En mai 2024, Red Lobster Management LLC (« RL Management ») et quatorze membres de son groupe, y compris Red Lobster Canada Inc. (« Red Lobster Canada ») (collectivement, « Red Lobster »), ont entamé des procédures devant la Bankruptcy Court des États-Unis pour le district de la Floride, division d’Orlando (la « Bankruptcy Court des États-Unis »), en produisant volontairement une pétition en faillite en vertu du chapitre 11, titre 11 du United States Code (le « chapitre 11 »).
RL Management a demandé ensuite à la Cour supérieure de justice de l’Ontario (rôle commercial) (la « CSJO ») de rendre, en vertu de la partie IV de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (Canada) (la « LACC »), des ordonnances de reconnaissance à l’égard des procédures engagées en vertu du chapitre 11 visant RL Management, Red Lobster Canada et une entité détenant des actifs de propriété intellectuelle enregistrés au Canada. La CSJO a rendu les ordonnances reconnaissant les procédures en question en tant qu’« instance étrangère principale » et a accordé des redressements connexes.
La restructuration de Red Lobster a été finalisée en octobre 2024; aux termes de cette restructuration, Red Lobster a pu assurer la continuité de ses activités à la suite de la vente de l’entreprise à son créancier garanti par le biais d’un plan de réorganisation. Les 27 restaurants canadiens de Red Lobster sont demeurés ouverts.
La restructuration de Red Lobster (l’« affaire Red Lobster ») a été l’une des affaires les plus médiatisées de 2024 en la matière, ayant suscité un vif intérêt de la part non seulement des divers intervenants du domaine de la restructuration, mais aussi du grand public. Dans le climat économique actuel, il y a lieu de s’attendre à ce que de telles restructurations transfrontalières soient plus fréquentes. L’affaire Red Lobster met en lumière certaines des différences clés entre le droit canadien de l’insolvabilité et son homologue américain, et comment ces différences sont conciliables en vertu de la partie IV de la LACC. Voici cinq points à retenir des procédures transfrontalières de Red Lobster :
1. Roulement dans le financement de débiteur-exploitant
Au début des procédures en vertu du chapitre 11 de Red Lobster, la Bankruptcy Court des États-Unis a approuvé un financement de débiteur-exploitant (debtor-in-possession financing) (le « financement DE ») proposé par les prêteurs de Red Lobster qui, avant la pétition en faillite de cette dernière, lui avaient fourni des facilités de crédit à terme. Le financement DE comportait non seulement de nouveaux capitaux, mais aussi le financement réputé des obligations de Red Lobster au titre de prêts consentis à cette dernière avant sa pétition en faillite, lesquelles obligations ont fait l’objet d’un « roulement » (roll-up) dans le financement DE.
Or, ce type de roulement n’est pas permis dans le cadre des procédures plénières entamées en vertu de la LACC; en effet, l’article 11.2 de cette loi interdit l’utilisation de charges ordonnées par le tribunal postérieures au dépôt d’une procédure sous le régime de la LACC pour garantir des obligations antérieures à ce dépôt. Cependant, dans le cadre de la reconnaissance d’instances étrangères, les tribunaux canadiens ont reconnu des ordonnances rendues par des tribunaux américains relativement à l’approbation de roulements dans le financement DE, notamment lorsqu’il peut être démontré qu’un tel roulement ne portera pas préjudice aux garanties des créanciers canadiens. La procédure transfrontalière de Red Lobster s’appuyait sur ces précédents.
Le critère applicable ne consiste pas à déterminer si le redressement demandé pourrait être obtenu dans le cadre de procédures plénières entamées en vertu de la LACC, mais plutôt si la reconnaissance de l’ordonnance étrangère serait contraire à l’ordre public canadien. Habituellement, le tribunal canadien saisi de la demande de reconnaissance n’interférera pas avec la décision du tribunal américain ou ne remettra pas cette décision en question, tant que l’ordonnance étrangère n’est pas incompatible avec l’ordre public canadien.
2. Optionnalité du plan de restructuration
La procédure engagée par Red Lobster avait pour but de réaliser une restructuration opérationnelle générale de l’entreprise et une vente qui maximiserait la valeur de cette dernière, et ce, dans le cadre d’un processus en vertu du chapitre 11. Le soumissionnaire-paravent, qui était l’un des prêteurs de Red Lobster lui ayant fourni des facilités de crédit à terme avant la pétition en faillite, a été retenu. Red Lobster a décidé d’aller de l’avant avec l’opération par le biais d’un plan de restructuration conjoint (le « plan de restructuration »), lequel prévoyait des redressements possibles pour les créanciers non garantis.
Le plan de restructuration proposait une approche qui maintenait l’optionnalité et une certaine souplesse. Il offrait à l’acheteur la possibilité d’acquérir les titres de capitaux propres restructurés de certaines entités de Red Lobster, tout en prévoyant l’acquisition des actifs des débiteurs restants, y compris ceux de la société mère, RL Management. Les titres de capitaux propres restructurés de Red Lobster Canada ont fait l’objet d’une acquisition indirecte (par le biais de l’annulation des titres de capitaux propres existants détenus par sa société mère et de l’émission de nouveaux titres de capitaux propres à l’acheteur), ce qui permettait le maintien en poste des employés, la conservation des baux immobiliers (tels que modifiés par consensus) et la transition des permis d’alcool à la suite d’un changement de propriété.
