
Les actions collectives évoluent constamment au Canada, et le Québec fait face à ses propres défis. Les dernières années ont été marquées par de nouveaux assouplissements des critères d’autorisation et de nombreux échecs d’actions collectives au mérite entreprises sous l’égide de la Loi sur la protection du consommateur. Dans cet épisode de Volume d’affaires, Anthony Cayer, avocat au sein du groupe Litiges et règlement des différends de Blakes, analyse ces tendances en s’appuyant sur plusieurs décisions majeures rendues au Québec.
- Débats autour de la phase d’autorisation au Québec (00:50)
- Affaire Homsy c. Google (02:08)
- Affaire Salko c. Financière Banque Nationale (04:27)
- Échec d’actions collectives au mérite en raison de l’absence de preuve relative au préjudice (07:30)
- Affaire Lussier c. Expedia (09:03)
- Une tendance qui tend à s’imposer comme une norme? (11:18)
Retranscription
Audrey : Bienvenue au balado Volume d’Affaires de Blake. Je m’appelle Audrey Delannet, heureuse de vous retrouver pour un nouvel épisode consacré aux actions collectives avec un focus particulier sur le Québec et les développements clés qui ont marqué ces dernières années.
Je suis aujourd’hui accompagnée d’Anthony Cayer, avocat chez Blakes et membre du groupe Litige et règlement des différends. Nous discuterons des tendances récentes en matière d’actions collectives, autant au stade de l’autorisation qu’au mérite pour les quelques dossiers en actions collectives qui se rendent à ce stade. Afin d’illustrer le tout, nous nous plongerons dans des affaires qui ont marqué le secteur des actions collectives au Québec ces derniers temps.
[musique]
Bonjour Anthony.
Anthony : Bonjour Audrey.
Audrey : Tout d’abord, Anthony, un des grands sujets du secteur des actions collectives se trouve dans la phase d’autorisation qui continue d’être au cœur des débats. Comme on le sait, le seuil pour obtenir l’autorisation est souvent considéré comme plus accessible au Québec. Que peux-tu nous dire à ce sujet?
Anthony : Effectivement, Audrey, on ne surprendra aucun auditeur en affirmant d’entrée de jeu que les critères d’autorisation au Québec sont les moins difficiles à remplir pour les demandeurs et que finalement, l’autorisation d’une action collective est plus facile à obtenir au Québec que dans le reste du pays. Mais qui veut parler d’actions collectives au Québec doit absolument parler du stade de l’autorisation. C’est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre puisque la Cour suprême a entendu au cours de la dernière décennie et quelques miettes, plusieurs appels visant l’autorisation d’une action collective québécoise. On les connaît bien ces arrêts de la Cour suprême, dans l’affaire Infineon, dans l’affaire Vivendi, l’Oratoire Saint-Joseph et plus récemment, en 2020, dans le dossier Asselin. Évidemment, ces décisions de la Cour suprême, ce ne sont pas vraiment des développements récents, mais l’application de ces décisions par la Cour d’appel du Québec et la Cour supérieure du Québec continue de faire évoluer les critères d’autorisation. Ce que les cours recherchent, c’est vraiment de limiter l’exercice d’autorisation à celui de filtrer les demandes d’actions collectives dans le but d’écarter celles qui sont frivoles, ne représentant aucune chance de succès ou encore qui sont manifestement mal fondées.
Audrey : L’affaire Homsy c. Google illustre très bien la façon dont les critères d’autorisation établis par la Cour suprême continuent d’être interprétés par les tribunaux québécois. Que peux-tu nous dire à ce sujet?
Anthony : L’affaire Homsy c. Google a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel fort intéressant quant à l’un des critères au stade de l’autorisation, à savoir que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. Bien que les faits de l’affaire soient peu pertinents afin d’apprécier les enseignements de la Cour, rapidement, on alléguait contre Google qu’en procédant à l’extraction, la collecte, la conservation et l’utilisation des données biométriques faciales des membres du groupe dans le but d’opérer son application Google Photos, qu’elle violait illicitement et intentionnellement, le droit à la vie privée des membres du groupe.
Au stade de l’autorisation, il est admis que les faits allégués par le demandeur se doivent d’être tenus pour adhérer, à moins qu’ils soient vagues, généraux ou imprécis, auquel cas, le demandeur doit présenter une certaine preuve afin de soutenir ses prétentions.
En première instance, le juge avait rejeté la demande d’autorisation puisque plusieurs des faits allégués, notamment en ce qui concerne l’utilisation des données biométriques faciales des membres du groupe, n’étaient pas à la connaissance personnelle du demandeur et donc devaient être supportés d’une certaine preuve, ce qui n’avait pas été fait en l’espèce.
La Cour d’appel, en accueillant l’appel et retournant le dossier au premier juge, explique que la jurisprudence québécoise, y compris certains arrêts de la Cour d’appel rendus quelques mois plus tôt, avait mal lu et interprété la jurisprudence de la Cour suprême du Canada quant à ce critère. En fait, tout comme le juge de première instance, les cours québécoises avaient interprété que les faits allégués, qui ne sont pas la connaissance personnelle du demandeur, doivent être appuyés d’une certaine preuve. En d’autres mots, comme le demandeur n’aurait pas une connaissance personnelle de ces faits, il s’agirait nécessairement d’une allégation vague ou hypothétique.
