Le 8 avril 2025, le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi n° 92, Loi modifiant diverses dispositions principalement dans le secteur financier (le « projet de loi »).
Ce projet de loi fait suite à l’engagement pris par le ministre dans le cadre du 17e Rendez-vous avec l’Autorité des marchés financiers en novembre 2022 d’adopter un « omnibus financier » chaque année afin de mettre régulièrement à jour la législation sur l’encadrement de l’industrie financière du Québec.
Le projet de loi omnibus propose ainsi plusieurs mesures visant à moderniser, à harmoniser et à renforcer l’encadrement du secteur financier québécois en modifiant plusieurs des lois administrées par l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF »), dont la Loi sur la distribution de produits et services financiers (la « LDPSF »), la Loi sur les valeurs mobilières et la Loi sur les assureurs. Dans ce bulletin, nous présentons un résumé des principaux aspects de ces modifications, spécifiquement celles qui revêtent un intérêt particulier pour les intervenants du secteur financier.
Création de la Chambre de l’assurance
L’une des mesures phares du projet de loi est la fusion de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommages en une nouvelle chambre unique : la Chambre de l’assurance. Cette nouvelle chambre assumera les fonctions jusque-là exercées séparément par les deux chambres, à savoir de veiller à la formation continue obligatoire, à la déontologie et au maintien de la discipline des experts en sinistre, des planificateurs financiers, des représentants en assurance de personnes, en assurance collective et en assurance de dommages de même qu’à l’égard des représentants de courtier en épargne collective et de courtier en plans de bourses d’études.
Toutefois, les pouvoirs d’encadrement de la Chambre de l’assurance à l’égard des représentants de courtier en épargne collective et de courtier en plans de bourses d’études seront de courte durée puisque le projet de loi prévoit que l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF ») devra, dans les neuf mois suivant la création de la Chambre de l’assurance, rendre une décision de reconnaissance retirant l’exercice des fonctions et des pouvoirs de la Chambre de l’assurance à l’égard de ces représentants. L’AMF pourrait alors décider de rapatrier en son sein ces pouvoirs à l’égard des représentants de courtier en épargne collective et de courtier en plans de bourses d’études, mais elle choisira sans aucun doute de transférer ceux-ci à l’Organisme canadien de règlementation des investissements (l’« OCRI »). Ce choix serait logique et s’alignerait avec certaines décisions récentes de l’AMF, notamment la décision prise par cette dernière en 2023 d’accorder une délégation de pouvoirs à l’OCRI en matière d’inscription et d’inspection des courtiers et des représentants de courtier en épargne collective afin de les assujettir au même cadre règlementaire que celui qui s’applique ailleurs au Canada.
L’intention du projet de loi semble être de réduire la portée des activités présentement encadrées par les deux chambres afin de limiter les fonctions de la nouvelle Chambre de l’assurance aux disciplines qui ne relèvent pas du domaine des valeurs mobilières. Un comité de transition formé conformément aux dispositions proposées par le projet de loi veillera au transfert des ressources matérielles, financières, humaines et documentaires des deux chambres à la nouvelle Chambre de l’assurance afin d’assurer la poursuite des activités à l’égard des représentants visés, notamment la poursuite des enquêtes des syndics et des auditions de plaintes devant les comités de discipline.
Élargissement de la portée du Fonds d’indemnisation des services financiers
Le projet de loi abroge les dispositions concernant le Fonds d’indemnisation des services financiers (le « FISF ») de la LDPSF afin de les intégrer à la Loi sur l’encadrement du secteur financier (la « LESF »), et d’en élargir la portée.
Jusqu’à présent limité aux victimes de représentants titulaires d’un certificat dans les disciplines d’assurance, d’expertise en sinistre, de planification financière et de courtage hypothécaire ainsi qu’aux victimes des représentants de courtier en épargne collective et en plans de bourses d’études, les changements proposent que le FISF couvre dorénavant les victimes de représentants, de courtiers et de conseillers titulaires d’un certificat ou inscrits en vertu de la LDPSF, de la Loi sur les valeurs mobilières ou de la Loi sur les instruments dérivés, et ce, sans égard à la catégorie de discipline ou d’inscription. Les changements proposés par le projet de loi prévoient également que le FISF couvre les indemnités relatives aux produits et services financiers fournis ou offerts : (i) par un stagiaire titulaire d’un certificat délivré en vertu de la LDPSF et, (ii) par une personne à l’emploi d’un inscrit dans la discipline d’expertise en sinistre qui exerce une fonction sous la supervision de cet inscrit ou agit pour son compte à l’égard d’un sinistre prévu à la convention d’indemnisation directe, d’un bris de vitre ou du règlement d’un sinistre d’une valeur maximale de 5 000 $.
En élargissant le champ d’application du FISF, le gouvernement élargit du même coup le nombre d’inscrits devant cotiser au FISF, permettant ainsi d’assurer la pérennité du FISF, surtout dans un contexte où une partie des cotisants actuels (représentants de courtiers inscrits dans les disciplines d’épargne collective et de plans de bourses d’études) pourrait se voir transférer sous la juridiction de l’OCRI.
Assouplissements ciblés pour les experts en sinistre
De nouveaux assouplissements à l’égard de la discipline d’expertise en sinistre sont proposés par le projet de loi suite aux mesures adoptées le 9 mai 2024 par la Loi modifiant diverses dispositions principalement dans le secteur financier (la « Loi 15 ») visant à répondre à la pénurie d’experts en sinistre. Vous pouvez consulter le résumé des mesures de la Loi 15 que nous avons préparé dans l’un de nos Bulletins Blakes antérieurs.