3. Libérations de tiers
L’affaire Red Lobster est l’une des premières affaires à aborder la disponibilité de libérations de tiers aux termes d’un plan de restructuration en vertu du chapitre 11, à la suite de la décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire William K. Harrington, United States Trustee, Region 2, Petitioner v. Purdue Pharma L.P. et al. Dans cette affaire, la Cour suprême des États-Unis a statué que les libérations de tiers non consensuelles n’étaient pas permises dans le cadre d’un plan de restructuration en vertu du chapitre 11.
Aux termes du plan de restructuration dans l’affaire Red Lobster, les parties accordant des libérations de tiers se limitaient à celles (i) qui avaient voté en faveur du plan de restructuration; (ii) qui avaient consenti expressément et par écrit à ces libérations; (iii) qui, autrement, étaient en faveur du plan de restructuration. La Bankruptcy Court des États-Unis était satisfaite de cette approche. La CSJO a reconnu l’ordonnance de confirmation rendue par la Bankruptcy Court des États-Unis et a déterminé que les libérations de tiers prévues au plan de restructuration étaient conformes à l’approche prescrite à cet effet dans le cadre des procédures plénières en vertu de la LACC.
4. Adhésion forcée
Le plan de restructuration a été accepté par la majorité du nombre de voix exprimées par les créanciers dans chacune des deux catégories de créanciers votant sur ledit plan, y compris la majorité des créanciers non garantis. Or, les créanciers non garantis ayant voté en faveur du plan de restructuration ne représentaient pas au moins deux tiers des réclamations conférant droit de vote. Contrairement à un plan de transaction ou d’arrangement en vertu de la LACC, un plan de restructuration peut être confirmé en vertu du chapitre 11 même s’il n’est pas approuvé par la majorité requise de chacune des catégories de créanciers concernés, pourvu que les exigences en matière d’« adhésion forcée » (cram-down) prévues au chapitre 11 soient satisfaites.
Aux termes des dispositions en matière d’adhésion forcée, un tribunal aux États-Unis peut confirmer un plan de restructuration malgré le rejet de ce dernier par une catégorie de créanciers, pourvu qu’il soit accepté par au moins une catégorie de créanciers lésés, qu’il soit juste et équitable pour chacune des catégories de créanciers dissidents et qu’il ne fasse pas preuve de discrimination injuste à leur égard.
En l’espèce, le plan de restructuration a été accepté par la catégorie des prêteurs de Red Lobster qui, avant la pétition en faillite de cette dernière, lui avaient fourni des facilités de crédit à terme, ce qui satisfaisait à la première exigence prévue aux dispositions en matière d’adhésion forcée du chapitre 11. La Bankruptcy Court des États-Unis a déterminé que le plan de restructuration était juste et équitable à l’égard de la catégorie de créanciers non garantis dissidents et a appliqué les dispositions en matière d’adhésion forcée du chapitre 11 pour confirmer le plan de restructuration. Bien que l’adhésion forcée ne soit pas disponible dans le cadre des procédures plénières en vertu de la LACC, la CSJO a réaffirmé qu’il n’était pas nécessaire que le redressement accordé par le tribunal étranger soit identique à celui pouvant être accordé par le tribunal canadien. La reconnaissance de l’ordonnance de confirmation rendue en vertu du chapitre 11 respectait les objectifs généraux de la partie IV de la LACC.
5. Audiences virtuelles
Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les tribunaux d’insolvabilité ont adopté la tenue d’audiences virtuelles. Dans le cadre de l’affaire Red Lobster, les audiences tenues au Canada ont eu lieu sous forme virtuelle, tandis que les audiences devant la Bankruptcy Court des États-Unis ont eu lieu en mode hybride, c’est-à-dire en présentiel et virtuellement. Les audiences virtuelles sont devenues de plus en plus essentielles à la tenue des procédures transfrontalières, permettant aux parties prenantes de part et d’autre de la frontière de se tenir au courant de tous les éléments d’une affaire transfrontalière et, le cas échéant, d’y participer sans avoir à engager des frais de déplacement importants.
Pour en savoir davantage, communiquez avec l’un des auteurs du présent bulletin ou un autre membre de notre groupe Restructuration et insolvabilité.
Ressources connexes
Les communications de Blakes et de Classes affaires de Blakes sont publiées à titre informatif uniquement et ne constituent pas un avis juridique ni une opinion sur un quelconque sujet. Nous serons heureux de vous fournir d’autres renseignements ou des conseils sur des situations particulières si vous le souhaitez.
Pour obtenir l'autorisation de reproduire les articles, veuillez communiquer avec le service Marketing et relations avec les clients de Blakes par courriel à l'adresse [email protected].
© 2025 Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.