La Cour d’appel a rectifié le tir en précisant que même en ce qui concerne les faits qui ne sont pas la connaissance personnelle du demandeur, ceux-ci n’ont besoin d’être appuyés d’une certaine preuve que si les allégations qui les décrivent sont vagues ou imprécises. En d’autres mots, un fait qui n’est à pas la connaissance personnelle du demandeur n’est pas pour autant vague ou imprécis. Ici la Cour d’appel a précisé et je la cite « Voilà qui, à mon avis, constitue une nouvelle atténuation des exigences préalables à l’obtention d’une autorisation. C’est néanmoins l’état actuel du droit positif. »
Audrey : Tout récemment, la Cour d’appel du Québec a également rendu un arrêt important au stade de l’autorisation, non pas quant à l’analyse des critères d’autorisation, mais bien quant au rôle des tribunaux à ce stade. Peux-tu nous donner un aperçu de cette affaire?
Anthony : Le 30 janvier dernier, dans l’affaire Salko c. Financière Banque Nationale, la Cour d’appel a encadré le rôle du tribunal dans son exercice de filtrage des actions collectives frivoles ou manifestement non fondées en droit. Cette affaire, pour donner un peu de contexte, survient dans le cadre des activités de service de courtage en direct ou de courtage à escompte de plusieurs institutions financières. Quand une personne ouvre un compte pour transiger en ligne sur les marchés boursiers auprès des institutions financières, elle peut le faire soit en devises canadiennes ou en devises américaines.
Ici le demandeur, M. Salko, avait ouvert un compte en devises canadiennes, mais a acheté et vendu des titres de sociétés transigés sur le marché boursier américain. Il a donc transigé en dollars américains à partir d’un compte en dollars canadiens et évidemment, dans ce contexte-là, l’institution financière a dû procéder à la conversion de devises. D’abord, les dollars canadiens ont été convertis en dollars américains lors de l’achat, et puis les dollars américains ont été convertis en dollars canadiens lors de la vente. Évidemment, toutes ces conversions-là se sont faites avec des taux de conversion.
M. Salko, qui pensait avoir été en mesure de faire de bons gains, s’est plutôt rendu compte qu’avec les taux de conversion, il avait fait des pertes. Il a donc entrepris une action collective sous l’égide de la Loi sur la protection du consommateur, puisque, selon lui, les frais de conversion n’étaient pas prévus au contrat, qui le liait à son institution financière ainsi que pour représentation fausse et trompeuse. Son recours a également été entrepris sous le Code civil du Québec.
Au stade de l’autorisation, le juge de première instance a déterminé, au grand dam du demandeur, que la Loi sur la protection du consommateur ne s’appliquait pas, parce que les transactions sur les marchés boursiers et les conversions de devises, accessoires et incidentes à ces transactions n’étaient pas régies par la Loi sur la protection du consommateur, mais bien par la Loi sur les valeurs mobilières. Le juge a donc autorisé l’action collective quant à la cause d’action sous le Code civil du Québec, mais a rejeté toutes les causes d’action fondées sur la Loi sur la protection du consommateur.
Le demandeur a appelé de cette décision, alléguant que le juge de première instance n’avait pas à se prononcer sur l’applicabilité de la Loi sur la protection du consommateur, alors que de répondre à cette question n’emporterait pas le sort de la demande d’autorisation. Le demandeur soumettait à la Cour d’appel, en fait, qu’un juge autorisateur doit trancher une question de droit uniquement si elle permet de rejeter la demande d’autorisation dans son entièreté.
La Cour d’appel rejette catégoriquement l’argument de M. Salko en rappelant que dans le cas de son rôle de filtrage, le juge autorisateur se doit d’analyser chacune des causes d’action invoquées et n’autoriser que celles qui satisfont au seuil requis. D’ailleurs, la Cour d’appel confirme que cette approche cadre avec le principe de saine gestion des ressources judiciaires à une époque où l’accès aux tribunaux judiciaires représente un défi important.
À la lumière de cet arrêt, bien que la discrétion du juge d’autorisation de trancher une pure question de droit demeure, on pourrait voir plus de questions de droit trancher au stade de l’autorisation au lieu que celle-ci soit déférée au mérite.
Audrey : J’aimerais maintenant qu’on aborde une autre grande tendance en actions collectives, celle de l’échec d’actions collectives au mérite en raison de l’absence de preuve relative au préjudice. Peux-tu nous en dire plus sur cette tendance qui s’est dessinée ces dernières années?
Anthony : Bien sûr Audrey, je crois que ta question était très précise, mais je pense qu’il était important de vraiment bien contextualiser cette nouvelle tendance. Comme tu le disais, ici on n’est plus au stade de l’autorisation, on est bien au stade du mérite, mais plus précisément, on est dans le cadre d’actions collectives entreprises sous l’égide de la Loi sur la protection du consommateur.