Le nombre important et la valeur des réclamations présentées aux assureurs à la suite des accumulations de pluies records occasionnées par les restes de l’ouragan Debby dans le sud du Québec en août 2024 a vraisemblablement mené le ministre à conclure que les mesures prises par la Loi 15 n’étaient pas suffisantes pour permettre à l’industrie de répondre adéquatement aux besoins des assurés lorsqu’un événement climatique extrême se produit.
Le projet de loi propose donc des mesures supplémentaires afin de répondre à cette problématique. D’une part, il propose de permettre à l’AMF d’autoriser, sur une base exceptionnelle et pendant une période donnée, le règlement des sinistres de plus de 5 000 $ par les personnes autorisées par la LDPSF à traiter électroniquement les réclamations à volume élevé et à faible valeur monétaire sous la supervision d’un expert en sinistre dûment certifié.
D’autre part, le projet de loi propose également que l’AMF puisse autoriser, selon les conditions qu’elle détermine, les personnes suivantes à agir à titre d’expert en sinistre au Québec : les personnes titulaires d’un certificat de représentant en assurance de dommages (agent et courtier), les personnes qui ont déjà été titulaires d’un certificat d’expert en sinistre, et les experts en sinistre autorisés à agir à l’extérieur du Québec.
Changements apportés en matière de gouvernance et de divulgation
Le projet de loi apporte des changements en matière de gouvernance et de transparence à l’égard de certains inscrits.
L’une des exigences de divulgation qui s’appliquent à tous les cabinets de courtage en assurance de dommages inscrits auprès de l’AMF offrant directement au public des produits d’assurance automobile ou d’assurance habitation a été resserrée, afin que chaque cabinet de courtage en assurance de dommages divulgue dans ses communications écrites par l’entremise desquelles il invite le public à acquérir des produits d’assurance le nom de l’institution financière détenant une participation représentant plus de 20 % de la valeur de ses capitaux propres ainsi que le nom du groupe financier, lorsqu’une personne morale liée à ce groupe financier détient une participation représentant plus de 20 % de la valeur des capitaux propres du cabinet. À l'heure actuelle, l’exigence de divulgation prévoit plutôt que le cabinet en assurance de dommages doit divulguer dans ses communications écrites par l’entremise desquelles il invite le public à acquérir des produits d’assurance le nom de toute personne morale détenant plus de 20 % de la valeur de ses capitaux propres ou, si cette personne fait partie d’un groupe financier, le nom du groupe financier. Rappelons qu’en vertu de la LDPSF, une institution financière ou une personne morale liée au groupe financier ne peut détenir une participation de plus de 50 % de la valeur des capitaux propres d’un cabinet de courtage en assurance de dommages.
Les sociétés d’assurances constituées au Québec verront l’exigence relative à la composition de leur conseil d’administration, selon laquelle la moitié des administrateurs doivent être des résidents du Québec, réduite à un tiers lorsque ces sociétés font partie d’un groupe financier, dont plus de 40 % des primes sont perçues à l’extérieur du Québec et dont la majorité des administrateurs résident au Canada.
Le projet de loi précise également que l’AMF pourra, par règlement, imposer aux cabinets, aux représentants autonomes et aux sociétés autonomes des normes de gouvernance en matière de gestion des risques, de conformité et de pratiques commerciales.
Nouveaux pouvoirs de l’AMF et du Tribunal administratif des marchés financiers
Le projet de loi renforce les pouvoirs de l’AMF et du Tribunal administratif des marchés financiers en augmentant les pénalités auxquelles s’exposent les intervenants du secteur financier dans le cas de non-respect de dispositions prévues par plusieurs lois sectorielles, notamment celles régissant les assureurs, les coopératives de services financiers, les institutions de dépôts et les sociétés de fiducie.
D’abord, les amendes imposées en cas d’infraction à plusieurs lois sous la responsabilité de l’AMF sont augmentées. Aussi, le Tribunal administratif des marchés financiers pourra, lorsque les changements seront en vigueur, imposer aux assureurs, aux coopératives de services financiers, aux sociétés d’épargne et aux sociétés de fiducie une sanction administrative pécuniaire (« SAP ») pouvant atteindre la somme de 2 M$ par jour, et ce, pour chaque journée pendant laquelle la contravention se poursuit lorsque l’assujetti contrevient à ses obligations en vertu de la loi applicable. Enfin, quiconque ayant aidé à l’accomplissement d’une contravention pourra également se voir imposer une SAP.
Prochaines étapes
La prochaine étape dans le cheminement du projet de loi, l’adoption de principe, devrait être franchie d’ici les prochaines séances de l’Assemblée nationale. Ensuite, le projet de loi sera vraisemblablement confié à la Commission des finances publiques, dont les membres se chargeront de rencontrer les groupes concernés et d’étudier le projet de loi en détail. Étant donné la nature des changements envisagés, nous anticipons que la sanction du projet de loi dans sa version définitive aura lieu, au plus tôt, à la fin de la prochaine session parlementaire, soit au début de décembre 2025.
Après l’adoption du projet de loi, des projets de règlement seront publiés afin de compléter la mise en œuvre des modifications proposées dans le projet de loi et feront l’objet d’une période de consultation avant d’être promulgués.
Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Réglementation des services financiers.
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