Le 13 mai 2021, le ministre responsable de la langue française du Québec Simon Jolin-Barrette a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi n⁰ 96 – Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, qui modifie la Charte de la langue française (la « Charte », également connue sous le nom de Loi 101) ainsi qu’un certain nombre de lois du corpus législatif québécois dans l’objectif de renforcer l’usage et la présence du français au sein de la société québécoise.
Ce bulletin résume les faits saillants du projet de loi qui, s’il est adopté et sanctionné, imposera de nouvelles obligations aux entreprises qui exploitent une entreprise au Québec.
LANGUE DE TRAVAIL
Le projet de loi modifie la Charte en ce qui a trait à la langue de travail dans les entreprises.
Assujettissement des entreprises de 25 employés aux obligations de francisation
La Charte assujettit présentement les entreprises de 50 employés ou plus aux obligations de francisation, qui consistent à atteindre et à maintenir la généralisation du français à tous les niveaux de l’entreprise. Le projet de loi propose de faire passer de 50 à 25 employés le seuil du nombre d’employés requis pour être assujetti à ces obligations.
Le projet de loi n’apporte aucune modification substantielle au processus de francisation et conserve le principe voulant qu’une entreprise ayant atteint le seuil de 100 employés doive former un comité de francisation. Il accorde cependant le pouvoir à l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF ») d’ordonner la création d’un comité de francisation au sein d’une entreprise de moins de 100 employés. Le projet de loi prévoit également des mécanismes afin de veiller à ce que les membres du comité de francisation jouent un rôle actif tant au cours du processus d’obtention du certificat de francisation que relativement à son maintien et impose au comité un devoir d’informer la direction de l’entreprise et l’OQLF de ses travaux. Par exemple, le projet de loi propose que les travaux du comité soient documentés au moyen de procès-verbaux signés par chacun des membres et transmis à la direction de l’entreprise et à l’OQLF.
Services d’apprentissage du français à certaines entreprises de 5 employés
Le projet de loi propose d’accorder à l’OQLF le pouvoir de choisir des entreprises de 5 à 24 employés afin de leur offrir des services d’apprentissage du français. L’offre présentée par l’OQLF à l’entreprise sélectionnée sera assortie d’un délai à l’intérieur duquel l’entreprise devra accepter les modalités de l’offre et les services fournis. L’entreprise sera alors tenue de faire profiter des services d’apprentissage aux employés qui ne sont pas en mesure de communiquer en français. Une entreprise qui refusera l’offre présentée par l’OQLF ne pourra conclure aucun contrat ni recevoir de subvention du gouvernement du Québec, de ses ministères ou de divers organismes gouvernementaux, municipaux et scolaires.
Documents relatifs au travail
Bien que les offres d’emploi, de mutation ou de promotion qu’un employeur diffuse doivent déjà être rédigées en français, le projet de loi prévoit que si de telles offres sont diffusées dans une autre langue que le français, elles devront l’être simultanément dans cette langue et en français et par des moyens de transmission de même nature atteignant un public cible de taille comparable, toutes proportions égales.
Plusieurs employeurs rédigent déjà en français divers documents en matière d’emploi. Le projet de loi modifie la Charte afin de préciser les obligations des employeurs à cet égard et prévoit notamment ce qui suit :
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Si un contrat individuel de travail constitue un contrat d’adhésion (par exemple, un contrat rédigé par l’employeur et à l’égard duquel un salarié ne peut négocier les modalités et les conditions essentielles) ou contient des clauses-types, ce contrat ne pourra être rédigé dans une autre langue que le français que si telle est la volonté expresse des parties et après que le candidat a pris connaissance de la version française du document. Si un contrat individuel de travail ne constitue pas un contrat d’adhésion ou ne contient pas de clauses-types, la volonté expresse des parties suffit.
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L’employeur devra utiliser le français dans le cadre de ses communications écrites à l’attention de son personnel, d’une partie de son personnel, d’un salarié individuel ou d’une association de travailleurs.
