-à-dire « toute considération environnementale ou sociale qui profite à l’environnement ou à un groupe de personnes autres que les actionnaires en leur qualité de détenteurs d’actions », que la société doit promouvoir sont précisés dans les statuts, ainsi que son engagement à les promouvoir et à exercer ses activités « de façon responsable et durable », ce qui est défini par la loi comme « la prise en compte du bien-être des personnes touchées par les activités de la société et l’utilisation d’une part équitable et proportionnée des ressources environnementales, sociales et économiques disponibles ».
Il est remarquable que pour promouvoir des « intérêts sociaux », la société doive nécessairement agir « de façon responsable et durable ». Les CICs et C3s ne sont pas soumis à une telle obligation, qui s’apparente davantage à une approche qu’à une mission, et qui aurait avantage à être imposée à toutes les entreprises même celles « sans mission ».
Pour cesser d’être une entreprise à mission, la société n’a qu’à modifier ses statuts pour en retirer les clauses susmentionnées. Il n’est pas clair si cette modification constitue la suppression d’une restriction aux activités de la société, qui donne ouverture au droit au rachat d’actions (« droit de dissidence ») en vertu de la LSA.
DEVOIRS DES ADMINISTRATEURS
Selon le projet de loi no 797, les devoirs des administrateurs et des dirigeants d’une entreprise à mission, dans l’exercice de leurs fonctions, consistent à concilier leurs obligations habituelles de prudence, de diligence, d’honnêteté et de loyauté avec celle de veiller à ce que la société exerce ses activités de façon responsable et durable et qu’elle promeuve les intérêts sociaux énoncés dans les statuts.
Ces devoirs n’entraînent toutefois aucune obligation envers les tiers et ne leur confèrent aucun recours. D’ailleurs, ils ne sont avisés ni du statut d’EMS de la société, ni de la nature de ses intérêts sociaux.
De plus, seul un actionnaire détenant au moins 2 % des actions peut s’adresser au tribunal pour lui demander d’ordonner aux administrateurs ou aux dirigeants de se conformer à leurs devoirs. Sans cette restriction, tout « intéressé » aurait bénéficié de ce recours, en vertu de la LSA.
RAPPORT D'INTÉRÊT SOCIAL
Selon le projet de loi no 797, l’entreprise à mission doit, chaque année, préparer un « rapport d’intérêt social » et le présenter aux actionnaires. Ce rapport, dont le contenu est prescrit par le projet de loi no 797, est préparé par le conseil d’administration. Ce dernier sélectionne une « norme d’intérêt social » élaborée par un « organisme de normalisation » reconnu par le gouvernement, suivant les conditions établies par règlement, et évalue la performance de la société en fonction de cette norme. Cette norme est utilisée pour définir et évaluer la performance de la société à exercer ses activités de façon responsable et durable et à réaliser les engagements énoncés aux statuts.
Le conseil doit, sous peine d’une amende de 5 000 $ à 50 000 $ imposée à ses membres, présenter le rapport aux actionnaires à l’assemblée annuelle.
Si l’Assemblée nationale adopte le projet de loi no 797 tel que présenté, cela signifiera que le Québec sera la troisième province canadienne à légiférer sur les EMS, et la première à opter exclusivement pour le système américain des « Benefit Corporations », sans verrouillage d’actifs, sans restrictions quant aux paiements aux actionnaires et bailleurs de fonds, sans obligation pour les administrateurs de favoriser la mission de la société au détriment, s’il le faut, des intérêts des actionnaires, et sans contrôle par un organisme gouvernemental.
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