Sauter la navigation

Répartition des compétences : Modifications proposées à la Loi sur l’évaluation d’impact du Canada

Par Charles Kazaz, Jonathan W. Kahn, Lana Finney et Humna Wasim (stagiaire)
22 mai 2024

Le gouvernement fédéral du Canada (le « gouvernement fédéral ») propose d’apporter des modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact (la « LEI ») qui, d’après lui, visent à garantir la solidité de celle-ci sur le plan constitutionnel en assurant un équilibre entre les objectifs liés à la protection de l’environnement et ceux liés au développement.

Les modifications à la LEI que propose le gouvernement fédéral (les « modifications proposées ») sont comprises dans la Loi no 1 d’exécution du budget de 2024, laquelle mettrait en œuvre les principaux engagements annoncés dans le budget fédéral de 2024. Elles visent pour leur part à donner suite à un avis consultatif (l’« Avis ») rendu récemment par la Cour suprême du Canada (la « CSC »), selon lequel certains volets de la LEI qui concernent l’examen des grands projets seraient inconstitutionnels parce que ceux-ci empiètent sur des questions de compétence provinciale. Pour en savoir davantage, consultez notre Bulletin Blakes d’octobre 2023 intitulé La CSC statue que la partie de la Loi sur l’évaluation d’impact traitant des « projets désignés » est inconstitutionnelle.

MODIFICATIONS PROPOSÉES

La LEI établit le processus d’évaluation d’impact qui s’applique à certains grands projets, ainsi qu’à certains projets réalisés sur un territoire domanial ou à l’étranger.

Dans son Avis, la CSC déclare que certains volets de la LEI ont une portée trop large et vont au-delà de l’éventail des comportements que le Parlement peut valablement réglementer. Le gouvernement fédéral propose donc d’apporter des modifications aux volets qui portent sur les grands projets, de façon que la LEI traite uniquement des questions de compétence fédérale afin de s’assurer qu’elle est valide sur le plan constitutionnel. En outre, comme les provinces ont adopté des lois régissant l’évaluation des impacts sur l’environnement, les modifications proposées visent également à mettre en avant la nécessité pour le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux de collaborer sur les questions relatives à l’évaluation d’impact, dans l’esprit du fédéralisme coopératif. À cet égard, d’ailleurs, le gouvernement fédéral a réitéré son engagement à appliquer une approche « un projet, une évaluation » en ce qui a trait à l’examen des grands projets.

Effets relevant d’un domaine de compétence fédérale

En réponse à l’Avis, selon lequel la définition actuelle d’« effet relevant d’un domaine de compétence fédérale » est trop large, du fait qu’elle comprend  tout changement  apporté aux composantes de l’environnement, y compris tout changement transfrontalier de  l’environnement , et tout changement ayant des répercussions sur les peuples autochtones, les modifications proposées limitent la portée de cette définition aux effets qui sont clairement liés aux domaines de compétence fédérale en vertu de la Constitution. Par conséquent, une nouvelle définition d’« effets négatifs relevant d’un domaine de compétence fédérale » serait introduite. Celle-ci limiterait les effets donnant lieu à un examen aux « changements négatifs non négligeables » relevant de la compétence législative du Parlement. La nouvelle définition permettrait d’éviter les situations dans lesquelles des effets négligeables ou des changements positifs seraient utilisés comme fondement à un processus fédéral d’évaluation d’impact. 

Les effets négatifs spécifiés qui relèvent de domaines de compétence fédérale comprennent les changements négatifs non négligeables touchant les poissons et leur habitat, les espèces aquatiques et les oiseaux migrateurs; les changements négatifs à l’environnement qui se produisent sur un territoire domanial; et les changements à l’environnement entraînant des répercussions directes sur les peuples autochtones. En réponse à l’Avis de la CSC, les références générales à des effets transfrontaliers interprovinciaux et internationaux contenues dans la LEI seraient supprimées, et l’accent serait désormais mis uniquement sur les effets transfrontaliers liés à des domaines de compétence fédérale. La portée de la nouvelle définition engloberait donc les changements négatifs non négligeables à l’environnement marin qui sont causés par la pollution et qui se produisent à l’étranger, de même que les changements négatifs non négligeables causés par la pollution aux eaux limitrophes ou aux eaux internationales. Il convient de noter que la définition ne ferait pas explicitement mention de la pollution atmosphérique transfrontalière.

Désignation de projets et décisions préalables

À l’heure actuelle, un projet est soumis à la LEI s’il figure dans la Liste des projets établie aux termes du Règlement sur les activités concrètes. Le ministre de l’Environnement (le « ministre ») peut néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour désigner à l’examen un projet, s’il estime que l’exercice de l’activité peut entraîner des effets relevant d’un domaine de compétence fédérale qui sont négatifs, ou que les préoccupations du public concernant ces effets le justifient. Le gouvernement fédéral a indiqué que la Liste des projets resterait une base de désignation des projets en vertu de la LEI, et qu’une consultation publique visant à examiner et à modifier la Liste des projets aura lieu une fois que les modifications législatives proposées seront en vigueur.

En ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire du ministre, les modifications précisent que ce dernier ne pourrait soumettre à l’examen un projet que si ce dernier comporte un risque d’effets négatifs non négligeables relevant d’un domaine de compétence fédérale. Pour prendre une telle décision, le ministre pourrait continuer de prendre en compte les préoccupations du public, les évaluations régionales ou stratégiques pertinentes et les répercussions préjudiciables sur les droits des Autochtones. Toutefois, aux termes des modifications, le ministre pourrait par ailleurs déterminer, à l’avenir, si d’autres processus fédéraux ou provinciaux existants disposent de moyens, autres que l’évaluation d’impact, pour traiter les effets relevant d’un domaine de compétence fédérale.

De même, en ce qui concerne les décisions relatives aux examens préalables prises par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (l’« Agence »), les modifications prévoient que l’Agence ne pourrait pas exiger une évaluation à moins d’être convaincue que la réalisation du projet en question puisse entraîner des effets négatifs non négligeables relevant d’un domaine de compétence fédérale. Le cas échéant, d’autres facteurs pourraient être pris en compte pour déterminer si une évaluation est justifiée, notamment un facteur supplémentaire visant à déterminer l’existence d’autres processus fédéraux ou provinciaux pour traiter les effets négatifs potentiels relevant d’un domaine de compétence fédérale.

Décision relative à l’intérêt public

Les modifications proposées prévoient de surcroît une reformulation et un resserrement du critère de l’intérêt public. À l’heure actuelle, la prise de décisions fondée sur l’intérêt public en vertu de la LEI exige l’examen de nombreux éléments pondérés de manière égale, dont certains ne relèvent pas de la compétence fédérale. Dans son Avis, la CSC note qu’il est nécessaire que ces décisions soient fondées sur des effets négatifs importants relevant d’un domaine de compétence fédérale, sans égard à d’autres effets négatifs ne relevant pas d’un domaine de compétence fédérale. Par conséquent, les modifications proposées exigeraient que la prise de décisions fondée sur l’intérêt public soit clairement axée sur la prévention des effets négatifs dans les limites de la compétence fédérale. Si les modifications proposées sont adoptées, il faudra tout d’abord déterminer si des effets négatifs importants relevant d’un domaine de compétence fédérale sont susceptibles d’être entraînés par un projet désigné. Le cas échéant, il faudra déterminer si ces effets sont justifiés dans les circonstances. Si tel est le cas (à ce moment-là seulement), les éléments prescrits pourront être pris en compte, notamment les répercussions préjudiciables potentielles sur les peuples autochtones, la mesure dans laquelle les effets d’un projet portent atteinte ou contribuent à la capacité du gouvernement fédéral de respecter ses obligations en matière environnementale et ses engagements en matière de changements climatiques, et la mesure dans laquelle le projet contribue à la durabilité. 

Coopération entre les gouvernements

Les modifications proposées visent à promouvoir la coopération entre les juridictions, y compris les organismes directeurs provinciaux et autochtones, dans l’administration de la LEI. Dans son Avis, la CSC encourage la coopération intergouvernementale et l’adoption d’une approche « un projet, une évaluation » afin d’éviter les dédoublements. Sur ce front, les modifications soulignent l’importance de mettre en œuvre le processus d’évaluation d’impact d’une manière qui favorise l’harmonisation des mesures prises par les gouvernements dans le but d’évaluer les effets des projets désignés. Les modifications proposées offriraient une plus grande marge de manœuvre en permettant la substitution du processus d’une autre instance à l’évaluation d’impact pour les projets désignés afin d’éviter le dédoublement des processus d’examen. Le ministre pourrait en effet substituer le processus d’une autre instance à l’évaluation d’impact, en tout ou en partie, lorsqu’il détermine que les exigences de la LEI seraient respectées entre les juridictions. L’objectif est de permettre à l’instance la mieux placée d’entreprendre certains aspects de l’évaluation. Cela dit, la décision définitive relèverait de chaque instance.

Protection des droits des Autochtones

Bien que des préoccupations n’aient pas été explicitement soulevées dans l’Avis à ce chapitre, les modifications proposées à la LEI comportent diverses dispositions visant à mieux aligner la LEI sur les dispositions de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (la « DNUDPA »). Le préambule de la LEI a été modifié afin de reconnaître l’importance de mettre en œuvre le processus d’évaluation d’impact d’une façon qui intègre les connaissances autochtones et favorise la réconciliation et le travail en partenariat avec les peuples autochtones du Canada.

Le mandat de la LEI a été modifié pour stipuler que, dans l’administration de la LEI, le gouvernement fédéral, le ministre, l’Agence et les autorités fédérales doivent exercer leurs pouvoirs de manière à favoriser la durabilité et à respecter les droits des peuples autochtones du Canada, reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il y a lieu de s’attendre à ce que le gouvernement fédéral traite en priorité l’adoption de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2024 par la Chambre des communes et le Sénat afin de faire rapidement progresser la mise en œuvre de plusieurs priorités clés et modifications législatives énoncées dans le budget fédéral de 2024. Notre groupe Environnement surveillera l’évolution du projet de loi et fera le point sur les développements importants.

Pour en savoir davantage, communiquez avec :


ou un autre membre de notre groupe Environnement.

Plus de ressources