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Les formulaires de demande d’emploi, les documents ayant trait aux conditions de travail (par exemple, les manuels de l’employé, les politiques contre le harcèlement psychologique et toute autre politique de l’employeur) et les documents de formation produits à l’intention du personnel devront être rédigés en français. Si ces documents sont également rédigés en anglais, ils devront être accessibles en français dans des conditions au moins aussi favorables que ceux rédigés en anglais.
Enfin, lorsque les personnes adhérant à un groupe couvert par un contrat d’assurance collective ou de rente collective sont toutes des travailleurs qui ont un lien d’emploi avec un ou plusieurs employeurs, l’assureur sera notamment tenu de remettre au preneur une copie de la police rédigée en français; il en est de même des attestations d’assurance devant être distribuées à ces travailleurs.
Exigences linguistiques
La Charte prévoit actuellement qu’un employeur ne peut exiger une connaissance spécifique d’une langue autre que le français, à moins qu’une telle connaissance soit nécessaire pour l’accomplissement des tâches de ce poste. Le projet de loi impose un fardeau supplémentaire à l’employeur en exigeant que ce dernier ait, au préalable, pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’exiger la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que le français pour qu’une personne reste en poste ou y accède, notamment par recrutement, embauche, mutation ou promotion.
Selon le projet de loi, un employeur sera réputé avoir pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’exiger la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle si les trois conditions suivantes sont remplies :
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Il a évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir.
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Il s’est assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel étaient insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches.
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Il a restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle.
Protection contre la discrimination en matière de langue de travail
En plus de la protection offerte par la Charte des droits et libertés de la personne contre la discrimination basée sur la langue, le projet de loi prévoit que tout salarié a droit à un milieu de travail qui soit exempt de discrimination ou de harcèlement parce qu’il ne maîtrise pas ou peu une langue autre que le français, parce qu’il revendique la possibilité de s’exprimer en français ou parce qu’il a exigé le respect d’un droit découlant des obligations en matière de langue de travail. À cet effet, un employeur devra prendre les moyens raisonnables pour prévenir ce type de conduite et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.
Un salarié pourra déposer une plainte auprès de la CNESST (ou du syndicat) quant à tout non-respect de cette obligation. Une plainte relative à une telle conduite pourra être déposée à l’intérieur d’un délai de deux ans suivant la dernière manifestation de cette conduite. Une telle plainte pourra être entendue par le Tribunal administratif du travail (ou, le cas échéant, par le Tribunal des droits de la personne), ou par un arbitre de griefs en milieu syndiqué.
Recours contre une pratique interdite en matière linguistique
Un recours à l’encontre d’une exigence linguistique considérée comme injustifiée existe déjà dans la Charte. Le projet de loi établit une pratique interdite en matière d’emploi dans le but de protéger les travailleurs contre les représailles en cas d’exercice d’un droit prévu à la Charte. En effet, le projet de loi prévoit qu’il est à interdit à tout employeur de congédier, de mettre à pied, de rétrograder ou de déplacer un membre de son personnel, d’exercer à son endroit des représailles ou de lui imposer toute autre sanction pour la seule raison que celui-ci ne parle que le français ou qu’il ne connaît pas suffisamment une langue donnée autre que le français, ou pour, entre autres, l’un des motifs suivants :
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le salarié a exigé le respect d’un droit découlant des dispositions sur la langue de travail contenues dans la Charte de la langue française;
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pour dissuader le salarié d’exercer un tel droit;
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parce que le salarié n’a pas la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que le français alors que l’accomplissement de la tâche ne le nécessite pas.
Un salarié pourra déposer une plainte de pratique interdite auprès de la CNESST (ou du syndicat, en milieu syndiqué). Toute plainte relative à une telle pratique interdite devra être déposée dans les 45 jours de la survenance de l’événement dont la personne se plaint. Une telle plainte sera entendue par le Tribunal administratif du travail ou un arbitre de griefs, en milieu syndiqué.
