Le 28 janvier 2025, une rare formation de cinq juges de la Cour d’appel de l’Alberta (l’« ABCA ») a rendu un jugement unanime et très attendu dans l’affaire JL Energy Transportation Inc. v. Alliance Pipeline Limited Partnership (l’« Arrêt »). La question centrale était de déterminer si une action en contrefaçon de brevet intentée en Alberta était assujettie au délai de prescription de deux ans prévu par la Limitations Act en vigueur dans la province (la « Loi albertaine sur la prescription des actions ») ou à celui de six ans prévu par la Loi sur les brevets en vigueur au Canada (la « Loi fédérale sur les brevets »). L’ABCA a finalement conclu que le délai de prescription de six ans s’appliquait, annulant expressément un jugement antérieur qu’elle a rendu dans l’affaire Canadian Energy Services Inc. v. Secure Energy Services Inc. (l’« affaire Canadian Energy Services »), alors qu’elle en était arrivée à la conclusion contraire.
Contexte
En mai 2016, JL Energy Transportation Inc. (« JL Energy ») a engagé une poursuite en dommages-intérêts de 638 M$ CA, qui comprenait une réclamation pour contrefaçon d’un brevet canadien à l’encontre de plusieurs parties défenderesses et anciens titulaires de licence. Elle alléguait que, depuis 2010, les parties défenderesses faisaient circuler des fluides dans leurs pipelines respectifs au moyen de la méthode brevetée de JL Energy. En réponse à une demande de rejet sommaire, le tribunal de première instance a noté que la réclamation avait été présentée plus de deux ans, mais moins de six ans après que JL Energy eut pris connaissance des activités des parties défenderesses.
Le tribunal de première instance a conclu que le délai de prescription de deux ans prévu par la Loi albertaine sur la prescription des actions s’appliquait et a rejeté de façon sommaire la réclamation. Ce faisant, ce tribunal a suivi l’arrêt rendu par l’ABCA en 2022 dans l’affaire Canadian Energy Services, dans lequel cette dernière avait conclu que le délai de prescription applicable en cas de violation de contrats de licence et de contrefaçon de brevet était de deux ans en Alberta et non de six ans tel que prévu par la Loi fédérale sur les brevets.
En 2024, une ABCA unanime a accordé à JL Energy l’autorisation de demander que le jugement rendu antérieurement dans l’affaire Canadian Energy Services soit reconsidéré. Dans le cadre de l’appel, l’ABCA devait trancher une seule question centrale, soit de déterminer le délai de prescription applicable à une réclamation pour contrefaçon de brevet présentée en Alberta.
L’Arrêt
Dans l’Arrêt, l’ABCA a relevé plusieurs lacunes que comportait son jugement antérieur dans l’affaire Canadian Energy Services. Plus particulièrement, elle a conclu que, dans l’affaire Canadian Energy Services, le banc s’était fondé sur une interprétation littérale de l’article 12 de la Loi albertaine sur la prescription des actions en concluant que, comme la procédure avait été introduite en Alberta, la Loi albertaine sur la prescription des actions s’appliquait sans exception. Dans l’Arrêt, l’ABCA a affirmé qu’il convenait plutôt de se demander si la Loi albertaine sur la prescription des actions exclut les réclamations pour lesquelles le Parlement a prévu un délai de prescription précis (comme dans la Loi fédérale sur les brevets).
Finalement, l’ABCA a conclu que la Loi albertaine sur la prescription des actions, lorsque celle-ci est interprétée correctement, ne vise pas à avoir préséance sur les lois fédérales. Surtout, l’ABCA a précisé que la Loi albertaine sur la prescription des actions n’est pas censée s’appliquer aux réclamations qui sont fondées sur des lois fédérales qui sont assorties de délais de prescription spécifiques en vertu de ces dernières, et ce, étant donné qu’il ne s’agit tout simplement pas du type de réclamations auxquelles la Loi albertaine sur la prescription des actions peut s’appliquer. Par conséquent, l’ABCA n’a pas eu besoin de recourir à la doctrine de la prépondérance fédérale selon laquelle, en cas de conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale, la première l’emporte.
Par conséquent, l’ABCA a accueilli l’appel sur la question des délais de prescription. La réclamation de JL Energy pour contrefaçon de brevet tombe sous le délai de prescription prévu à l’article 55.01 de la Loi fédérale sur les brevets et a donc été présentée à temps. L’ABCA a déclaré qu’il ne fallait plus suivre le raisonnement qui avait été mis de l’avant dans l’affaire Canadian Energy Services en ce qui a trait à la question des délais de prescription
Conclusion
Dans l’Arrêt, l’ABCA a précisé que les réclamations pour contrefaçon de brevet qui sont présentées en Alberta sont assujetties au délai de prescription de six ans prévu par la Loi fédérale sur les brevets et non au délai de prescription de deux ans prévu par la Loi albertaine sur la prescription des actions. À moins que la Cour suprême du Canada ne se prononce sur la question, l’Arrêt apporte des éclaircissements aux titulaires de brevets en ce qui a trait à la présentation de réclamations pour contrefaçon de brevet en Alberta.
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