La Cour supérieure a rendu quelques décisions dans des dossiers d’actions collectives en matière de protection du consommateur, en concluant que si une pratique interdite en vertu de la loi est constatée, cela n’implique pas ipso facto que des consommateurs en aient subi un préjudice. Encore doivent-ils quantifier le préjudice allégué en fonction du vice informationnel subi par les consommateurs en raison du manquement à la loi. En d’autres mots, la fameuse présomption des préjudices énoncée par la Cour suprême dans l’arrêt Richard c. Time Inc. ne dispense pas les membres de l’action collective de quantifier leur préjudice. La présomption irréfragable de préjudice de Time s’applique au consentement du consommateur et donne ouverture à une réparation en vertu de la Loi sur la protection du consommateur, lorsqu’applicable. Toutefois, le préjudice que vise la réparation en vertu de la Loi sur la protection du consommateur se doit d’être quantifié. C’est une tendance qu’on pourrait dire qui s’inscrit dans un contexte judiciaire plus large voulant qu’une action en justice ne vise pas l’enrichissement, et ce, même en matière de consommation.
Audrey : D’accord. Donc l’affaire Lussier c. Expedia illustre parfaitement cette tendance. Peux-tu nous expliquer les faits?
Anthony : Non seulement l’affaire Lussier c. Expedia illustre bien cette tendance, mais c’est d’ailleurs la décision la plus récente qui s’inscrit dans cette mouvance. Cette décision a été rendue en février 2024. Expedia faisait face à une action collective en lien avec des frais cachés, plus particulièrement en lien avec des frais hôteliers, des frais d’établissement ou encore ce qu’on appelle en anglais des « Resort fees », ce sont des frais qui permettent aux clients d’un hôtel de profiter d’une gamme de services dispensés par l’hôtel. On peut penser à l’accès à une piscine, Internet, etc. En fait, ce qu’on reprochait à Expedia, c’était qu’une fois rendu à un hôtel réservé à l’aide de la plateforme Expedia, les membres du groupe ont dû débourser un montant supplémentaire obligatoire et payable une fois rendu à l’hôtel, plus particulièrement payable à la fin du séjour, directement sur la carte de crédit présentée par le consommateur à son arrivée pour garantir le paiement des frais incidents.
La Cour supérieure a autorisé M. Lussier à entamer une action collective contre Expedia, notamment en vertu de l’article 224 c) de la Loi sur la protection du consommateur, interdisant à un commerçant d’exiger, pour un bien ou un service, un prix supérieur à celui qui est annoncé. Le recours a été également pris sous l’angle de représentations fausses et trompeuses, en plus de passer sous silence des faits importants. Je vous épargne le détail de l’analyse du juge, mais on retiendra de l’avis de la Cour qu’Expédia n’avait commis aucune pratique interdite au sens de la Loi sur la protection du consommateur.
La Cour aurait pu arrêter son analyse ici, mais elle va plus loin. Elle indique que même si elle avait conclu en une pratique interdite de la part d’Expedia, elle aurait tout de même rejeté l’action collective en l’absence de toute preuve de dommages, et ce, compte tenu des circonstances de l’affaire établies.
On retiendra de ces circonstances, notamment, que la facturation des frais hôteliers n’était pas illégale en soi; que les frais hôteliers exigés l’ont été pour des services clairement définis dont le demandeur a pu bénéficier durant son séjour; que même si le demandeur avait complété sa réservation par un autre moyen ou à l’aide d’un autre site de réservation des frais hôteliers lui auraient également été chargés; et surtout qu’Expedia n’a collecté aucuns frais hôteliers, en ce sens, Expedia ne s’est nullement enrichie, bien au contraire, soumet la cour.
Audrey : Enfin, d’après toi, est ce qu’on pourrait dire que cette tendance à rejeter des actions collectives au mérite en l’absence de preuves de préjudice dans le cadre de la protection du consommateur est en train de s’imposer comme une norme?
Anthony : C’est certain que ce que l’on remarque présentement, c’est un courant jurisprudentiel important qui émane de la Cour supérieure. Il y a également d’ailleurs une décision de la Cour d’appel qui a avalisé cette tendance dans l’affaire Fortin c. Mazda Canada. Toutefois, je précise que la Cour d’appel devrait rendre prochainement un arrêt fort attendu précisément sur cette question dans le dossier Union des consommateurs c. Air Canada, qui nous en dira davantage sur la longévité de cette tendance. Une chose est sûre, peu importe la décision qui sera rendue par la Cour d’appel du Québec, on peut s’attendre à ce que les avocats en demande d’actions collectives trouvent des moyens pour pallier cette tendance.
Audrey : Merci beaucoup Anthony de nous avoir partagé tes réflexions sur ce sujet. Il est clair que le secteur des actions collectives est en constante évolution et nous suivrons avec attention les décisions à venir. J’invite les auditeurs qui souhaitent en apprendre davantage sur ce sujet et sur notre balado à visiter notre site Web blakes.com. Merci pour votre écoute et à la prochaine.
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