LANGUE DES AFFAIRES
Exigences relatives aux contrats d’adhésion ou contenant des clauses-types
Le projet de loi modifie notamment la règle applicable aux contrats d’adhésion (contrats types) selon laquelle il est possible de conclure un tel contrat dans une langue autre que le français, si telle est la volonté expresse des parties. Les modifications apportées par le projet de loi requièrent que l’adhérent prenne connaissance de la version française du contrat avant de consentir et d’être lié par un contrat d’adhésion rédigé dans une langue autre que le français et de consentir à également recevoir des documents se rattachant au contrat dans cette autre langue.
Le projet de loi propose d’interdire expressément au cocontractant d’exiger une somme de l’adhérent pour la préparation d’une version française du contrat d’adhésion ou des documents s’y rattachant.
Par ailleurs, le projet de loi envisage de permettre à l’adhérent d’invoquer la nullité du contrat d’adhésion en cas de non-respect de l’obligation de porter la version française du contrat d’adhésion à l’attention de l’adhérent et de le faire bénéficier d’une présomption selon laquelle le non-respect de cette obligation lui cause préjudice qu’il pourra invoquer dans le cadre de son action en nullité.
Les employeurs au Québec qui font appel à des entrepreneurs indépendants et à des consultants par le biais de contrats de service devraient porter une attention particulière à cette modification puisque les contrats de service conclus avec eux pourraient, dans certains cas, être considérés comme des contrats d’adhésion ou contenant des clauses-types et être assujettis à cette nouvelle règle.
Affichage public des marques de commerce
Un autre changement important apporté par le projet de loi est celui portant sur les règles d’affichage externe des marques de commerce. Le critère permettant d’évaluer si l’affichage externe comprenant une marque de commerce dans une langue autre que le français se conforme à la Charte passe de la « présence suffisante » à la « nette prédominance » de l’élément français de l’affichage. Conséquemment, si les changements proposés sont adoptés, plusieurs entreprises devront réévaluer leur affichage externe et déterminer s’il se conforme à ces nouvelles règles.
PUBLICITÉ LÉGALE DES ENTREPRISES
Le projet de loi apporte des modifications à diverses autres lois, dont la Loi sur la publicité légale des entreprises afin d’imposer notamment une nouvelle obligation de divulgation d’information continue permettant à l’OQLF d’identifier les entreprises ayant besoin des services d’apprentissage du français qu’elle proposera. Ainsi, la déclaration d’immatriculation de toute entreprise de 5 à 24 salariés devra inclure, en plus de son nombre de salariés dont le lieu de travail est situé au Québec, la proportion de ces salariés qui ne sont pas en mesure de communiquer en français.
PÉNALITÉS
Dans le projet de loi, on propose d’augmenter de manière significative le montant des pénalités auxquelles les entreprises ainsi que leurs administrateurs et dirigeants s’exposent lors d’une contravention à la Charte.
Le projet de loi prévoit précisément que chaque jour au cours duquel une entreprise poursuit la commission d’une infraction constitue une infraction distincte. En pratique, cela signifie que lorsqu’une entreprise contrevient à la loi, elle s’expose non seulement au paiement d’une amende variant de 3 000 $ à 30 000 $ par jour, mais elle expose également ses administrateurs et ses dirigeants à des amendes dont les montants sont également calculés en fonction du nombre de jours pendant lesquels l’entreprise contrevient à la loi. Les amendes pouvant être imposées aux administrateurs et aux dirigeants varient quant à elles entre 1 400 $ et 14 000 $ par jour.
De plus, la somme des pénalités est doublée en cas d’une première récidive et triplée lors de récidives additionnelles. Aussi, le projet de loi limite l’application de cette règle à une période précise (soit à une période de 5 ou 2 ans suivant la déclaration de culpabilité pour l’infraction antérieure, selon le montant de l’amende imposée par le tribunal relativement à l’infraction antérieure) et délimite les circonstances de son application.
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